Louis Gendillou, interview par Vincent Goubet pour son film « Faire quelque chose »

Louis Gendillou, interviewé par Vincent Goubet en 2008 pour son film « Faire quelque chose ». Louis Gendillou a alors 88 ans. Louis Gendillou est l’un des tous premiers à rejoindre Georges Guingouin.

-M. Gendillou, est-ce que vous pouvez nous dire où on se trouve en ce moment ?
En ce moment vous vous trouvez sur la commune de la Croisille-sur-Briance qui fut un haut lieu de la Résistance. Il y avait des résistants qui habitaient ces lieux. Au cours de l’hiver 1943, fuyant les taillis dénudés, la Résistance est venue se mettre à l’abri à la ferme Simoens, en face. Là ils ont trouvé l’abris, là ils ont trouvé le gîte, le couvert et ils ont pu finir de traverser ce rude hiver de 1943. D’ici sont partis plusieurs raids, pour le ravitaillement, sur la nationale 20 et sur la ligne de chemin de fer qui passait à environ 30 km du site. Ils partaient depuis le village en bas, en voiture, en camion, en groupe, ils essayaient d’encercler les voitures et les camions qui étaient susceptibles d’amener le carburant, du ravitaillement et tout ce qui pouvait servir aux maquisards… Et en même temps, détruire la machine allemande, faire sauter les voies, faire sauter les ponts, voila le travail ici, dans cette région. Tout le village en 43 a été occupé parce que, non seulement, il y avait la ferme qui était acquise, mais dans le village il pouvait y avoir des mouchards. Alors, dans toutes les maisons, il y avait des résistants qui occupaient, comme une armée d’occupation.

-Comment cela se passait-il quand la Résistance devenait maître du lieu ?
Il y avait l’organisation de la Résistance, des gars qui étaient placés sur les routes, en cas d’attaque. Il y avait une surveillance continuelle. Mais tout le village était occupé, c’est- à-dire que si il y avait des enfants, ils n’allaient pas à l’école. On ne sortait pas du village !

-D’accord, la Résistance contrôlait le village.
Le village était occupé. Il était fermé. C’était une deuxième occupation dans l’occupation allemande. C’était nécessaire pour la sécurité.

-Quand vous décidiez d’occuper un village, les gens avaient-ils le choix ?
C’est-à-dire que… pas tellement. S’il y en avait un ou deux qui étaient collaborateurs, ils étaient mis à la raison, soit enfermés, soit surveillés continuellement, de manière qu’ils soient inoffensifs.

-Mais s’il y avait des villageois qui ne souhaitaient pas participer à l’effort de guerre pour la Résistance ?
S’ils ne voulaient pas participer à la Résistance, ils étaient parfaitement libres de rester à se chauffer les pieds, mais ils étaient occupés.

-Cette ferme qui est derrière nous s’appelait comment ?
La ferme Simoens. Pas besoin d’être caché. Les avions qui passaient ne les voyaient pas sous le feuillage. Ils se mettaient dans des endroits très touffus et, bien sûr, il fallait les garder. Il y avait un poste de garde armé qui empêchait tout le monde de rentrer, c’était pas des routes goudronnées comme on voit maintenant, c’était que des chemins à charrois. Mais on empêchait de passer. Tout inconnu était arrêté ou il faisait demi-tour.

-Pour entrer dans le maquis, il y avait une forme de mise à l’épreuve ?
Peut-être un peu la quarantaine, mais pas tellement, parce que d’ordinaire ils étaient parrainés par des gens du village, ou bien ils étaient connus.

-On connaissait les opinions de chacun ?
On connaissait non seulement les opinions, mais sa façon d’agir, depuis longtemps..

-C’était une sélection naturelle en quelque sorte….
Une sélection naturelle, mais il faut dire aussi que ceux qui collaboraient, la plupart le faisaient ouvertement et, ma foi, ceux-là ils n’avaient pas droit à la parole.

-Là on est devant un trou, je pense que c’est une cache…
Ce fut la première cache de la Résistance dans le Limousin C’était dans les bois.

-En fait, c’est un trou dans la terre.
Ni plus ni moins. C’était un trou aménagé. Il n’était pas comme il est maintenant. C’était un trou qui était carré, où on a aménagé, d’un côté pour se coucher, de l’autre côté pour le ravitaillement.

-Quelles sont les personnes qui ont vécu dans ce trou?
Ils étaient cinq. Il y avait Guingouin. Il y avait Pierre Magadoux, il y avait Albert Duval, il y avait Raymonin, et l’autre, c’était Raymond Dumont ! Certains sont encore en vie. Les premiers résistants, surtout le colonel Guingouin, il leur fallait une cache sûre parce que les bois étaient encore dénudés. Les fermes et aussi beaucoup de villages étaient occupés. Les maisons étaient garnies de maquisards et le colonel, il fallait qu’il soit un peu à côté de ses troupes, pour les commander, pour les diriger, avec des agents de liaison. Ils circulaient un peu partout et il ne fallait pas qu’il donne des ordres à un groupe au milieu d’un autre. Il fallait qu’il soit dans un PC, seul. Il voulait en réalité faire son PC ici. Alors il sont partis depuis Sainte-Anne, ça s’est passé chez le père Bezot, à Sainte-Anne-Saint-Priest, un soir de réunion, et ils ont décidé de faire une cache ici. Cela avait été décidé à la suite de longues discussions avec M. Mainerie qui habitait le village d’Augeran pas loin d’ici, qui ravitaillait déjà le maquis, avec un nommé Roux, qui habitait de l’autre côté de la forêt, qui fournissait en pain, il avait un four, où il faisait beaucoup de pain et il fournissait les maquisards. Il fallait trouver une cache bien cachée. il y fallait des futaies importantes et surtout une source pour pouvoir aller se laver et au besoin boire. Il leur fallait de l’eau et du ravitaillement et si le lieu a été choisi, entre Augerac qui est près de Sussac et Moissanes qui est près de Châteauneuf-la-Forêt c’est que le ravitaillement arrivait de ce côté. Et puis il avait accès à ces chemins, c’est pour ça qu’ils avaient choisi ici, dans cette forêt. Tout d’abord ils ont créé un trou. C’était un trou rectangulaire couvert par dessus avec des rondins.

-Ils ne pouvaient pas envisager, par exemple, de construire une cabane dans les bois, ou de…
Non. Elles auraient dépassé sur le terrain, et depuis le ciel, les avions passaient assez souvent, des mouchards, elles auraient été aperçues. Il fallait abattre des arbres pour avoir des rondins et les recouvrir avec la même végétation. Comme ça les avions passaient, ils voyaient qu’il y avait des fougères, des feuilles sèches, ils ne s’apercevaient pas qu’il pouvait y avoir un trou habitable.

-Donc la vie, pour les résistants à cette époque, c’est vraiment une vie terrée dans les bois, dans le sol.
Oui. À l’emplacement des groupes de maquis, pour ceux qui ne pouvaient pas loger dans des fermes. À ce moment ils ne sont pas encore nombreux, ce n’est qu’en 1943, avec le STO, qu’il y a le plus de jeunes qui sont montés dans la Résistance, parce qu’ils n’ont pas voulu partir en Allemagne. À ce moment, il y eut beaucoup d’hommes et on ne pouvait pas les loger partout dans les villages. Il fallait faire des cabanes dans les bois. Mais à partir du mois de novembre, quand les feuilles tombent, jusqu’au mois d’avril, quand elles repoussent, il n’y avait plus rien. Les bois étaient dénudés et, d’avion, on voyait jusqu’au sol.

-Alors l’hiver il n’était plus possible de se cacher dans les bois ?
C’était presque plus possible de se cacher dans les bois. On se cachait dans les grands bâtiments, dans les fermes, dans les granges des paysans.

-Quand nous étions à la ferme de La Soula vous m’expliquiez que le village était entièrement occupé par la Résistance. Est- ce que c’était aussi une technique pour vous fondre dans les populations civiles afin de d’éviter toute attaque ou tout bombardement des Allemands?
C’était à la fois un moyen de se fondre, de se faire connaître, d’assurer un peu la sécurité aux gens et aussi se ravitailler. Parce qu’il fallait se nourrir, s’entretenir, il fallait de l’eau, des points d’eau pour la toilette. Heureusement on parle de la Résistance, des résistants, mais toutes les femmes dans ces villages ont participé à les aider. Il fallait laver du linge, le repriser, il y avait des aliments à cuire. Quand ils amenaient un veau, un cochon, pour ravitailler un village, il fallait le faire cuire. Alors c’était le travail des femmes du village..

-Donc le fait de se fondre dans le la population civile, ce n’était pas une manière d’empêcher toute attaque des Allemands ? L’attaque des Allemands on ne pouvait pas l’éviter. S’ils venaient en force, le maquis, avec le peu d’armes et d’entraînement qu’il avait, n’avait pas la possibilité de se défendre. Mais il y avait un retardement qui s’opérait, parce que le maquis se mettait en position sur les routes et quand la troupe allemande arrivait, il se battait.

-Comment expliquez-vous que, compte-tenu de l’importance du maquis, les Allemands n’aient pas mis plus de moyens pour le déloger?
C’eût été difficile parce que le maquis était partout, et pas nombreux. Dans un village, quand il occupait un village, il y avait 30 ou 40, maximum 50 personnes, jamais ça dépassait ce nombre. C’était une méthode de francs-tireurs et partisans. Pas de grands rassemblements, parce que même les grands rassemblements, l’armée allemande arrivait avec des moyens plus importants à cerner le village et il y avait davantage d’exactions.

-Monsieur Gendillou, quelles sont vos origines, de quel milieu vous êtes issu ?
Je suis fils d’agriculteurs. Mes parents avaient une ferme à Saint-Gilles-les-Forêts, au village du Chalard.

-Comment avez-vous réagi lors de la signature de l’armistice ? Comment votre environnement familial a-t-il réagi ?
Mon environnement a été submergé par cet événement ! On ne s’attendait pas à cela, on ne s’attendait pas à une grande défaite comme il y en a eu une. On nous avait menti, comme on le fait toujours, sur les forces françaises. Sur la résistance qu’il y aurait. Sur la ligne Maginot, etc.. On n’imaginait pas un tel désastre, et aussi vite ! Bien sûr, il y eut l’armistice. On l’a mal digéré. Parce qu’on n’était pas prêt à ça. Nos soldats étaient partis là-bas pour se battre. On nous avait dit qu’ils en avaient les moyens. On nous avait dit qu’on était les plus forts, et on y croyait ! Et en quelques semaines l’armée française a été battue et bien battue ! Ça a été un désastre inimaginable pour la population ! Quant il y a eu l’armistice, beaucoup ont été presque soulagés. On n’avait pas encore vu les Allemands. C’est que les Allemands étaient encore à Poitiers, ils étaient à Angoulême, ils étaient loin de chez nous. Peut-être, s’ils s’arrêtaient, on ne serait pas occupés. Pétain nous a raconté qu’il fallait arrêter le combat « dans l’honneur ». On n’y a pas cru !

-Vous pensiez que c’était possible d’arrêter les combats dans l’honneur ?
Non. Non. Personne n’y a cru, mais enfin les combats se sont arrêtés … On attendait, au bout de quelque temps, le retour des prisonniers. Ils ne sont pas revenus. Ils sont restés là-bas. Au contraire, certains qui voulaient s’évader ont été même fusillés. Alors déjà, il y a eu un mécontentement.

