Le Village du silence de Stéphanie trouillard

L’enquête  passionnante de Stéphanie sur l’assassinat de deux femmes par des résistants peu après le débarquement permet de rompre le silence qui pèse sur ce village depuis 80 ans et de regarder enfin le passé en face. Il y a eu des exactions insupportables commise par certains « résistants » qui salissent le courage et  sacrifice de l’immense majorité de ceux qui ont payé si cher le combat pour libérer la France du pétainisme et du nazisme. Fermer les yeux sur ces crimes serait être complice. Stéphanie, dont le grand-oncle, jeune résistant, a été assassiné dans la même région et à peu près au même moment par des miliciens, fait encore une fois un travail d’historienne de grande qualité.

Hommage au groupe Manouchian au Sénat

Samedi 1er mars, au Sénat, a eu lieu une manifestation pour commémorer la première année de l’entrée de Manouchian et Mélinée au Panthéon, accompagnés des noms de leurs camarades du groupe et de celui de Joseph Epstein, organisée par l’UCFAF en partenariat avec l’ADVR et la JAF.

Rencontre de témoignages au Lycée Hélène Boucher

Vendredi 24 janvier, comme chaque année, l’ADVR a organisé une rencontre de la Mémoire de la Seconde guerre mondiale au lycée Hélène Boucher dans le 20e arrondissement de Paris.

Le maire du 20e arrondissement, Eric Pliez, était présent et a assisté à tout l’événement.

Une vingtaine de témoins sont venus à la rencontre de plus de 200 élèves.  Témoins et élèves, étaient rassemblés dans une grande salle, regroupés par petits ateliers de discussion : une dizaine d’élèves autour d’un témoin ont ainsi pu échanger  pendant environ 1h30.

Les témoins étaient composés de deux groupes :des enfants cachés et des enfants de résistants et déportés.

Parmi ces témoins, plusieurs responsables d’associations de la Mémoire.

Georges Duffau–Epstein, président de l’association des Amis du Musée de la Résistance Nationale (MRN), fils du colonel Epstein (Colonel Gilles) qui était chef des FTP de la région parisienne jusqu’à son arrestation avec Manouchian; Claire Rol-Tanguy, secrétaire générale  de l’ACER (association des Amis des Combattants en Espagne Républicaine), fille du colonel Rol;  Raymonde Baron et Claude Sarcey, co-vice-résidents de l’UJRE ( (Union des Juifs pour la Résistance et l’Entraide), organisation née dans la Résistance; Rachel Jédinak, présidente de l’association Ecole de la rue de Tlemcen, qui a énormément travaillé pour la Mémoire des enfants juifs  déportés dans tout Paris. 

Nombreux également étaient les témoins auteurs ou autrices d’ouvrages sur l’itinéraire de leurs parents.

Ces rencontres sont des  leçons d’histoire vivante que les élèves n’oublient pas.

« La poche de la Rochelle » par Maurice ARTIGES, Robert GIRAUDEAU et Me APRAILLE. 

Un épisode peu  connu de l’histoire de la Résistance : l’action d’un important groupe de résistants dans « la poche de la Rochelle » entre le débarquement du 6 juin 1944 et la chute de la ville le 5 mai 1945.

Maurice ARTIGES, président du tribunal de La Rochelle était Commandant du bataillon clandestin « Jean Guitton », jusqu’à la phase finale de la libération de la ville, le 5 mai 1945, où il a assuré avec son bataillon de 120 hommes, l’assaut et la sommation de se rendre, des troupes allemandes qui tenaient encore « la poche de La Rochelle », lieu stratégique  protégeant la base sous-marine de La Pallice.

Ces témoignages ont été recueillis très longtemps après ces faits (année 1990), mais avec les auteurs et témoins directs de ces faits : Maurice ARTIGES, Robert GIRAUDEAU et Me APRAILLE. 

Documents donnés à l’ADVR par la fille de Maurice Artiges, Marie-Lise Artiges-Biscay, rencontrée à l’exposition Montluc le 9 décembre 2024.