-Pouvez vous nous parler de votre rencontre avec Georges Guingouin ?
Ma rencontre avec Georges datait de bien plus longtemps. Elle datait de quand j’étais à l’école. Il a été mon maître d’école. Il est venu à Saint-Gilles en 1935. J’avais même quitté l’école mais il s’est retrouvé avec mon père dans des réunions, ils ont pactisé, ils se sont trouvés avec un même idéal. Guingouin est venu chez nous et puis il a demandé : « qu’est-ce que vous faites de ce jeune homme ? » Mon père a dit : « bien sûr il remplacera le domestique, il va travailler à la ferme et la vie de la ferme continuera après nous».

-Et que lui a dit Georges Guingouin ?
Et bien Georges Guingouin a dit : « moi je ne suis pas d’accord avec vous, il faut me le renvoyer à l’école. Il a encore une année à faire et il pourra être présenté au certificat d’études. Il apprendra quelque chose, parce que l’école apprend des choses. Et vous savez, l’instruction c’est beaucoup, et plus ça va plus on en aura besoin ». Mon père ne voulait pas se laisser faire. Enfin Guingouin a été persuasif et il a décidé mon père à me renvoyer à l’école, au mois d’octobre 1935. J’ai fait l’année scolaire avec Guingouin, Georges Guingouin, là-haut, dans la petite école de Saint-Gilles-les-Forêts.

-Donc, lors de l’Occupation, votre famille et vous, êtes déjà politisés.
C’est-à-dire que nous l’étions avant. On avait connu Munich, on avait connu pas mal de choses et on était déjà politisés. On était politisés bien avant. Mon père était un militant de toujours. Moi-même j’ai été secrétaire de la Jeunesse agricole de France, une filiale du parti communiste de l’époque, en 1937, qui englobait la région de Sussac, Saint-Gilles etc … Nous étions déjà des militants actifs, et quand Georges Guingouin … à la débâcle… on était au courant de tous ses actes, de son opposition au pacte de Munich… Bien sûr, le parti communiste avait été dissous, mais on suivait les idées de Georges Guingouin.

-C’était quelqu’un qui avait une vraie aura dans la région, qui était écouté, qui diffusait ses idées ?
Il était secrétaire régional de la fédération du parti communiste de la Haute-Vienne. Il était très écouté. On l’avait connu pendant la campagne législative de 1936 parce qu’il avait fait la campagne d’un candidat communiste de notre région. Il était bien connu de tout le monde. Il était bienaimé de la population de Saint-Gilles où il faisait l’école. Il était très populaire.

-Et pour vous, la Résistance commence à quel moment ?
Mais je ne m’en suis pas rendu compte, quand elle a commencé ! Parce que, en 40, à la débâcle… d’abord à la dissolution du parti communiste, Guingouin a ramené tout le matériel du parti communiste à Saint-Gilles-les-Forêts, dans la grange d’un de nos camarades. C’était un des premiers actes. Nous n’avons pas renié nos opinions. Et quand Guingouin a essayé de former ses camarades à une opposition contre le régime de Vichy, à ce moment nous étions parfaitement d’accord, parce que c’était les restrictions qui commençaient, C’était un peu les libertés qui s’amenuisaient. Sur le fronton de notre école on avait supprimé « liberté, égalité, fraternité ». Cela avait frappé beaucoup les gens.

-Qu’est-ce qu’on avait mis à la place ?
« Travail, famille, patrie ». Le sigle cher au maréchal Pétain. Et après il y a eu les restrictions avec lesquelles nous n’étions pas d’accord parce que notre région vivait des produits qu’elle fournissait. On achetait que ce qui n’étaient pas produit chez nous, les huiles, le sucre, et puis les habits. Il n’y avait plus moyen de trouver un pneu pour notre vélo. Enfin c’était les restrictions ! C’était la misère qui s’instaurait, pendant qu’ailleurs on vivait normalement. Les tenants de l’argent, de la finance, n’avaient pas de restrictions, ils pouvaient se ravitailler comme ils voulaient. Et puis il y avait une chose, c’est que les prisonniers en Allemagne ne revenaient pas. Il y avait des familles dans la dèche parce que les récoltes ne pouvaient pas être faites, ramassées. Il y avait des familles où le père, le mari, et parfois le fils étaient prisonniers. Il n’y avait plus personne, pas de main-d’œuvre. La ferme s’arrêtait. Il n’y avait que des jeunes de 15 ou 17 ans. Parce que à 17-18 ans nous étions les plus âgés et on n’avait pas été prisonniers. Et ces jeunes, parfois, devenaient des chefs de famille. Et, vous voyez, ça ne pouvait pas marcher normalement.

-Et donc vous, votre résistance commence comment ?
Notre résistance commence, au début, à s’organiser à la reconstruction du parti communiste illégal, des groupes de trois.

-Mais la reconstitution du parti communiste, c’est déjà une forme de résistance ? C’est peut-être plus du militantisme ! C’était du militantisme, mais pour nous c’était faire quelque chose contre le régime du maréchal. Parce que nous avions des maires du parti communiste qui avaient été destitués de leur commune, qu’on avait interdits et qu’on déportait même en Allemagne à l’époque ! Alors on faisait tout pour montrer notre mécontentement et dénoncer cette affaire.

-Et le pacte de non-agression qui avait été signé entre Hitler et Staline, comment est-ce que vous, vous vous situiez par rapport à ça ?
Dans la région, on ne s’en est pas aperçu. Parce que nous on continuait le parti communiste tel qu’il était, avec notre organisation illégale. Bien sûr, il y avait des gens qui n’adhéraient plus, mais enfin le parti communiste continuait à vivre comme auparavant. On n’avait pas connu de différence avec le pacte de non-agression. D’ailleurs, il y avait des tracts qui nous expliquaient comment les gouvernements avaient refusé de s’allier avec l’Union soviétique pour une histoire de passage en Pologne, qu’on n’avait pas acceptée. Nous avions une mission française qui était en en Russie à l’époque, en Union soviétique, pour s’allier contre le régime de Hitler, contre le fascisme et ça n’a pas abouti. Et puis d’un seul coup on a pensé que Staline n’avait pas voulu être dupe.

-Et est-ce que ça ne vous gênait pas, justement, un peu, pour dénoncer le fascisme ?
Bien sûr, je vous dis même que des camarades nous ont quitté à l’époque. Mais on a continué à se battre pour le même idéal, sous une autre forme… On ne s’est pas battu au nom du parti communiste, on a essayé, avec le Front National de créer une autre chose où tout le monde pouvait adhérer, où tout le monde pouvait se battre.

-Alors le premier embryon de mouvement auquel vous participez, c’est quoi ?
Eh bien le premier mouvement ça été…Guingouin, son premier travail a été, quand il a été démobilisé, de parcourir la campagne et de retrouver les anciens adhérents du parti, d’essayer de les réorganiser, ensuite de créer des groupes de trois, etc. Mais, au début, de recommencer à faire une liaison avec des forces qui existaient. Ou qui pouvaient exister ! Mais seulement, ce qu’il y avait ? Il y avait des jeunes de 18 à 20 ans qui n’avaient pas été prisonniers et il y avait des vieux éclopés de la guerre de 14-18 dans les campagnes qui servaient de vieux militants.

-Donc c’est là-dessus que vous vous êtes appuyés au début pour grossir les effectifs…
Pour grossir les effectifs et faire un noyau de résistance. On avait une machine à écrire, notre ronéo, et on distribuait des tracts en dénonçant la trahison du maréchal Pétain qui s’était mis à genoux, quelques jours après l’armistice, devant Hitler1. À ce moment on voyait très bien qu’il y avait quelque chose qui n’allait pas. D’un côté on nous disait qu’Hitler et Staline étaient les mêmes, mais d’un autre côté on enfermait les communistes. Et le régime de Pétain envoyait la police chez les communistes. On était perquisitionné très souvent, tout ce qui était communiste, syndicaliste, toutes ces organisations progressistes avaient été dissoutes.

-Et, puisque le parti communiste était interdit, vous essayez de créer quelque chose de nouveau. Et vous parlez du Front National. Qu’est-ce que c’est le Front National ?
Le Front National a été créé par le parti communiste, par des socialistes, des militants syndicalistes, et par des gens de bonne volonté pour essayer de former une organisation qui puisse un jour se battre contre ce régime. Et puis le Front National est devenu l’organisation politique des Francs-Tireurs et Partisans français.

-Et vous, quand vous commencez à travailler, à essayer de mobiliser la population, vous savez d’ores et déjà que vous êtes estampillé Front National ?
On ne parlait pas encore de Front National. On n’était pas dupes, en haut lieu, on nous accusait de « menées communistes ». J’ai été condamné pour « menées communistes ».

-Combien êtes-vous au début ?
Au début… c’est difficile à dire, parce que dans l’illégalité c’était difficile à recenser. On n’avait pas un nombre fixe. Un jour on disait oui, un jour on disait non, mais on était contre ce régime…On ne voulait pas encore s’engager dans une lutte qui vous amenait en prison ou dans les camps de concentration.

-Pour vous le premier moyen de résister, dans cette région, c’était de prendre le maquis ?
Non. Mais on ne prenait pas le maquis encore à l’époque. On essayait d’organiser les gens, de créer une organisation capable de contrecarrer ce gouvernement, d’empêcher les réquisitions par exemple, de faire des manifestations contre ce pouvoir.

-Et les maquis, c’est à partir de quand ?
Les maquis, c’est déjà une histoire qui est loin. J’ai été arrêté en 1941 sur dénonciation. Mais on ne parlait pas encore de maquis. Il y avait des gens qui vivaient dans l’illégalité, qui sillonnaient nos campagnes et qui étaient en relation déjà avec des gens organisés. Et petit à petit ça formait un noyau. Et ces gens-là ont même donné des cadres. Nous avions par exemple des Allemands, des Autrichiens qui étaient avec nous, et puis des républicains espagnols qui étaient souvent engagés avec nous.

-Ça veut dire que, avant les maquis, de toutes parts se créait une organisation …
Le mécontentement, il fallait travailler sur le mécontentement qui existait pour essayer de faire comprendre que ce régime n’était pas ce qu’il fallait, au contraire ! C’était pour nous, nous engagez contre le régime nazi .

-Vous n’êtes pas encore dans le maquis, donc vous gardez une façade légale, que vous n’êtes pas dans la clandestinité.
Non. Nous n’étions pas dans la clandestinité. On vivait normalement, on travaillait dans la journée, on se réunissait, on faisait nos tracts, on les distribuait les jours de grandes réunions, quand il y avait des foires dans les bourgs, dans les communes…

-Quel soutien trouviez-vous auprès de la population ?
La population ne voulait pas se montrer. Il y avait une réticence, surtout chez les femmes, parce que la propagande sur les journaux… on voyait souvent des noms de communistes arrêtés. Les anciens maires, par exemple, des syndicalistes, des gens qui avaient fait des manifestations qui étaient arrêtés. Il n’y avait plus aucune liberté. Les juifs étaient mis dans des camps, emprisonnés.

-Et par la suite, quand il y a eu les maquis, quel rôle ont joué les populations locales auprès de ces maquis ?
Mais les populations locales avaient été tellement brimées, souvent spoliées, de leurs biens, elles avaient changé d’avis ! Elles n’étaient plus pour ce gouvernement parce que le gouvernement était assujetti à l’Allemagne. Hitler et Pétain ce n’est plus que les mêmes. Laval prenait des mesures draconiennes contre les populations.

-Et les relations entre les maquis et la population ?
Elles ont fonctionné assez bien. Mais seulement il y avait une classe assez aisée qui a soutenu tout de suite le gouvernement de Vichy. D’ailleurs; quand on a été arrêté, ça se passait au mois d’octobre 1941, il y avait de gros, gros, à Sussac, qui étaient venus à la bascule pour peser des pommes de terre qu’ils chargeaient dans un grand camion, pour partir faire du marché noir… Ils ont bu beaucoup, à leur aise, et se sont saoulés, ils ont chanté, tout en se glorifiant qu’ils étaient cette fois débarrassés des communistes et qu’ils pourraient faire ce qu’il voudraient. Et ça, ça se savait. C’était au vu de tout le monde.

-Il y avait des tensions entre ceux qui voulaient s’enrichir et les communistes qui voulaient les contrecarrer.
Oui. D’ailleurs Guingouin a signé : « le préfet du maquis ». Quand il mettait des amendes à ceux qui trafiquaient dans le marché noir.

-Guingouin s’était autoproclamé « le préfet du maquis » ? ou c’est comme ça qu’on l’appelait ?
Je crois bien que c’est lui-même qui s’est proclamé, pour avoir un peu plus d’autorité, « préfet du maquis ». Parce que les décrets qu’il signait, en tant que « préfet du maquis », c’était pour la condamnation des fauteurs de marché noir et des trafiquants de ce que la pauvre population produisait.

-Et il pratiquait aussi des réquisitions ?
Oui, mais il payait. La plupart du temps c’était payé. Il faut dire que, quand il y avait un collaborateur ou un gros richard qui s’était un peu trop enrichi, il était sanctionné.

-Il était dépouillé de ses biens…
Non, il n’était pas dépouillé de ses biens, mais il avait une forte amende. Ou bien quand il fallait, pour le ravitaillement, on allait plutôt chercher chez un collaborateur que chez un ami. Parce que de l’autre côté, quand il y avait des réquisitions, (il y avait une commission dans chaque commune assez importante), on n’allait pas toujours chez les plus riches pour réquisitionner le matériel pour l’envoyer en Allemagne. Ils avaient des amis eux aussi ! C’était un peu le retour de la chose.

-D‘une certaine façon, le maquis imposait une loi ?
Oui, une loi. Il avait même taxé les denrées, le beurre, les pommes de terre. Je me rappelle plus les prix, mais la viande aussi était taxée.

-C’était taxé ou les prix étaient indexés ?
Non, non, non, c’était taxé par le maquis.

-Il y avait un prélèvement?
Les prix étaient taxés. On ne devait pas dépasser ce prix ! Les prix qui étaient pratiqués par le marché légal étaient même au- dessus du prix imposé par le maquis. Le prix légal… plus personne ne vendait au prix légal parce qu’il était tellement bas que les gens camouflaient leurs marchandises et les vendaient à un prix fort à ceux qui en manquaient. À ceux qui avaient faim.

-Et qui avaient de l’argent aussi…
Et qui avaient de l’argent, bien sûr !

-Quel a été le rôle des paysans auprès des maquis ?
Les paysans, auprès des maquis, c’est toujours pareil. Les gros propriétaires qui avaient un peu collaboré, qui étaient un peu sanctionnés par le maquis, n’étaient pas d’accord avec lui. Mais le petit paysan qui savait que le maquis le défendait en taxant les gros, il était content. Si bien qu’il y a eu un retournement, et que une majorité s’est trouvée pour le maquis, chez les petits, dans le peuple.

-Et là, la confiance de la population était gagnée ?
La population s’est retournée. Mais seulement il y avait eu beaucoup de gens qui avaient suivi le gouvernement dès le début, dès 40-41. Nous, quand on a été arrêtés… on a été arrêtés et torturés toujours par des Français ! Jamais par les Allemands. Parce qu’on n’était pas occupés ici. C’était des Français qui faisaient ce sale boulot… Et ça a laissé des traces parce que ces gens-là étaient bien payés, ils pouvaient nourrir leur famille, leurs enfants et mettre même de l’argent de côté. Quand il y a eu ce retournement, ils étaient quand même un peu embarrassés. Et passer d’un côté à l’autre c’était peut-être un peu difficile quand on était connu. Un dénonciateur, par exemple, qui avait touché de l’argent pour faire arrêter telle ou telle personne, ça se savait. Mais ils restaient, ces gens-là, et ils étaient obligés de continuer à servir le régime. On a même eu, dans notre région,, moi je n’en ai pas vu, mais on l’a entendu souvent, beaucoup de gens vous diraient qu’on a entendu parler le patois limousin dans les rangs SS ! (Long silence)

-Qu’est-ce ce qui se passait pour ces dénonciateurs,?
Eh bien ils étaient jugés. Le maquis jugeait ces traîtres, parce que pour le maquis, ils étaient devenus des traîtres à la nation. Parce qu’il faut considérer que les Allemands ne restaient pas sur place quand ils venaient en force, qu’ils sillonnaient les villes et les villages pour montrer leur occupation (parce que la France après novembre 42 a été occupée, la France a été entièrement occupée) ou pour montrer leur force, qu’ils sillonnaient, qu’ils faisaient des rafles pour ramasser les juifs, qu’ils ramassaient tous ceux qui avaient été dénoncés. Dans les villages, ils ont été directement chez les gens arrêter telle et telle personne. Ils ne l’ont pas deviné ! C’était des gens qui les avaient dénoncés ! Les juifs, ils étaient déjà recensés, mais on allait directement chez eux et même directement chez ceux qui les avaient cachés ! La population était coupée en deux et au fur et à mesure que le temps avançait, que l’Allemagne ne gagnait pas la guerre, et que Pétain perdait de son pouvoir, la population changeait de camp.

-Et pour les traîtres, quand ils étaient jugés, quelles étaient les condamnations ?
Les peines pouvaient varier. Quand il y avait des preuves que les questions étaient très graves, les peines allaient très fort, pouvaient aller jusqu’à la mort. (Silence) vous savez la Résistance avait eu tellement de victimes qu’il fallait quand même corriger un peu cet état de choses. Donnant-donnant. Il y a des mouchards connus qui ont été fusillés ou qui ont disparu. On ne peut pas le nier ça, ça se sait. Mais c’était un peu normal. Même si la famille est honnête, et même après si ça a créé d’importantes dissensions… il fallait y passer. Il y avait eu des positions de prises. Un communiste, quand il avait été arrêté… nous quand on a été arrêtés… C’est que le mot de communiste était difficile à porter pour nos familles et pour nous ! Moi je suis resté, après les tortures, grand invalide. J’ai fait 11 mois d’hôpital et de sana , tout en étant en prison… (Silence) Il fallait qu’on le fasse. On ne pouvait pas rester inerte. Il fallait dénoncer ça. À qui pouvait-on dénoncer cet état de choses, sinon à la Résistance. Et il fallait que la Résistance sévisse, pour éviter d’autres victimes.

-Vous ne pensez pas qu’il a pu y avoir des jugements arbitraires, des erreurs?
Ecoutez, ça arrive toujours ça ! Dans les jugements d’aujourd’hui encore. Ça c’est obligé ! Et puis il y a eu des gens aussi qui se sont déguisés en faux maquis et qui ont spolié des familles. La propagande de Vichy elle-même s’en est servie pour démontrer que c’était eux les vrais maquisards… et dont on savait très bien que c’était des gens très souvent à eux qui commettaient ces infractions !

-Les maquis, devaient faire un effort permanent pour garantir une bonne image auprès de la population ?
Il fallait ! Oui, il fallait ! Notre camarade, Pierre Magadoux a eu un de ses maquisards qui chaque soir s’en allait dans un bois. On ne savait pas où il partait, eh bien il a été arrêté, fusillé, d’après ce que j’ai entendu. Il fallait une discipline. Et cette discipline, on l’explique, et on l’impose.

-Mais ce maquisard qui partait dans les bois le soir ce n’est pas forcément quelqu’un qui trahissait les maquis.
On ne peut pas savoir… Mais quand on lui avait défendu une fois, deux fois, c’était un homme qui était perdu…

-Parce qu’il ne respectait pas les règles du maquis ?
Parce qu’il ne les respectait pas.

-Quand on entrait dans le maquis, on n’en sortait pas ?
Fallait pas ! En principe, ça n’allait pas ! Parce qu’on était considéré comme un ennemi et, souvent, quand c’est arrivé, il y avait des raisons ! Les trahisons ont toujours existé. Dans n’importe quelle armée du monde.

-Vous dites souvent que la Résistance est partie de la base. Qu’est-ce que ça signifie pour vous ?
Mais ce sont les petits, les humbles, qui sont partis les premiers. Ce sont eux qui ont les premiers souffert des restrictions, de tout ce qui se passait. On ne s’en prend jamais, vous le voyez bien maintenant, (sourire) ont ne s’en prend jamais à un riche, on sent prend toujours au plus pauvre. Dans une usine c’est pas le contremaître qui est viré le premier, c’est toujours le petit, le plus faible. Vous voyez qu’on n’a rien changé malgré tout ce qu’on a fait. C’est pour ça que, aujourd’hui, c’est la grande déception de toutes les personnes qui l’ont vécu.

-Vous, vous êtes déçu aujourd’hui ?
Ah oui !

-Qu’est-ce qui vous déçoit ?
Ce qui me déçoit ? Mais tout ! C’est l’avenir. Nous avons fondé des familles, nous avons des petits-enfants qui ne peuvent pas trouver d’emploi aujourd’hui. Et pourtant il y a du travail ! Mais on nous a bouffé les usines, la corruption existe partout et on ne s’en prend pas à ces gens-là ! Donc que feront nos petits-enfants ? Ils vont aller à l’école pourquoi faire ? On ne peut pas accepter ça ! Le patronat a transporté tout à l’étranger, toutes nos usines. Nous n’avons plus rien maintenant. Nous sommes un pays pauvre. C’est l’ouvrier qui a perdu tout ça ?

-Et comment vous pensez que ça peut changer ?
Après, ça c’est une autre histoire. (sourire). Je ne suis pas assez malin, je constate. C’est tout.

-Et quand vous en parlez à vos petits-enfants, qu’est-ce qu’ils disent ?
Mes petits-enfants, c’est peut-être spécial, mais ils disent que j’ai raison ! (Sourire). D’ailleurs mes enfants, mes petits-enfants sont engagés.

-Donc ils s’engagent pour que les choses changent.
Naturellement ! Il faut se battre aujourd’hui ! Il faut se battre plus que jamais.

-On va revenir un petit peu sur notre sujet, combien d’hommes comptait le maquis au début ?
Difficile à savoir. C’est très difficile. Les vrais maquis, ceux qui ont été réellement dans le maquis, on ne peut pas savoir exactement. Par contre ceux qui ont aidé le maquis sont très nombreux. On a donné de cartes d’anciens combattants, mais on les a données à ceux qui pouvaient prouver 90 jours de combat, de présence au combat. Mais, après le Débarquement, tout le monde, tous les valides, sont passés au maquis. Tous ceux qui n’étaient pas noyés dans la collaboration, évidemment…

-Après le Débarquement il y eut un soulèvement populaire?
Oui, ça été un soulèvement populaire. Toute la population aidait, les femmes et les enfants…

-Donc, dans le Limousin, juste avant ou après le Débarquement, vous comptiez combien d’hommes dans le maquis ?
Pfff. Moi je ne peux pas dire. Je ne peux pas dire. Parce que, vous savez, nous étions la base. Nos chefs étaient des personnes qui voyageaient, mais nous nous étions au combat, on ne se rendait pas compte. On formait des régiments un peu partout, dans toutes les villes. C’est incroyable, à la libération des villes, la population qu’il y avait ! À la libération de Limoges, il a peut-être 20 000 hommes qui y étaient ! Mais parmi ceux qui avaient été réellement dans le maquis depuis le début on ne peut pas savoir exactement le nombre.

-Quelles ont été les techniques de combat spécifiques au maquis du Limousin ?
Les actions ont été, premièrement, les embuscades contre les Allemands, quand ils sortaient de Limoges, des grandes villes, pour aller spolier dans les campagnes. Il y avait des embuscades de montées dans les bois, dans des carrefours, dans les villages. Les Allemands recevaient des rafales de fusil- mitrailleur, les maquis se sauvaient. Il leur fallait ramasser les morts, cela provoquait la démoralisation de l’armée allemande.