Jacques  Klajnberg – Histoires de la Résistance et la Déportation – Mai 2024 – ADVR

Interview  de Jacques  Klajnberg recueillie  en mai 2024 par Miguel Vallecillo Mata et Yves Blondeau, film monté par Miguel Vallecillo.

Jacques Klajnberg, enfant caché , devenu combattant FFI à 16 and , a participé aux combats de la libération d’ Ouzoire La Ferrière. Avec son épouse ils sont à l’origine de la création du Comité Tlemcen qui a réalisé un exceptionnel travail de mémoire pur les enfant juifs déportés et assassinés à Auschwitz.

Il témoigne régulièrement  dans les écoles et, particulièrement,  à la demande de l’ADVR, aux rencontres du lycée Hélène Boucher depuis de nombreuses années.

Site de la gare de la déportation de Bobigny

Mardi 3 décembre 2024, l’ADVR (Association de Défense des Valeurs de la Résistance) a organisé conjointement avec le SNES (syndicat national des enseignements du second degré) la visite de l’ancienne gare de la déportation de Bobigny, récemment classée monument historique et haut lieu de Mémoire.
Alors que plus de 40 500 personnes avaient été déportées depuis la gare de Drancy-le Bourget vers Auschwitz, de juillet 1943 au 17 août 1944, les nazis ont organisé la déportation de 22 407 hommes, femmes et enfants juifs vers le camp d’extermination à partir de la gare de Bobigny jugée plus discrète.  21 convois (sur  79)  destinés à l’extermination sont partis de la gare de Bobigny plus discrète car uniquement gare de marchandises.  En effet, la gare de Drancy-le Bourget était aussi une gare de voyageurs qui croisaient donc  sur les mêmes quais les colonnes de déportés. Aloïs Brunner, nouvellement nommé pour gérer la déportation des juifs de France, souhaitait que, dès le départ, le processus d’extermination se déroule le plus possible dans « la nuit et le brouillard ». Des stèles présentent, convoi après convoi, le nombre de personnes déportées dans chacun d’eux et le nombre de survivants. Au total, 75 721 personnes, dont près de 11 000 enfants, ont été déportées  de France entre mars 1942 et août 1944, y compris de Compiègne et de Clermont-Ferrand. À la Libération on ne comptera que 2566 survivants, à peine 3 % de l’ensemble des déportés.

La visite, particulièrement émouvante, animée par une conférencière/historienne de qualité, s’est terminée par la lecture de textes extraits du « Grand voyage », de Jorge Semprun, faite par notre amie Nicole Cervera.

photos de Miguel Vallecillo Mata

Le Travail allemand, film de Jean-Pierre Vedel

Vendredi 15 novembre, l’ADVR a présenté le film de Jean-Pierre Vedel « le Travail allemand », qui, à travers quelques portraits d’Allemands qui ont travaillé dans la Résistance ou pour la Résistance française, montre l’importance de ces  actions peu connues, mais aussi l’un des volets de la Résistance. Placé sous la responsabilité d’Arthur London, le « TA » a fait un travail considérable au niveau de l’information. Au-delà, le film évoque aussi les Allemands déserteurs devenus maquisards et même l’existence d’un maquis  entièrement composé d’Allemands. 

Les témoins qui apparaissent dans le film  ont tous une personnalité attachante et soulignent  avec une grande simplicité qu’ils ont pensé nécessaire pour défendre les valeurs fondamentales de l’humanité de lutter contre le nazisme est donc aussi contre leur propre armée. Pour  eux,  résister avec les Français était un double acte de courage.

Sur un total d’environ un millier  d’hommes engagés dans le TA, 137 ont été arrêtés et exécutés.

Jean Lafaurie – Histoires de la Résistance et de la Déportation – 2ème partie

Jean Lafaurie, résistant déporté.

Interview de Jean Lafaurie par Julien Le Gros, Yves Blondeau et réalisée par Miguel Vallecillo Mata

Jean Lafaurie, résistant FTP, déporté à Dachau, a participé à un épisode exceptionnel de l’histoire de la Résistance : la révolte de la centrale d’Eysses. 