-Et donc c’était vraiment une technique. Vous attaquiez et vous vous retiriez immédiatement.
Immédiatement. Parce qu’on n’avait pas la force de maintenir l’attaque contre une force bien supérieure, bien armée et bien éduquée à faire la guerre.

-Ces techniques de guérilla n’étaient pas des techniques classiques, d’où est-ce que vous les teniez ?
Je crois que c’est une tradition, tous les révolutionnaires ont vécu ça, dans tous les pays.

-Et en France il y a une tradition de cela ?
Oui ça a existé. Il y eut des révoltes de paysans dans le Limousin2.

-Vous pensez que les techniques de combat de la Résistance s’inscrivent dans la lignée de ces révoltes paysannes ?
Oui, c’est une suite. Amplifiée par l’occupation de l’ennemi qui pillait le pays.

-Quel a été l’apport du STO 3 pour les maquis ?
Très fort. Très fort. Ça a gonflé d’un seul coup les maquis, mais ce n’était pas des soldats, ils n’étaient pas éduqués, il fallait leur apprendre pourquoi on se battait dans les maquis. Il y avait toute une éducation à faire, parce que ceux qui venaient c’était surtout, la plupart du temps, pour ne pas partir en Allemagne. Ils n’étaient pas faits pour se battre.

-Comment en faisiez-vous dès combattants, comment les formiez-vous?
Eh bien on les formait, on les mettait dans des groupes déjà formés et on les encadrait avec ceux qui étaient déjà là.

-Il y a à la fois une formation idéologique et une formation de combattant…
Oui, il y avait une formation militaire, savoir se servir d’une arme, mais il y avait une formation idéologique, savoir pourquoi on se battait. Et pourquoi il fallait se battre.

-L’une ne va pas sans l’autre ?
Non.

-Dans les maquis du Limousin quelles étaient les priorités du commandement vis-à-vis de l’ennemi, de la population et des hommes du maquis ?
C’était attirer la population à une autre idée, que la guerre n’allait pas toujours durer, qu’il y aurait un jour un changement. Surtout à partir de 42-43, on voyait que l’Allemagne allait être battue, on voyait que les Alliés se renforçaient et on voyait qu’il y aurait un changement. Alors il fallait se préparer à tout ça.

-On dit que Georges Guingouin avait une grande conscience, faisait très attention au fait de ne pas perdre d’hommes sur des actions.
Oui, oui, il était très à cheval là-dessus. C’était sa personnalité mais c’était surtout sa façon de commander, parce qu’ il ne voulait pas les engager dans des actions qui pouvaient être périlleuses.

-Toute action inutile était donc à éviter ?
À éviter ! Il ne fallait surtout pas s’engager dans un combat perdu à l’avance. Il Fallait faire la guérilla. Taper dessus et se sauver avec le moins de pertes possible.

-Et vous ne faisiez jamais de prisonniers ?
Chez nous il y eut quelques prisonniers, mais ça c’était plus tard, c’était en 44. On avait des prisonniers.

-Et est-ce que, parfois, il arrivait que…
Ici même ? Je sais qu’à Sainte-Anne il y a eu un prisonnier de fait, quand Magadoux a pris une automitrailleuse aux Allemands, il y a eu un prisonnier qui a suivi la Résistance par la suite. Bien sûr, il n’a pas été envoyé au combat.

-Est-ce que les consignes étaient de faire des prisonniers ou de tuer des Allemands ?
Au début, quand on faisait la guérilla, c’était tuer ! On n’y allait pas pour autre chose. Quand on s’installait avec un fusil- mitrailleur sur une route et qu’on tirait dessus, c’était pas pour autre chose que pour tuer, tuer et détruire le matériel.

Plus tard…

-Vous étiez sur le point de nous parler de vos déceptions
Oui, un jour, il y a une quinzaine d’années de cela, j’étais encore vice-président départemental de la FNDIRP, c’est-à-dire des déportés, la section départementale des déportés. Ce jour- là, je remplaçais un porte-drapeau. On est parti de la préfecture pour aller au jardin des Carmes où il y a le mémorial à la Résistance. A la préfecture, il y avait la foule, beaucoup de monde. Quand on est arrivé sur la place un peu plus haut, on vient me dire qu’il y a un certain Cave-Rivière qui est dans la manifestation, avec les officiels, qui marche en tête… Alors vous pensez si ça peut faire plaisir ça, c’est celui qui m’avait torturé, qui m’avait envoyé près d’un an à l’hôpital et qui a fait de moi un grand invalide ! Il a été décoré de la Légion d’honneur par le maire de Limoges. Il était dans la foule. Eh bien j’ai dit à un de mes amis : « tu vas prendre le drapeau et quand on va arriver au monument je vais lui faire son affaire ». Et je vous assure que je l’aurais sorti. Il était devenu une personnalité importante ! Mes camarades et d’autres ne se sont pas battus pour ça ! Un gars qui m’a torturé toute une journée à Châteauneuf. Regardez les traces (il montre son bras) et j’en ai d’autres les côtes, et tout . Et le voilà parmi les officiels. Ça je ne digère pas ! Je n’ai pas digéré ! Heureusement pour lui, quand on est arrivé au champ de foire il avait disparu

-C’est une personne qui n’a jamais été inquiétée ?
Non. Il a même été décoré, je vous dis, de la Légion d’honneur ! demandez à Mme Montaudont (c’est la responsable de l’ANACR pour la Haute-Vienne), elle connaît l’affaire. Elle ne vous dira pas non. Et je l’avais vu une autre fois ! J’étais en Dordogne, on commémorait la libération du camp de Mozac, où j’avais été. On inaugurait une plaque, etc.. Quand on était prêt à dévoiler la plaque, on était quatre anciens résistants du camp de Mozac, qui avions vécu à l’intérieur du camp. On devait dévoiler la plaque. Il y a un homme qui est sorti de la foule, il a dit : « attendez Messieurs, j’ai quelque chose à dire ». Il y avait des personnalités, député et sénateur, il y avait le sous-préfet du coin, là-bas, alors il y a un bonhomme qui est sorti et il dit : « avant de commencer cette cérémonie je demande que telle personne sorte parce qu’elle est responsable de la déportation de sept à huit personnes ». Je l’avais vu ça, et je voulais en faire autant à Limoges. Je n’ai pas eu l’occasion, je regretterai longtemps.

-Vous avez encore de la haine pour cette personne ?
Mais ce n’est pas de la haine, ni de la vengeance ! C’est que cette personne, les siens et ses amis, il faut qu’ils sachent son passé, ce qu’il a été, ce qu’il a occasionné et ce qu’il a fait subir à nos camarades. Parce que je n’ai pas été le seul !

-Vous n’avez aucune envie de vengeance contre cette personne ?
C’est pas de la vengeance. Je ne voulais pas le tuer, mais devant tout le monde je voulais lui faire honte.

-Vous vouliez qu’on sache qui il était vraiment ?
C’est pas mérité ? Parce qu’on a pu commettre une faute, une faute politique de jeunesse ou ce que vous voudrez, mais après on ne change pas de veste, on ne change pas de bord de cette façon. On est des hommes ou on n’en est pas ! Moi j’avais un idéal à 18 ans et à 88 ans j’ai le même. Cette personne n’est pas un homme. Ce n’est pas de la haine, mais c’est la mémoire qui est là ! Et nos camarades qui ont été massacrés, qu’est-ce qu’on en fait ? Bafoués de cette façon. Je ne l’admets pas ! (Silence) C’est comme ça.

-Revenons aux maquis, si vous voulez bien. Justement, par rapport à ces actions, et à ces embuscades sur les convois allemands, on sait que dans la région il y eut énormément de représailles sur les populations locales. Pensez-vous que c’était dû essentiellement à l’action de la Résistance ?
Non, parce que même où il n’y a pas eu d’actions de résistance il y a eu les mêmes sévices et les mêmes exactions de la part de l’occupant ou des miliciens, surtout des Français ! parceque il faut vous dire que les Français étaient plus mauvais que les Allemands ! Les Allemands s’en foutaient, ils avaient perdu la guerre et la plupart le savaient.

-Et qu’est-ce qui rendait les miliciens plus mauvais que les Allemands à votre avis ?
Parce qu’ils n’admettaient pas la défaite, et parce qu’ils avaient des comptes à rendre. Parce qu’ils n’ont pas tous été décorés de la Légion d’honneur après la guerre…

-Vous avez été arrêté assez tôt, en octobre 41, c’est ça ? Est- ce que vous avez été trahi ?
Oui, on a été dénoncé. Par un ami, par un voisin.

-Dans quelles conditions avez-vous été arrêté ?
Eh bien par la police spéciale contre les « menées communistes », créée à l’époque par Pucheu4, en août 41, contre les « menées communistes ». Alors il a fait un droit draconien, parce que avant août 41, un gars qui aurait distribué des tracts, qui aurait distribué des papiers, il aurait été condamné à quelques mois de prison. À cette époque, ces lois, c’était les travaux forcés, parfois la mort. Les travaux forcés ou la prison, condamnés à de longues peines.

-Et vous, vous avez été arrêté pour quoi, exactement ?
J’ai été arrêté pour « distribution de tracts et menées communistes depuis un temps indéfini ». Parce que celui qui nous a dénoncés nous avait vus ensemble, avec Georges Guingouin, la veille, dans la nuit, à quatre heures du matin, et il nous a dénoncés comme pouvant savoir où il était et ce qu’il faisait.

-Pour avoir caché des armes aussi.
Oui, dans mon dossier il y avait : « recherche d’armes ».

-Ce qui signifie que vous êtes arrêté aussi en tant que résistant.
Oui, parce que c’est un peu la chinoiserie, si on peut dire, des lois qui, d’un côté disaient que le parti communiste n’était pas résistant… Et moi j’ai une carte d’interné résistant qui date de août 1941 et en tant que communiste! D’un côté le parti communiste, depuis le pacte germano-soviétique5, n’était plus français, il se battait alors pour qui ? D’un autre côté on disait que les communistes n’ont commencé la bagarre qu’après l’entrée de l’Allemagne en URSS. Vous le lirez partout, dans les journaux, dans les directives et les lois…

-Donc avec l’invasion de l’URSS par le IIIe Reich en juin 41 vous êtes arrêté en tant que communiste résistant.
Et ma carte d’interné, ma carte nationale d’interné résistant parle de août 1941.

-Les personnes qui vous arrêtent sont donc des Français.
Oui. Je n’ai eu affaire qu’aux Français, jusqu’en 44, où je me suis bagarré contre les Allemands.

-Les personnes qui vous ont torturé, c’est aussi des Français ?
Toujours.

-Quel type de tortures subissez-vous ?
Tout ce qu’il y avait de plus ignoble ! Depuis le coup de matraque sur la tête jusqu’aux coups de pied dans les côtes, jusqu’à être déshabillé. Les pires sévices qu’on puisse imaginer, qu’un être humain peut infliger à son prochain…

-Comment faites-vous pour tenir face à la torture ?
Eh bien parce qu’on a un idéal ! Et qu’on nous avait appris qu’il ne fallait jamais dénoncer son prochain ! On me battait pour me faire dire où était Guingouin, où était caché le matériel d’imprimerie, pour dire où étaient les caches de Guingouin. Parce que Guingouin était dans l’illégalité, lui, depuis avril 1941. Pour me faire dire où il se cachait et puis tout un tas de choses. Toujours dans le même sujet.

-Les tortures, vous les avez endurées combien de temps ?
Elles ont duré une journée à la salle des fêtes de Châteauneuf, trois jours à Limoges.

-Ça veut dire que, pendant quatre jours, vous avez réussi à ne rien dire ?
Oui, mais la torture c’est une chose. Mais l’après torture c’est bien pire. Quand vous êtes dans une cellule, à Limoges ou ailleurs, couvert de sang, à ne pas pouvoir bouger, ne pas pouvoir faire ses besoins, n’avoir aucun secours, être privé d’habits, de tout, ça c’est terrible, de vivre dans sa crasse. .. Et on nous a fait vivre ça ! Mais ça c’est personnel, je l’ai avalé, n’en parlons plus. Je suis là aujourd’hui. Parce que ceux qui le faisaient, ils le faisaient pour un salaire, ils le faisaient pour vivre, pour faire vivre leurs enfants. Ça donne à réfléchir!

-Ils le faisaient comme un métier ?
Mais gardien de prison, c’est un métier ! Pour la moindre incartade ils vous tapaient dessus. Les policiers, c’était bien leur métier ! Les gardiens du camp de Mozac c’était bien leur métier !

-Et ils prenaient du plaisir à le faire ?
Certains oui. C’était du vice ! Je crois que certains étaient heureux !

-Vous pensez que ceux qui sont encore là y pensent aujourd’hui encore ?
Je me pose la question…

-Vous avez perdu beaucoup de proches ?
Oui. J’ai perdu beaucoup de camarades en prison. J’en ai perdu beaucoup dans les combats en Dordogne, sur le front de la Rochelle. Hélas, ils ne sont pas là aujourd’hui pour vous le dire. Moi je peux. Eux ne peuvent pas. Et la plupart avaient 20 ans !

-Et quand vous témoignez comme ça, vous parlez pour eux aussi ?
Surtout ! Parce que moi je ne suis pas à plaindre, je suis là, je vous parle. Je vous dis ce que j’ai vécu mais eux ne peuvent pas vous le dire… Moi j’ai vécu 60 et quelques années depuis. Eux n’ont pas vécu ! Même si la vie a été dure, même s’il a fallu se battre… Mais quand on fait partie du peuple, de la petite classe, on est fait pour se battre. Il faut se défendre et on se défendra ! Chaque fois on est enfoncé un peu plus…

-C’est une lutte pour la survie ?
Oui, on pourrait le dire, presque.

-C’est pour ça que, après votre évasion, vous êtes retourné au combat ?
Oui, mais même dans le camp j’ai participé à l’Organisation, j’étais un des chefs de l’Organisation dans le camp de Mozac6.Et quand on s’est évadés, la Résistance extérieure nous a aidés et on les a rejoints le jour même.

-Donc vous êtes sorti du camp et vous avez rejoint le jour même la Résistance ?
Au combat !

-Vous n’avez pas eu besoin de prendre un peu de repos ?
Non, non, non. On tenait le coup dans le camp. Il fallait tenir le coup. Mais nos camarades que nous avons rejoints dans la Résistance nous ont mis 15 jours-3 semaines, au repos, tranquilles, quoi… nourris.

-Vous disiez que c’est difficile de reparler de tout cela ?
Parce que ça nous ramène longtemps en arrière. (Silence). Si on réfléchit, c’est pour rien !

-Pourquoi le faites-vous alors ?
Parce que c’est mon devoir ! C’est mon devoir de parler de tout ça ! Il y a la mémoire de mes camarades qui sont derrière.

-Quand vous reparlez de tout cela, intérieurement vous revivez des choses ?
Bien sûr !

-Ça vous empêche de dormir parfois ?
Maintenant moins… Mais il y eut bien des nuits de cauchemar. (Silence prolongé).

-Et la récompense de votre engagement dans la Résistance ça a été qu’on vous a proposé de partir en Indochine !
Oui !

-C’est ironique ?
Eh oui, c’est l’ironie du sort ! Écoutez, j’étais un petit paysan à Saint-Gilles-les-Forêts. Je m’étais tiré de la terre, j’avais une invalidité, je ne pouvais pas travailler trop dur. L’armée, j’étais officier, j’avais obtenu le brevet militaire et tout. On m’avait rabaissé au grade de sous-lieutenant, mais pour moi, à 24 ans, c’était pas mal. Je pouvais continuer. Être dans l’armée ou ailleurs… Au moins là, ça pourrait me faire vivre. Mais seulement il y eut une loi, en 46, que tous ceux qui étaient issus, tous les officiers de la Résistance, qui étaient issus de la Résistance devaient partir en Indochine. Parce qu’ils faisaient la guerre là-bas notre gouvernement de l’époque !… qui avait été mis en place à la Libération, il faisait une guerre que nous venions de gagner contre les mêmes que nous ! Les soldats qui avaient libéré la France du fascisme, de Pétain, qui avaient instauré en 46 un nouveau régime dont nous étions quand même partie prenante, faisait une guerre contre ce que nous venions de terminer, contre des gens qui voulaient se libérer eux-mêmes, qui se battaient pour chasser le colonialisme de chez eux, qui voulaient être libres chez eux ! Alors j’ai refusé de partir !

-Vous n’êtes pas parti vous battre en Indochine ?
Non. J’ai refusé et on m’a mis à la porte de l’armée. Avec, je ne me rappelle plus bien, un mois de salaire. On n’appelle pas ça salaire dans l’armée, une solde, un paiement, quoi ! Et voilà, je suis revenu et il me fallait recommencer ma vie.

-Comment l’avez-vous recommencée alors ?
Eh bien il faut avoir un peu de courage. Essayer de faire quelque chose.

-Mais qu’est- ce que vous avez fait ?
Ce que j’ai fait ? C’est pas difficile à dire, quand j’ai été démobilisé, la première chose que j’ai faite, j’ai été voir Guingouin qui était maire de Limoges, il m’a fait entrer à la ville de Limoges. Mais ça ne me plaisait pas beaucoup, je me suis marié entre-temps, mais j’aimais pas trop être tenu. J’avais un caractère spécial. Je n’ai pas fait un retour à la terre, mais un retour dans ma région, et j’ai fait plusieurs métiers. J’ai fait commerçant, j’ai fait entrepreneur de travaux publics, je me suis appris à travailler !

-Et qu’est-ce que vous gardez de cette expérience de la Résistance ?
Comment vous dire ? ce n’est pas une expérience. C’est un combat commun mené à un moment donné de sa vie. Et ons’en est sorti, parfois. D’autres n’ont pas eu cette chance. C’est un engagement.

-Et cet engagement vous l’avez fait perdurer ?
Toujours. Je n’ai jamais baissé les bras et je me suis toujours battu contre plus fort que moi.

-Vous continuez aujourd’hui?
Oui quand l’occasion se présente. Il faut bien continuer à se battre, parce que si vous transmettez la mémoire, c’est ma vie, c’est ma mémoire de la Résistance, c’est la mémoire du combat qui continue à se perpétuer.

-Quand vous transmettez votre témoignage vous avez l’impression de lutter contre l’oubli ?
Je reçois beaucoup de collégiens, de lycéens, d’élèves. Je leur parle, je leur explique mon vécu parce que je voudrais les armer pour qu’ils ne connaissent pas la même chose. Pour qu’ils apprennent à se battre, mais peut-être d’une autre façon.

-Vous voulez les armer psychologiquement ?
Il faut ! C’est ce qui leur manque. Tous ces jeunes, aujourd’hui, qui font des conneries dans les rues, qui cassent, qui font n’importe quoi, qui attaquent des vieux, s’ils avaient été armés d’un idéal conforme à ce qui serait nécessaire pour qu’ils vivent bien, ils n’auraient pas ce point de vue. C’est pas de leur faute la plupart du temps. C’est la société qui est pourrie.

-Vous pensez qu’il leur manque un idéal pour lequel ils puissent combattre ?
Il leur manque quelque chose, oui. Ils ne savent rien de leur histoire. Même pas celle de leurs parents.

-On peut vivre sans Histoire ?
La preuve. C’en est une, je crois.

-Qu’est-ce que vous trouvez dans le contact avec les jeunes?
Je trouve beaucoup de choses. Ils veulent savoir ! Et ils veulent savoir des choses qu’on ne leur explique pas ! Qu’on n’a pas expliqué à leurs parents ! Dernièrement, il y a un père d’un gosse qui m’a dit : « aujourd’hui mon fils sait ce qu’a été la Résistance, moi je ne l’ai jamais su ». Alors ça lui a manqué, et peut-être que dans la vie ça lui manque !

-Vous pensez qu’il est aujourd’hui des parents qui peuvent redécouvrir la Résistance à travers le regard de leurs enfants ? Pas à travers leurs enfants, mais à travers ce que leur enseigne l’Histoire. Parce qu’on est resté une quarantaine d’années qu’on n’a rien dit sur la Résistance. Au contraire tout ce qui pouvait être néfaste à la Résistance était écrit en grosses lettres et partout, sauf bien sûr dans notre presse, ou dans notre… dans l’histoire de nos camarades qui l’expliquent parfois dans des livres.

-Vous avez peur du révisionnisme ?
J’ai très peur, j‘en ai même souffert.

-A quel niveau ?
(Sourire) Au plus haut niveau. Au tribunal de Limoges. J’ai reçu des livres de révisionnistes, et pas des moindres, en France… des Français. J’ai eu un… je ne peux pas me battre à mains nues, alors j’ai porté ça à la gendarmerie. La gendarmerie a envoyé ça au procureur, le procureur a entamé le processus et c’est monté au tribunal de Limoges. Il a été condamné à six mois et à un tas d’amendes, à six mois de prison.

-Six mois fermes ? Il les a faits ?
Non, il a fait appel. L’appel a été jugé, ça été jugé à Bordeaux et, là, j’ai été débouté. Et si j’avais pas eu les organisations de Résistance qui m’ont aidé, eh bien aujourd’hui il faudrait que j’aille chercher mon pain…

-Vous pensez qu’il y a un réel danger qu’on essaie de modifier l’Histoire ?
La preuve ! la preuve ! Ce danger existe et il existe autour de nous. E il prend de l’ampleur avec Gollnisch qui est maintenant député européen.

-Qu’est-ce que vous pensez qu’il doit rester de la Résistance ? Ce qu’elle a été ! Elle a été un grand moment de notre Histoire. Que des hommes, seuls, forment une armée pour chasser l’occupant et l’ennemi intérieur, il faut le faire !

-Quand vous dites que vous voulez qu’il reste de la Résistance ce qu’elle a été, c’est-à-dire dans ses heures de gloire mais dans ses moments plus sombres aussi ?
Les faces les plus sombres, c’est quand elle a été victime d’exactions. Les faces de gloire, c’est quand elle a libéré Paris, quand elle a libéré Limoges, sans effusion de sang.

-La libération de Limoges sans effusion de sang, vous pensez qu’on la doit à Georges Guingouin ?
Ca s’est produit dans beaucoup d’autres villes d’ailleurs, mais enfin on la doit à la Résistance parce que s’il n’y avait pas eu la Résistance, il y aurait eu les exactions allemandes que l’on a vu dans ses derniers retranchements, quand elle est passée à Tulle, quand elle est passée dans notre région,la Das Reich, qui allait contre nos Alliés, qui a détruit Oradour-sur-Glane.

Oradour a payé pour la Résistance ?
Elle a payé les exactions commises par un ennemi de la Résistance.

-Mais il y avait une volonté chez cet ennemi de dissuader, les résistants de l’attaquer…
Pas spécialement, parce qu’il y a des endroits où il n’y avait pas de résistance et où il y eut des fusillés, ou il y eut des morts. Prenez l’exemple des juifs. Ils ne se sont guère battus7, sinon dans le centre de la France, ils ne se sont guère battus. Ils n’ont pas fait comme le peuple français, le peuple de base. Ils ne se sont pas battus en armée, et voyez le génocide qu’il y a eu. Ils n’avaient pas fait de mal aux Allemands ! Ils sont venus en chercher une soixantaine à Châteauneuf… et ailleurs !