Le texte évoque cette révolte dont l’objectif est l’évasion collective 1200 détenus.

La révolte de la centrale d’Eysses

La centrale d’Eysses est une prison installée près de Villeneuve-sur-Lot où les autorités de Vichy avaient rassemblé plus de 1200 résistants communistes.
La stricte discipline des résistants communistes avait permis une organisation exceptionnelle à l’intérieur de la centrale. Les détenus avaient obtenu du directeur le droit de monter un théâtre, d’avoir une chorale, de faire des groupes d’études, des cours (Georges Charpak par exemple donnait des cours de physique), des séances de gymnastique, d’avoir des visites, de repeindre les locaux qui étaient très dégradés, etc.
L’objectif des responsables communistes n’était pas d’améliorer le confort des détenus mais de les préparer en gardant le meilleur moral possible à une évasion collective prévue dans la nuit du 31 décembre 1943, au moment où la surveillance se relâcherait.
En vue de cette évasion, les détenus avaient réussi à faire rentrer des armes: des mitraillettes, des grenades, à faire évader l’un des leurs, Kléber (de son vrai nom Fenoglio), pour qu’il prenne contact avec la résistance extérieure. Ravanel, chef national des groupes- francs des MUR(*) est venu en personne sur place pour étudier les moyens de faciliter cette évasion. Il fallait en effet prévoir des camions pour transporter 1200 hommes, des vêtements, des papiers d’identité, des cartes d’alimentation et des lieux de chute dans des maquis! Tout cela étant mis au point, Ravanel, qui avait aussi prévu le soutien extérieur d’une soixantaine de résistants équipés de mitrailleuses et de mortiers, chargea le chef local des groupes-francs des MUR, Joly ( de son vrai nom Marcel Joyeux), de réaliser l’opération.
Cependant, lorsque au dernier moment, Joly apprit qu’il s’agissait de 1200 résistants communistes, il décida, par anticommunisme, de ne pas faire intervenir les résistants extérieurs. Sans ce soutien, les détenus durent donc provisoirement renoncer à passer à l’action.
Malgré tout, à l’occasion de la visite d’un inspecteur venu de Vichy, les détenus tentèrent le tout pour le tout et s’emparèrent d’une partie de la prison, du directeur, de l’inspecteur, d’une cinquantaine de gardiens et tentèrent la sortie. Mais le tir des mitrailleuses des miradors les bloquèrent à l’intérieur. Les combats durèrent tout l’après-midi du 19 février 1944, toute la nuit aussi. Mais au matin la prison fut encerclée par 3000 miliciens soutenus par des troupes allemandes équipées de canons. La situation des
résistants étant devenu intenable ils rendirent les armes contre la promesse qu’il n’y aurait pas de représailles.
Malgré cette promesse, de nombreux résistants furent torturés pour leur faite dénoncer les chefs de la révolte mais aucun d’eux ne parla, douze d’entre eux furent fusillés et les Allemands de la division Das Reich prirent possession de la prison. Le 30 mai 1944, les 1200 détenus communistes furent déportés, d’abord à Compiègne, puis le 19 juin à Dachau.
Tout au long de leur calvaire les prisonniers conservèrent leur esprit combatif, ce qui n’ empêcha pas que 700 des membres de ce que les prisonniers eux-mêmes ont appelé « le bataillon d’Eysses » perdirent la vie à Dachau.
*MUR, Mouvements Unis de la Résistance. Les MUR regroupent depuis janvier 1943, à la demande de Jean Moulin, les forces militaires des trois mouvements de zone sud: Combat, Libération sud et Franc-Tireur . Ravanel est nommé à leur tête en juin 1943.

ADVR, film de Jean-Pierre Vedel : « le travail allemand »

Pendant la dernière guerre, un certain nombre de militaires allemands ont travaillé pour la résistance française. C’est ce que l’on appelle le travail allemand (TA).

Le film de Jean-Pierre Vedel nous éclaire sur cet aspect peu connu mais particulièrement  important de la Résistance.

Vendredi 15 novembre, l’Association de Défense des Valeurs de la Résistance projettera le film de Jean-Pierre Vedel : « Le travail allemand » à la Mairie du 20e, salle du conseil, 14 heures. Débat avec le réalisateur après la projection.

Bella Ciao de Danilo de Marco, reporteur et journaliste

Danilo est un photographe très connu en Italie, qui travaille beaucoup sur la Résistance. Il nous offre cette création mettant en scène des résistants italiens et français, issue d’une exposition récente réalisée sur le thème « pour une autre Europe». Il travaille essentiellement sur le regard de ses modèles. On reconnaîtra notamment Lise London et André Radzinski. Avec Danilo nous avons recueilli une quarantaine de portraits de résistants français et nous souhaitons fortement pouvoir réaliser avec ce travail une exposition à Paris 20, pour le moment nos efforts sont restés vains mais nous ne nous décourageons pas.

Présentation de l’une des dernières expositions de Danilo de Marco

Danilo De Marco de Gian Paolo Gri(anhtropologue)
Il y a des photos-objets, et tu les regardes ; par contre il y a des photos qui prennent l’initiative d’elles-mêmes. Elles te regardent. Les photographies de Danilo De Marco, reporteur mais aussi journaliste, appartiennent à cette deuxième espèce. Son objectif n’avale pas ce qu’il vise, il ne le garde pas pour lui ; il est seulement médiateur entre les yeux par-ci et les yeux par-là. Pour cela il s’agit de photos que les anthropologues aiment. Les anthropologues, qui ont abandoné la prétention de l’observation objective
et acceptent d’être pris parmi le jeu des regards mutuels. Ainsi Danilo De Marco. C’est un photographe de parti, et il ne triche pas. Il a marché dans le monde, du Tibet au Mexique, des montagnes des Kurdes, en Turquie et en Irak, à celles de la Colombie, des Andes à l’Equateur parmi les Kichua, à la vallée du Narmada en Inde, de l’Amazonie Bolivienne aux forets du Congo et de l’Ouganda, et beaucoup d’autres ; il a développé une expérience comparative exemplaire, il a partagé la nourriture et le grabat avec beaucoup de cultures. Il ne les a pas traversées et il ne les a pas consommées ; une à une il les a fait les siennes et il les emmène toutes dans son âme intérieur. Telles des bouchées amères.
Aller au de-là, partager, pour après revenir (différent de ce qu’on était) raconter ce que l’on a vu et ce que l’on a pu comprendre : nous le sentons parmi nous, dans le courant de la meilleure anthropologie) Peu importe du comment on se raconte, au retour, si par mots ou par images ; ce qui compte c’est de raconter avec efficacité et vérité.

Danilo De Marco présente, en image, le portrait des derniers partisans; des visages intenses, comme on ne pourrait faire plus. Des visages différents? Après avoir relu Primo Levi je ne peux oublier combien les «portraits» de ceux qui sont encore en vie ne seraient pas différents, vieux, au visage labouré de tant de rides et qui, en revanche, étaient à cette époque-là de l’autre côté. Où est, alors, la différence?
Justement dans ce qu’indiquait Primo Levi: dans le refus du compliment et du consensus ; peut-être à l’époque, au début, seulement un refus instinctif, peu raisonné, sans doute la seule juvénile impatience. Impatience et non indifférence. Un choix: un choix qui pour certains ne fut peut-être pas entièrement conscient, mais qui se laissa entraîné par la conscience des autres. Une décision qu’Enri De Luca rappelle dans le texte écrit pour le catalogue, et qui est condensé dans le simple geste de respect que nous nous sentons de rendre à qui s’en chargea, même avec tout le recul du temps: « Les visages rencontrés et recueillis par Danilo De Marco laissent une bonne réputation /…/ Et aujourd’hui, ils sont les derniers visages, la dernière version d’une jeunesse courageuse qui fit la chose juste au prix le plus élevé. Ils laissent de grands noms, ceux à nommer à table en se levant et en trinquant à leur santé».