-Pourquoi est- ce que vous pensez que le Conseil National de la Résistance et son programme est un des événements majeurs de la Résistance ?
C’est un événement majeur pour l’après-guerre. C’était pour gouverner le pays après la guerre. Toutes les solutions étaient presque données pour faire un gouvernement qui gouvernerait autrement que ce qu’il y avait eu avant. Dans le Conseil National, tout le monde était d’accord quand on a décidé, mais par la suite i il y en a beaucoup qui ont lâché ! Et quand il a fallu agir, très peu qui ont répondu présent. Il y a eu beaucoup de personnalités membres du Conseil National qui se sont retrouvées de l’autre côté et qui n’ont pas voulu agir ! Contrairement à ce qu’ils avaient promis de faire au Conseil National, pour gouverner le pays.

-Vous pensez que cela aurait pu changer la face du pays ?
Sans doute, sans doute.

-Ce programme et l’idéal qu’il promeut?
Oui. Et puis j’ajouterais que ce programme il pourrait être d’actualité aujourd’hui.

-Plus que jamais ?
Plus que jamais ! (Sourire)

-Vous auriez pu obtenir, après la guerre, de nombreux titres honorifiques. Apparemment vous avez refusé les médailles ?
Oui, j’ai tout refusé.

-Vous pouvez me dire pourquoi ?
Je vous ai expliqué ce que j’ai vu. J’ai parlé de mon vécu tout au long de mon chemin, j’ai vu des médaillés. Et quand on regarde le dessous de la médaille, c’est de la pourriture. Pas tous, faut pas mettre tout le monde dans le même panier, mais il y en a.

-Vous pensez qu’accepter une médaille est quelque chose de terrible ?
Oui. Parce qu’on doit lui faire honneur. Il faut l’avoir d’abord méritée et on doit lui faire honneur. Et on doit être fidèle à ses engagements.

-Vous, apparemment, d’après ce que vous me disiez, vous auriez pu avoir une médaille et la porter.
Et me mélanger avec eux ? Avec les traîtres ! Jamais ! Je suis propre ! (long silence)

-Et pour finir, qu’est-ce que vous pensez qu’il restera de la Résistance ?
Je pense que ce qui restera, c’est ce dont nous avons parlé. Il restera historiquement de belles choses : un mouvement qui était formidable et qui a fait honneur au peuple de notre pays. Parce que ce n’est pas qu’en Limousin. C’est dans toute la France qu’il y eut la Résistance et avec nos différences, avec nos différences à tous les niveaux. Mais il y avait un but. Et ce but ne se perdra pas.

Louis Gendillou témoigne devant un groupe de vacanciers

Louis Gendillou discute avec plusieurs amis.Il se tourne vers celui de droite.
C’est Charles Boulange qui a intercepté un groupe de 180 gendarmes et qui les a amenés tous au maquis. Alors la plupart sont rentrés dans le maquis. Mais ça, c’était déjà le 6 juin. Le vent tournait. Beaucoup sont entrés dans le maquis et ils ont formé des cadres. Les gendarmes étaient quand même capables de faire un chef de section, de savoir se battre. Ils avaient des notions militaires que nous on n’avait pas. Alors ils ont tous étés nommés, ceux qui ont voulu se battre… parce que il y en a beaucoup qui n’ont pas voulu. Ils ont été hébergés là-bas à Sussac et même au Poumeau. Beaucoup ont aidé la Résistance parce que, nous, on n’avait pas le savoir ! Juste avant la Libération de Bordeaux, ceux qui descendaient la vallée de la Dordogne, dont je faisais partie, on était nombreux d’avoir une compagnie à nos ordres et de pas avoir fait de service militaire ! Et c’était difficile à se présenter au combat. Tant qu’il y avait les embuscades ça allait, on était capables de le faire… mais à la Libération, les combats contre les Allemands… Pour former un régiment il fallait quand même des cadres qui sachent se battre. Alors on a trouvé ! Il y avait pas mal de réfugiés espagnols, il y avait même des réfugiés italiens qui étaient chez nous. Moi, à ce moment-là, j’étais à la direction de la 206e compagnie. On m’a nommé commissaire politique à cette compagnie, mais sans formation militaire ! J’étais là en tant qu’officier pour encadrer les soldats et leur expliquer pourquoi ils se battaient, pourquoi il fallait se battre, et tout ça. Voilà ce qu’a été l’armée des Francs-tireurs… parce qu’aujourd’hui on vous parle des réseaux, on vous parle des organisations de la Résistance… Nous quand on s’est battus, on n’a jamais connu ces gens-là ! Malheureusement il s’est produit une chose, c’est que quand on libérait un pays, quand on libérait une ville de 20 000 habitants comme Bergerac…Je parle de ce que j’ai vécu, on chassait les Allemands, on les a chassés le long de la vallée de la Dordogne jusqu’à Bordeaux. On a libéré Bergerac, mais on a laissé toute l’administration… qui était vichyste et où il y avait beaucoup de collaborateurs ! Et c’est ces gens-là qui ont fait l’épuration ! Et quand il y a eu des femmes tondues, pour des histoires qu’on ne va pas détailler, tout le mal qui a été fait, a été fait par des anciens collaborateurs ! Des résistants qui se sont trouvés résistants après nous. Et pendant qu’on se battait, ils menaient une belle vie et ils faisaient la loi. Voilà ce qui s’est passé ! et nous on a supporté tous les méfaits de ces gens-là ! C’était des « résistants » ! Même ceux qui étaient entrés au mois de septembre ! Si bien que, encore aujourd’hui, il faut se battre, parce qu’il y a des gens qui ne se sont pas du tout battus. Je ne parle pas de tout le monde, parce qu’il faut quand même pas exagérer, ceux qui avaient 12 ou 13 ans à cette époque-là… Mais ceux qui ont 80 ans et un peu plus, qu’on nous raconte pas d’histoires aujourd’hui ! Ils ont collaboré jusqu’à la fin ! Ils ont pris la place des notables qu’ils ont virés dans les villes. Ils ont dirigé ces villes, ils ont fait l’épuration et ils ont gouverné !

-Les gendarmes ralliés ont servi de cadres?
C’était des gars comme moi, qui avaient 20 ans à l’époque, 22 ans, qui étaient devenus des officiers. On a eu aussi beaucoup d’étudiants qui nous ont rejoints, parce que, en 1944, déjà ils avaient 20-22 ans et ils avaient été, ils avaient fait des études, souvent. Ils nous secondaient bien, parce que moi j’avais fait toutes mes études à Saint-Gilles-les-Forêts… c’est pas que je les ai mal faites, sans doute, (sourire) c’est le colonel Guingouin qui était mon instituteur ! Mais je n’avais pas atteint, enfin j’avais à peine, le certificat d’études. On n’était pas capables de diriger une armée, de faire certaines choses. Alors il nous fallait des gars un peu plus formés.

-Comment faisiez-vous pour nourrir les maquisards?
La population aidait beaucoup. Il y avait des bouchers qui réquisitionnaient des veaux. Et à partir 43, il faut dire que le pays était presque entièrement libéré. De temps en temps les Allemands sortaient en grande formation, pour supprimer le maquis, pour attaquer le maquis.

-Et la répression…
Quand les Allemands sont venus pour faire la rafle des juifs, on s’est battu un peu dans la région à ce moment-là. Il y avait une division allemande qui parcourait la campagne, en formation. Mais à ce moment, il fallait se tailler. Quelques coups de fusils mitrailleurs en passant, et puis on se sauvait. Parce que c’était très difficile, on ne pouvait pas se battre contre ça. Mais là ça a été terrible parce que ils arrivaient dans des villages, comme Châteauneuf, ils avaient une liste établie à l’avance et ils allaient directement chez les gars, qui étaient les légaux, qui avaient été dénoncés comme tels. Ils se trouvaient encore chez eux et les Allemands y allaient directement. Il y avait des juifs qui étaient hébergés et ils allaient les ramasser. 61 ont été arrêtés et 39 ne sont pas revenus, exterminés à Auschwitz. On les a amenés et on les a plus revus. Ça se passait comme ça. Mais le maquis ne pouvait pas se défendre contre l’armée allemande à ce moment-là. Il n’était pas assez puissant. Il n’a pas pu livrer bataille qu’à partir du 17 juillet 44 quand le haut commandement allemand, depuis Clermont, a décidé de liquider « la petite Russie » qu’ils appelaient les maquis de Georges Guingouin, dans le Limousin et la Corrèze. Alors une armée est venue par Tulle, une autre est montée par Brive, une autre par Limoges, la milice est venue, 200 personnes, par Limoges, pour attaquer à Châteauneuf, et d’autres sont venus par Clermont. Ils avaient cerné cette région parce qu’ils savaient que dans cette région il y avait des milliers d’hommes armés. Il y avait eu un parachutage le 14 juillet, presque sous leur nez, au Clos, juste en face, là. En plein jour. Alors ils voulaient détruire le maquis, coûte que coûte. Et la division Das Reich… pas la division Das Reich, c’est la division Von Jesser. C’est lui qui commandait, je crois . Alors ils ont commencé par attaquer La Croisille. Ils voulaient fermer entièrement cette région. Et le colonel, Georges Guingouin voulait sauver son parachutage. Parce que, quand même, il y a 800 tonnes qui ont été parachutées ce jour-là, le 14 juillet. C’était difficile à disperser toutes ces armes qui étaient dans des containers, là- bas dans les champs, avec des charrettes… fallait les amener à la forêt, il fallait sauver ces armes avant que Les Boches arrivent. Et ils étaient à proximité. Le 16 juillet et le 17 ils ont attaqué, en montant de La Soula. Mais là, ils ont été repoussés,ils n’ont pas pu pénétrer dans la forêt. Les maquisards avaient pris une automitrailleuse. C’était à Sainte-Anne.Ils l’avaient réparée, ils ont fait un prisonnier même. Elle était à La Vialle, au château de La Vialle. Et c’est là qu’ils ont contre-attaqué, à La Croisille, et ils ont bousculé les Allemands avec l’automitrailleuse. Les Allemands ne savaient pas d’où ça leur arrivaient ! Ils s’attendaient pas à ça ! Les Allemands ont été bousculés mais ils sont revenus plus forts, en forçant. Et puis l’automitrailleuse a été détruite. À La Croisille, il y a une stèle… où deux camarades sont enterrés.

-Pourquoi les armes ont-elles tant tardé à venir ?
Il y avait certains, on a parlé de ces réseaux, de ces groupes, qui étaient imaginaires à l’époque et qui recevaient beaucoup d’armes… Et ils s’en sont jamais servis ! Mais ceux qui se battaient, le peuple, le petit peuple, les ouvriers, ils étaient censément pas de la même opinion ! On n’a jamais voulu les armer, ceux-là. Et ce n’est que quand la mission anglaise qui a été parachutée ici à Sussac s’est aperçue de l’importance de l’armée du colonel Guingouin qu’on a décidé de l’armer. Parce que ça leur a rendu bien des services quand la Das Reich est montée de Montauban pour aller sur le front de Normandie. Elle a mis 48 heures, ici, à se battre contre les groupes de maquisards. Et peut-être ça a sauvé un peu quelque chose là- haut… et ils se sont aperçus qu’on pouvait armer ces maquis. Guingouin, on ne le connaissait pas. On n’a pas dit que c’était un Franc-tireur partisan8, on a montré des groupes organisés qui n’étaient pas des Francs-tireurs et on les a trompés un peu… Si bien qu’il a eu des parachutages en pagaille. Et il fallait sauver ces parachutages ! Il y a eu quand même quelques petits parachutages avant. On a eu des armes en 43, des mitraillettes.
En juillet, 72 forteresses ont parachuté…

-Combien de jours a-t-il fallu pour récupérer tout ce qui avait été parachuté? Et n’y avait-il que des armes dans ce parachutage? Il y avait quelques mortiers je crois, et quelques armes lourdes, un peu, quelques mitrailleuses et surtout des fusils-mitrailleurs. Les armes de l’infanterie. Quand le colonel a sauvé ces armes pendant la bataille qui s’est produite ici9, quand il a ordonné de reprendre les positions de guérilla ça a demandé plusieurs jours.

-Quand les Allemands sont arrivés le 17 juillet vous étiez encore en train de récupérer tout l’armement.
Oui, c’est difficile de récupérer tant de matériel et de le planquer, il n’y avait pas les moyens qu’il y a maintenant. Aujourd’hui on se déplace facilement, à l’époque avec les vieux chemins on passait avec une charrette traînée par des vaches. Alors on y mettait un container dessus, mais ça n’allait pas vite. Quand on avait fait un voyage sur la forêt de Châteauneuf c’était fini dans la journée !

-Donc toutes les armes ont été dispersées.
Pas toutes, pas toutes.

-On dit que les Anglais ont largué des parachutes qui étaient de couleur bleu- blanc -rouge, pour faire honneur à notre fête nationale c’est vrai ?
Oui, ils étaient Bleu-Blanc-Rouge.

-Vous avez réussi à récupérer les armes, mais après que s’est- il passé ?
Eh bien après, la Résistance a repris ses positions de guérilla, elle a continué son travail. Les Allemands sont partis, ils ont rejoint leurs garnisons à Saint Léonard et à Limoges. Et puis ici ça s’est retrouvé assez libre. Et un mois après, les Allemands étaient poursuivis par la guérilla jusqu’aux portes de Limoges. D’ailleurs on s’est battus aux portes de la ville. Quand il y avait un groupe d’Allemands qui sortaient, ils étaient mitraillés. La capitulation 10  a été signée et nous avons pris Limoges

-Y avait-il des femmes dans vos maquis?
Il y avait des femmes, surtout pour faire des agents de liaison et traverser les endroits dangereux, parce que les femmes passaient beaucoup mieux que les hommes. On voyait passer une femme, ça allait. On voyait passer un homme c’était pas trop normal.
Il faut leur rendre hommage, parce que dans leurs ménages aussi elles ont fait un travail formidable pour nous aider ! Quand on arrivait dans un village il y avait des repas, il y avait à manger. Et surtout elles avaient appris aux gosses de ne rien dire ! Parce que, à l’école, un enfant aurait dit qu’il avait vu un maquis, d’autres l’auraient fait parler, et ça pouvait être très dangereux. Les femmes françaises ont été formidables ! Marcel, on allait dans les maisons et puis on nous donnait à manger.

-Pouvez-vous nous dire comment Guingpuin a commencé à organiser la Résistance?
Tout à fait au début c’était l’organisation par trois, c’était à partir de 1940, quand on commençait de poser les premiers germes. Un jour, celui qu’on appelle Rol11, le colonel (Il n’était pas colonel à l’époque mais il faisait déjà fonction de chef parce que avant-guerre il était un militant communiste), quand le parti a été dissous il a amené tout le matériel du parti à Saint-Gilles.. Le pacte germano-soviétique c’est une chose, mais ici on ne l’a pas connu. Ce que Guingouin a essayé de faire c’est de rassembler ses anciens militants qui avaient appartenu au parti communiste et de continuer à se bagarrer, à se battre, mais principalement à s’organiser. C’est comme ça qu’on a fondé les groupes de trois. Dans chaque commune il y avait des cellules avant-guerre. Il y a été, ou alors il a envoyé des missionnaires contacter les camarade, pour essayer d’en trouver d’autres et créer une chaîne. Mais il fallait que ça soit très fractionné parce que les gens parlent et la moindre parole…Le parti communiste avait eu déjà tous ses maires révoqués, ou emprisonnés, des militants étaient poursuivis et il ne faisait pas bon dire qu’on était communiste parce que c’était la prison, c’était les camps de concentration ! Nous en avions un à Saint-Germain-les- Belles, et tout ceux qui n’étaient pas d’accord, les syndicalistes, toutes les organisations, à partir de 1940 ont été interdits : le parti communiste, les syndicats. Il n’est resté que la Légion, fidèle au maréchal. Et il fallait prêter serment. Voilà comment les groupes de trois dont vous avez parlé se sont formés, dès le début, et après, dans chaque commune, ça allait depuis le canton de Saint-Léonard, Saint-Germain-les- Belles, Eymoutiers, Treignac même, Châteauneuf-la-Forêt, toute cette région. Il a parcouru toute cette région pour retrouver quelques-uns de ses anciens militants, ses anciens camarades. II envoyait des messagers pour les contacter, pour former une organisation capable, non pas de se battre, parce qu’on ne parlait pas de se battre encore, mais on parlait de s’organiser, de former une opposition. Voilà le but qui était défini dans les années 40, même jusqu’à la fin 41. Alors, bien sûr, toutes les précautions étaient bien annoncées. On avertissait bien les camarades : bouche cousue. Même en famille. Il n’y avait que celui qui participait au début. La famille,, même les enfants, parce que dans une famille il y avait des gars qui étaient partis au maquis et personne n’a jamais dénoncé personne. Il fallait faire très très attention. La police sévissait, et non seulement la police, mais il y avait tous les valets de Vichy. Parce que avec sa police, ses légionnaires et tous ses petits amis… Parce que, au début il faut dire qu’on n’était que quelques-uns ! Même des anciens camarades refusaient ! Ils ne voulaient pas entendre parler. Parce que quand on voyait que le maire de Sainte-Anne par exemple, ici à côté, avait été arrêté, et les conseillers de la municipalité d’Eymoutiers, les communistes, avaient été embêtés, certains arrêtés… Le docteur Flécher a été obligé de se cacher. Il avait été révoqué de Maire. Alors vous savez, il fallait faire attention et surtout pas parler. Écouter et pas parler. Et voir où était l’ennemi, le dénonciateur. Parce que faut pas oublier qu’en 40, presque tout le monde était pétainiste. Il avait promis de faire entrer les prisonniers de guerre. Les gens y ont cru. Alors c’était « vive Pétain ». Et puis qu’est-ce que vous voulez, la politique aidant, il y avait beaucoup de gars qui le soutenaient. Même des gens de gauche ! Oui, même des gens de gauche ! Il n’y avait que certains qui osaient dire non au régime de Vichy. Mais n’allez pas le dire à haute voix parce que vous étiez écoutés et vous étiez surveillés et dénoncés. Voilà la situation.

Donc au début on essayait de nous regrouper entre nous, avec des tracts qu’on distribuait la nuit, qu’on fabriquait avec le matériel qui avait été entreposé dans une grange, chez mon camarade Anita, à Saint-Gilles-les-Forêts, pour éduquer un peu tout le peuple. Alors il fallait fabriquer ces tracts. Il fallait les distribuer la nuit, et malheureusement, ceux qui étaient pris se retrouvaient en prison. Il fallait être très très prudents. Mais il n’était pas encore question de se battre ! Il a été question de se battre début 41, quand le Front National a été créé. Le Front National de lutte contre Vichy qui a récupéré les opposants syndicaux, politiques, etc. Et ce Front National est devenu l’organisation armée des Francs-tireurs et partisans français. Mais ça mis très longtemps à s’organiser ! On n’organise pas un peuple comme ça, quand 80 % sont pétainistes, au début. Il faut comprendre l’état d’esprit de ce moment-là.

-Vous n’aviez pas envie d’en découdre ?
Mais non, et puis il y avait aucune possibilité. Les gendarmeries étaient au service du gouvernement de Vichy, de l’occupant. On n’avait rien. Alors ils réquisitionnaient, avec des commissions qu’ils avaient formées dans les communes. Il y avait des commissions qui s’occupaient les réquisitions… et vous savez celui qui était catalogué un peu de gauche, qui avait été socialiste ou communiste, ses plus belles vaches partaient les premières ! Alors on dénonçait cet état de choses. Il fallait résister aux réquisitions. Ne pas donner, trouver une raison pour ne pas donner. Mais c’était très difficile.

-Est-ce que les gens arrivaient à comprendre ce qui vous animait, le but de votre action ?
On s’apercevrait que les gens comprenaient, mais il fallait qu’ils soient touchés. Premièrement il fallait leur dire que Pétain et sa clique, Laval, leur avaient menti en ne faisant pas rentrer les prisonniers. Premier mensonge. Première déception des gens. Toutes les libertés, les partis politiques, les syndicats, tout cela était supprimé. C’était une chose qui ne pesait pas beaucoup, mais on n’avait pas le droit de faire des rassemblements. Pas de bals pour les jeunes. Il y en avait quelques uns qui avaient 18 ans, ils auraient aimé sortir… Il n’y avait pas moyen. Pour leur vélo, ils ne trouvaient plus… il fallait un bon, pour un pneu. Donc il fallait marcher à pied. Pour une paire de galoches il fallait des bons. Si vous étiez bien avec les notables qui étaient dans une mairie, vous les aviez tout de suite, mais certains ne pouvaient jamais en avoir. Les gens comprenaient, d’autant plus qu’ils étaient touchés !
Il n’y avait pas d’armes, parce que même les fusils de chasse avaient été déposés dans les mairies. C’est une brimade ça aussi ! Quand il a fallu donner les fusils dans les mairies, ça a vexé les gens ! On n’ouvrait pas la chasse, tout était fermé. C’était une brimade, parce que certains braconnaient un peu, dans les bois pour le ravitaillement.

-Au début vous habitiez chez vous ou vous aviez des caches, dans les forêts, ou ailleurs ?
Ah, ça c’est venu beaucoup plus tard. À ce moment c’était l’organisation, chacun travaillait de son côté, on évitait de se faire connaître. La nuit on allait distribuer des tracts pour avertir la population, les veilles de foires, pour les distribuer dans les bourgs. Je me rappelle, d’une fête religieuse qu’il y avait eu là, sur le Mont Gargan. Ça se passait le 10 mai 40-41, il y avait un grand rassemblement religieux, il y avait des images pieuses, mais il y avait aussi bien la photo de Laval, de Pétain, que des trucs religieux. On savait pas lequel était le bon-Dieu ! (rires) On y a distribué 1500 tracts. Sous chaque buisson on avait des tracts et quand on s’est approché des baraques des gardiens, il y eut des chiens, des molosses qui nous ont fait voir les dents. Alors vite on a fait demi-tour. Mais il y a eu quand même une grande distribution de tracts, qui dénonçait ce régime, tout ce qu’il faisait de mal pour les gens.

-Question à la fille de Georges Guingouin, Michèle Guingouin.
-Quand,
exactement, votre père a-t-il pris le maquis?
Mon père était secrétaire de mairie à Saint-Gilles en tant qu’instituteur et il avait fait des faux papiers, des fausses cartes d’identité… Et ce qui devait arriver arriva, un jour un de ces Messieurs qui portait une fausse carte d’identité, a été arrêté et c’était facile d’identifier d’où venait cette carte d’identité. Donc mon père a été obligé de quitter Saint-Gilles très vite, et après avoir caché la ronéo qui permettait de tirer des tracts, la première cache c’était au printemps 41, c’était en Corrèze, à la Soudaine la Vinadière, Pas très loin de chez Georges Queuille où il avait creusé un trou dans une sapinière. C’était l’hiver, il fallait qu’il y ait des feuilles aux arbres, il fallait trouver un endroit propice. Et la première planque, elle s’est trouvée du côté de Soudaine la Vinadière. ça n’a pas duré très longtemps, parce que les propriétaires sont venus voir comment poussaient les sapins, le 1er mai 41, et ont découvert la cache. Alors heureusement, les gendarmes se sont pas dérangés le 1er mai, ils sont venus que le lendemain, mais entre-temps, trop tard, tout le matériel pour tirer les tracts avait disparu. Donc la première planque, a été faite au printemps 41, en Corrèze, a Soudaine la Vinadière.