Avec ceux qui ont été partisans et ont choisi de ne pas oublier le poids des années intenses d’une jeunesse vécue « contre », Danilo De Marco aime s’asseoir à la table, partager la bouteille, demander,
écouter, discuter face à face. A la fin, il les photographie. Avec la résistance, on peut faire cela, avec la résistance, on ne peut pas ; la résistance est abstraite, elle ne parle pas, elle ne partage pas un verre de vin avec vous, elle a tendance à être célébrée, sa photographie est une rangée d’autorités qui se prennent au sérieux. Dans la rencontre avec ces vieillards, peu enclins à être des briques sur le monument du 25 avril, on comprend tout de suite qu’il n’y a pas grand-chose à célébrer, car leur résistance ne se résume pas aux deux ou trois années de lutte clandestine. Elle n’est pas figée, elle a une longue portée et des itinéraires complexes. Ici, nous ne sommes pas parmi les résistants qui ont trouvé un logement après la guerre ; leur dimension internationaliste est un mélange de déracinement forcé, de choix de vie marqués par des virages soudains, de chemins douloureux et de retours difficiles : les années d’exil à Prague pour Cid (Sergio Cocetta), la RDA pour Maxi (Leopoldine Elizabeth Morawitz Jäger), le Canada pour Lakis (Apostolis Santas), la Hongrie de Nikos et Argiro Kokovulis, les mines de Belgique, avec la vente par le gouvernement italien après la guerre en échange de charbon, pour Colombo (Vincenzo Cevolatti), première étape d’un parcours qui passe ensuite par l’Indochine (et Dien Bien Phu), l’Algérie et le Maroc.

Cid, Colombo, Rado, Riki, Lino, Furia, L’abbé, Amazzone, Lupo, Andrea, Mosè, Sylvie, Johnny, Takle, Germann, Andrej, Fiamma, Barone rosso… : le choix d’un nom de bataille n’était pas dicté par les seules commodités de la clandestinité ; passer d’un nom à l’autre, c’était comme franchir des frontières : la capacité de vivre des identités différentes tout en restant soi- même. Des histoires complexes, des centaines, partout en Europe. Un partisan fait bien de garder ses bagages toujours prêts », c’est la leçon du Cid à Danilo, qui l’a apprise.

J’ai sous les yeux celle de Missak Manouchian, paraphée n° 849617 et datée du 18.11.1943, après une détention. Jamais je n’ai vu autant de fierté sévère dans un tel regard. Le dernier partisan du groupe Manouchian – ceux de l’Affiche Rouge apparus sur les murs de Paris le 21 février 1944 – que De Marco a pu rencontrer autour d’un verre de raki est Charles, alias Arsène Tchakarian. Né en Turquie en plein génocide arménien, il parle couramment, outre le français et l’arménien, le turc, l’hébreu, le serbe et le russe. Il raconte comment, dans le Paris des années 1930, le militantisme a croisé l’effort de valorisation et d’émancipation de la culture arménienne, comment l’amour de la France de la liberté, de l’égalité et de la fraternité était grand ; il raconte la formation de ce groupe extraordinaire de travailleurs immigrés qui faisaient partie de la MOI, la Main d’Oeuvre Immigrée (Arméniens, Italiens – Spartaco Fontanot avec ses deux frères) ; il parle de la peur quotidienne et des actions revendicatives (l’exécution du général Julius Ritter, responsable de la mobilisation obligatoire et de la mise en esclavage de 600 000 travailleurs étrangers), de la trahison, de la lâcheté et de l’héroïsme, de la capacité à supporter l’insupportable après la capture. Il a une mémoire à livrer : celle de son emprisonnement, de sa dernière lettre à sa femme Melinée, des mots d’encouragement de Missak à ses camarades et de son sourire à la caméra nazie juste avant d’être fusillé. Tchakarian a raison : « « Je peux dire avec certitude que le groupe
Manouchian était et est l’incarnation d’une Europe que nous avons perdue. L’Europe qui aurait pu être et qui n’a pas été.