Question à un autre témoin.

-Vous avez continué à être coiffeur tout en ayant rejoint le maquis ?
Non, j’ai rejoint le maquis définitivement. Mais il y eut des enquêtes quand même, il y eut des enquêtes… je sais qu’on avait des amis, il y avait un monsieur qui vendait de la toile et qui passait tous les ans à la maison. Alors je lui ai fait une lettre comme quoi qu’il l’a renvoyée d’Égletons. Quand les gendarmes sont venus, ils sont venus plusieurs fois à la maison, et on leur a montré la lettre qui était partie d’Égletons. « Où il est votre fils ? », ils demandaient à ma mère – parce que j’avais perdu mon père en 1936 -. Alors elle a dit : « regardez, on a reçu cette lettre qui est partie d’Égletons ». Alors les gendarmes ont dit : « on va aller le chercher là-bas », alors que j’étais à la maison ! Ça dépend, les gendarmes étaient peut-être un peu moins méchants que les G. M. R.

Commentaire divers des témoins.
-oh,
ils étaient tous pareils !
-Jusqu’au moment où ils ont été désarmés !
-là ils ont tourné du bon côté on l’a vu… quelques-uns.

-Vous parlez des G.M. R., vous pouvez dire ce que c’est ?
Groupes mobiles de réserve, du temps de Pétain. C’est ce qui a remplacé les gardes mobiles, et c’est eux qui accompagnaient dans les mairies quand on recevait les tickets de ravitaillement.
Et à la fin ils sont venus nous aider ! (rires de tout le groupe de résistants)

-Comment et par qui avez-vous été arrêté?
C’est un copain qui a dénoncé notre activité. Il avait surveillé nos va-et-vient, en particulier celui d’Anita qui était très proche de Georges et le mien, et il savait tout ce qu’on faisait. Pas tout, mais enfin… Et puis la police est descendue. Il y avait des tractions qui sillonnaient toute la région. Il y en avait une dizaine dans la petite commune de Saint-Gilles. On a été arrêtés le 6 octobre 1941 avec perquisitions chez nos familles, chez Anita, chez mon père, chez d’autres chefs, chez les Bourdaria, chez les Montagnac, et puis partout il y en a eu. Mais ils n’ont pas trouvé grand-chose. Seulement nous, on a été arrêtés. Et comme il avait dénoncé, il nous avait vus avec Anita et le père de Mme Guingouin, ensemble, il fallait qu’on dise où il était, parce qu’on était censés le savoir. Et là la torture a commencé. Et je suis, j’étais en bonne santé et j’en suis sorti,…après, après avoir fait de la prison et tout, après avoir fait 11 mois d’hôpital de sana étant emprisonné… J’en suis sorti étant un grand invalide. Ça ne m’a pas empêché de devenir vieux mais voilà ce que la police française pouvait faire.

-Et ce type quel a été son sort après son arrestation ?
Je ne sais pas ce qu’il est devenu. Il a disparu corps et biens. Louis Anita. Louis Anita. Moi j’ai été condamné à cinq ans de prison, lui a attrapé 15 ans de travaux forcés, mais ils avaient été à Sussac. Bourdaria, Debouteille ont été arrêtés, et soumis à la prison, etc. Mais c’est nous qu’on a pris le plus dur parce que on avait été vus, il y avait un témoin qui me disait, à Limoges, au poste de police (moi j’étais tout plein de sang, depuis deux jours, je n’avais pas pu me changer, ni me laver, ni rien), il me disait : « mais Louis tu leur dis où est Guingouin et où sont les machines et tu verras qu’il nous laisseront tranquilles ». Il voulait me faire croire qu’il était une victime lui aussi. Et il avait même laissé un écrit, une autre dénonciation qu’il avait envoyée à la gendarmerie de Magnac et qui avait été ensuite à la préfecture de Tulle, contre les « menées communistes » de la région. Et il disait qu’il pourrait leur expliquer beaucoup de choses sur les allées et venues des communistes. Cette lettre a été publiée dans le livre de Georges Guingouin : « Quatre ans de lutte sur le sol Limousin ».

-Ce monsieur, votre ami Anita y a laissé la vie, lui.
Oui, il est rentré de déportation et il est mort au bout de quelques mois. Il est rentré pour mourir. Moi j’ai beaucoup plus de chance, j’ai été hospitalisé presque tout de suite après mon arrestation. Et quand je suis arrivé au camp de Mozac, je ne faisais plus que 42 kilos, on m’a apporté sur un brancard à l’hôpital de Bergerac.J’avais passé au tribunal militaire à Périgueux. On m’a transporté là, j’étais mourant et puis je me suis requinqué. Au camp de Mozac je me suis retrouvé avec plus de 1500 détenus ! 1500 ! Les uns pour les affaires comme moi, mais il y il y en avait pas beaucoup, d’autres simplement pour avoir dit… C’était une prison militaire, il n’y avait que des militaires. C’était la prison militaire de Paris qui s’était réfugiée là-bas. Et comme on avait passé devant un tribunal militaire, on était sous le coup des lois militaires. Alors on nous a hospitalisés dans un quartier militaire de l’hôpital, et on nous a soignés comme n’importe quel prisonnier. Bien sûr, notre dossier à suivi, j’ai eu la chance de tomber sur des médecins qui étaient juifs, ils ont vu mon dossier, j’étais pas comme un vulgaire détenu de droit commun. Et après cinq mois d’hôpital à Bergerac, on m’a envoyé dans un sana, près de Périgueux et là je suis resté six mois, jusqu’au moment où on m’a considéré comme guéri. Peut-être pas guéri, enfin la maladie stationnait et on a décidé que je pouvais subir les effets du camp. Et je suis revenu au camp d’où j’étais parti dès le premier jour. Dans le camp mon premier travail ça était de retrouver des copains qui étaient là, parce qu’un communiste, quand il arrivait dans une prison ou dans un camp, il était reçu par ses camarades qui lui portaient le petit secours dont il pouvait avoir besoin. Et là, j’ai retrouvé mon organisation. Au bout de six mois j’en suis devenu le chef et, à ce moment-là, c’était la lutte armée qui commençait. L’organisation armée. On a commencé à former des groupes en vue de se libérer. J’ai retrouvé la liaison avec la Résistance de la région là-bas et puis nous avons décidé un beau jour, la Résistance a décidé, un beau jour d’aider à nous sortir de là.

-Il y avait des communications entre vous et la Résistance extérieure ?
Il y a des moyens, vous savez, un prisonnier il faut toujours s’en méfier ! Par n’importe quel moyen il vous trompe ! (Rires) On avait une volonté de se battre. On était pour un idéal, on voulait continuer à se battre. Ça se battait partout, la Résistance, dans toute la France et en Europe, se battait. Les Alliés s’organisaient. On voyait la fin qui arrivait. La fin de la guerre ! Ça nous donnait espoir même si ça n’empêchait pas les souffrances. Et puis, le jour du Débarquement il y a eu ordre, chez nous, le maquis a attaqué le camp et nous, à l’intérieur, on s’est rendus maîtres du camp. Alors l’extérieur a été attaqué et nous à l’intérieur on a gagné la partie.

-Le jour du Débarquement?
Le jour du Débarquement, le 6 juin, le soir même. Je l’ai su le matin à six heures. Il y avait un gardien, qui faisait partie de notre organisation, qui est venu nous voir. On avait une compagnie de Francs-tireurs, déjà organisée dans le camp dont j’étais le patron. Il a tapé à la tête de mon lit, il m’a dit : « ils ont débarqué et vous serez libérés ce soit à six heures ». Sans commentaire. Il est parti. Et le soir à six heures… Non pas à six heures, le soir à la nuit, à la tombée de la nuit.

-Vous aviez des armes ?
Quelques-uns avaient des armes.

-Même dans le camp ?
Même dans le camp, malgré les fouilles, malgré tout ce qui se passait. Mais il faut vous dire que dans le camp, le dernier mois n’avait pas été tellement terrible. Il n’y avait plus de brimades contre nous, parce qu’ils voyaient que ça se terminait. Mais seulement, ce qui a forcé la Résistance à brusquer un peu les choses c’est qu’il y avait ordre de nous emmener en Allemagne. Alors avant qu’on parte en Allemagne il fallait qu’on sorte. Et là j’ai rejoint mes anciens copains de la Résistance, les Francs- tireurs et partisans du colonel Guingouin qui étaient à Limoges, on a retrouvé des gens de la même obédience qui étaient là- bas. Et on s’est battus avec eux. Et je me suis retrouvé à Bergerac à la libération, le20 août à Bergerac à la tête de la… moi qui n’avais pas fait de service militaire, à la tête de 150 hommes de la 216e compagnie des Francs-tireurs et partisans français. Il y avait beaucoup de réfugiés espagnols, de républicains espagnols qui sont entrés dans les rangs des maquis. Et c’était, très intéressant pour former l’afflux de jeunes après le STO, des gens qui venaient au maquis pour enseigner la technique, des experts, dans ce domaine . ils étaient les formateurs des jeunes recrues.


1 Entrevue de Montoire. Le 22 octobre 1940 Pétain rencontre Hitler à Montoire et annonce qu’il « entre dans la voie de la collaboration avec l’Allemagne ».

2 Louis Gendillou se réfère aux nombreuses révoltes des XVI° (les Pitauds) et XVII° siècles (les croquants) survenues, principalement contre les impôts, en Limousin. La mémoire populaire en a gardé une trace précise.

3 Service du travail obligatoire STO, instauré en février 1943 par le gouvernement de Vichy pour aider à l’effort de guerre allemand, il impose aux jeunes nés en 1920-21-22 de partir travailler en Allemagne. Pour y échapper de nombreux jeunes rejoignent la Résistance, transformant celle-ci en un mouvement de masse. Cette décision fait aussi basculer la population en faveur de la Résistance.

4 Pierre Pucheu: 1899-fusillé en mars 1944 en Algérie après un procès organisé par le CFLN (Comité français de libération nationale). Ministre de l’Intérieur de Pétain de juillet 1941 à avril 1942, il crée les Sections spéciales et s’illustre dans la répression sanglante contre les résistants communistes.

5 Le pacte germano-soviétique est signé par Ribentrop et Molotov à Moscou le 23 août 1939.

6 Mozac, commune du puy de Dôme, près de Clermont-Ferrand

7 C’est l’avis de Louis Gendillou, mais l’Histoire le dément largement car les juifs ont été nombreux dans les FTP-MOI, fer de lance de la Résistance Armée.

8 Pour Louis Gendillou, si Guingouin a reçu des armes c’est parce que les Anglais n’ont pas su qu’il était communiste, mais aussi parce qu’ils avaient besoin de ses forces.

9 Il s’agit de la bataille du Mont Gargan, du 17 au 24 juillet 1944, bataille rendue nécessaire pour sauver le matériel parachuté. Elle a coûté 38 tués, 5 disparus et 54 blessés aux maquisards, tandis que selon leurs propres sources les Allemands ont eu 343 tués ou blessés.

10 Après avoir encerclé la ville, Georges Guingouin obtient la capitulation de la garnison allemande et entre dans la ville libérée sans effusion de sang. Il avait refusé de mener l’assaut de la ville comme le parti communiste le lui avait demandé pour éviter une effusion de sang. Cette désobéissance lui sera lourdement reprochée.

11 Il s’agit de Rol-Tanguy.