C’est peut-être face à ce vide que Sylvie (Simone Ducreux) ferme les yeux et que les rides de la vie semblent partir de là. Elle a vécu, petite fille,
après avoir été partisane, la libération de Paris ; c’est une vision qu’il faut tenir dans les yeux de toutes ses forces. Pour elle aussi, comme dans les mythologies que nous avons eu le culot d’appeler primitives, le meilleur était déjà là, elle a coloré l’instant inaugural d’énergie et d’espoir ; puis l’histoire est entrée dans la spirale de l’entropie. Heureusement, il nous reste les yeux doux d’Andrej/Alojse Kapun, ou le regard sans ombre de Rado (Radzynski), juif franco-polonais, trois noms clandestins (Rado, André, Leroux), une fratrie détruite, à Paris un garçon expert dans le vol d’armes aux Allemands, célébrant lui aussi la libération de la ville, plus survivant que Sylvie.

Depuis plusieurs années, Danilo De Marco parcourt l’Europe, saute les frontières, creuse, découvre, rencontre, parle et capture les histoires et les visages des derniers partisans. Quatre-vingts, quatre-vingt-dix ans : des chiffres qui ont gravé leurs visages, et ce n’est pas le soin d’un peigne ou d’un fil de maquillage qui pourra cacher les signes d’une vie intense. J’ai vu la photo de la jeune Lise Ricol-London, « combattante depuis son enfance » (d’abord les brigades internationales en Espagne, la défaite et la
réorganisation des exilés, puis la résistance et le camp de concentration, la persécution des communistes, avec le procès de son mari à Prague en 1956) ; elle est allongée sur la pelouse, une guirlande de marguerites sur la tête, quelques jours avant sa capture par la Gestapo. Son courage après
l’occupation nazie de Paris lui avait valu d’être condamnée à mort et d’être honorée du titre de « sorcière de la rue Daguerre ». La photographie d’aujourd’hui n’est pas moins belle : le visage est une « description dense ».

Des partisans, Danilo en a encadré près d’un millier à ce jour ; il est devenu un collectionneur de visages. Mais il ne s’agit pas d’une collection possessive à l’occidentale ; il a créé une accumulation qui sent les cultures lointaines, le potlatch, où l’on ne collectionne pas pour soi, pour conserver, mais pour donner, pour redistribuer.

Nous sommes face à une nouvelle communauté, inédite, faite de visages. A l’opposé de l’instantané, les images sont le résultat d’un travail partagé : témoignage d’une rencontre et d’une implication profonde du photographe et du photographié. Il n’y a pas de décor, le scénario est donné par la narration de qui vous avez été et de ce que vous avez vécu, tout est concentré dans la focalisation sur le visage. Il joue sur la sérialité : le gros plan, la mise au point sélective, sur les yeux, et aussitôt les autres plans du visage se dégradent en netteté. Les optiques utilisées, l’utilisation de la lumière, les méthodes d’impression matérialisent le caractère révélateur du visage. L’hyperréalisme, tout sauf un retour nostalgique au néoréalisme.un mélange d’image et de biographie.

De Marco a raison de rejeter l’étiquette de portraits, pour ces images, et de préférer le terme de figures pour ses partisans. Le sens de l’étymologie, qui renvoie à une manipulation constructive, est devant nous, dans les fissures des visages, dans les taches des années : comme « faire semblant », manipuler, modeler l’argile pour lui donner forme et ensuite la mettre au four. Les derniers (et les premiers) sont les yeux. Écrivant sur le pouvoir des images, David Freedberg a rappelé que les simulacres anciens ne
prenaient vie et force qu’à partir du moment où l’artiste peignait leur iris et leur pupille. Juxtaposés, ces regards composent une communauté de valeur, un idéal, qui continue de se moquer des frontières, qui nous incite à savoir regarder autour de nous, à ne pas oublier, à choisir encore et toujours de quel côté être.
Gian Paolo Gri (antropologo)