Témoignage de Serge Ravanel

Serge Ravanel , Serge Asher (1920–2009 )

D’origine tchèque par sa mère qui est venue en France pour y trouver la liberté, Serge Asher vient juste d’intégrer Polytechnique lorsque la guerre éclate. Installé à Lyon avec son école, il participe au groupe du général Cochet qui anime des discussions critiquant ouvertement la situation. Mais cela ne lui convient pas, à cause du manque d’action. En 1941 il fonde son propre groupe de résis- tance.

En janvier 1942 il devient agent de liaison à Libération-Sud et, en septembre, il rentre au comité directeur de ce mouvement créé par Emmanuel d’Astier de la Vigerie. Lorsque les trois mouve- ments de zone Sud : Libération-Sud, Franc-Tireur et Combat unissent leurs forces armées, dans le cadre des Mouvements Unis de Résistance (MUR) il devient, en juin 1943, chef national des groupes francs des MUR.

Il est arrêté à plusieurs reprises. D’abord en février 1942, mais il parvient s’échapper dès le len- demain grâce à la complicité d’un policier, puis une deuxième fois dans une souricière où sont pris également Raymond Aubrac et Maurice Kriegel-Valrimont, le 15 avril 1943. Si Lucie parvient à faire libérer Raymond, son mari, très rapidement, c’est un commando de Libération-Sud dont les membres sont déguisés en soldats allemands, auquel participent Lucie et Raymond Aubrac, qui libère Serge Ravanel et Maurice Kriegel-Valrimont le 23 avril. Il est arrêté une troisième fois le 19 octobre 1943 mais parvient à s’échapper en traversant l’Ain à la nage. Raymond Aubrac disait :« J’ai rarement vu un gars aussi courageux que Serge».

Début 1944, il est nommé chef régional à Toulouse pour y organiser une Résistance qui manque de structure. La tâche est ardue car les différents mouvements ne s’entendent guère. Cependant, Ravanel parvient à obtenir le soutien des communistes et surtout celui du Corps-Franc Pommiès. Le commandant Pommiès, à la tête de 4000 hommes, est en effet très indépendant et peu enclin à supporter une quelconque hiérarchie. Par la seule persuasion, Ravanel obtient tous les ralliements sous son autorité. Son action étant jugée efficace, il est nommé Colonel FFI, le 6 juin 1944 par le général König. A 24 ans il est alors le plus jeune colonel de France et dirige la région R4, c’est-à- dire une dizaine de départements autour de Toulouse.

A ce titre, à la tête de 60 000 hommes, il organise la libération de Toulouse le 19 août 1944. Ses troupes font 13 000 prisonniers (« c’est pas mal 13 000 prisonniers » avait-il l’habitude de dire avec un sourire). Il organise également la poursuite des troupes allemandes en retraite et s’occupe de l’organisation administrative de la ville ainsi que du ravitaillement.

Les 16 et 17 septembre 1944, la visite du Général de Gaulle à Toulouse se passe très mal. Le gé- néral ne cache pas son mépris pour ces soldats en guenilles que sont les résistants, notamment lorsque les 4000 guérilleros espagnols défilent devant lui, drapeau rouge au vent, il tourne osten- siblement la tête pour ne pas les voir.

Ravanel, accusé de vouloir établir une « république rouge» à Toulouse, est vite écarté de ses fonc- tions. Appelé à Paris fin septembre, il est victime d’un étranger accident qui le cloue plusieurs mois sur un lit d’hôpital. À peine remis, il demande tout naturellement à intégrer l’armée où il reçoit le grade de capitaine.

Cette dégradation ne le trouble pas car dit-il « je voulais servir et non pas me servir ». Cependant il supporte mal l’atmosphère engendrée par la jalousie des soldats de métier, si souvent absents de leur poste pendant la guerre, mais qui reviennent avec beaucoup de mépris et de morgue. Il démissionne donc en 1950 et entame une carrière d’ingénieur dans le civil. Il crée plusieurs entre- prises.

De 1981 à1983 il est conseiller technique au cabinet de Jean-Pierre Chevènement, ministre de la Recherche et de la Technologie puis ministre de l’Industrie.

Mais surtout Il continue son action autour des valeurs de la Résistance en créant l’Association pour les Etudes sur la Résistance Intérieure (AERI) dans le cadre de la Fondation de la Résis- tance. Il est l’inspirateur du travail de l’AE RI qui s’attache à écrire, sous forme de DVD, l’histoire de la Résistance département par département. Une quarantaine de DVD sont à ce jour édités. Il initie également une action remarquable autour des valeurs de la Résistance sur le thème « va- leurs de la Résistance, valeurs des jeunes d’aujourd’hui ». Dans plus de cent écoles, collèges et lycées cette action est menée avec l’ambition de faire travailler une classe ou un groupe d’élèves pendant une année sur une valeur choisie par les élèves à partir d’un témoignage direct ou indirect de résistant. Son objectif est d’amener les élèves à rompre leur isolement, à faire un travail collectif sur le long terme et, à plus longue échéance, peut-être, à garder l’envie de l’engagement au ser- vice de principes essentiels. Il a aussi beaucoup témoigné dans les écoles et a souvent participé aux rencontres du lycée Hélène Boucher à Paris.

Serge Ravanel est Compagnon de la Libération..

Bibliographie:
L’esprit de résistance, Seuil, 1995.
Entretien avec Henni Weill, Les valeurs de la Résistance, Privat, 2004.


L’épopée de la Résistance ?

Visite de Serge Ravanel au collège Robert Doisneau le 13 novembre 2006

39105118_pJe voudrais tout d’abord vous parler d’un homme merveilleux, c’était tout simplement le demi-frère de votre professeur. Alors ça crée un lien… elle m’a même, dans un courrier récent, appelé « mon frère », ce qui est d’une très grande gentillesse. Malheureusement, ce frère est mort peu d’années après la guerre à cause des tortures qu’il avait subies lorsqu’il a été arrêté par les Allemands. Plus tard, un de nos commandos l’a récupéré à l’hôpital de la Grave, à Toulouse, où il était soigné. Mais quelques années après la Libération, il est mort à Lyon dans des conditions assez dramatiques. *

J’ai donc été responsable des Forces militaires de la Résistance au niveau de la une région de Toulouse. Dix départements en faisaient partie. Ils étaient très différents les uns des autres, les uns ont beaucoup combattu, les autres beaucoup moins. Et certains ont fait des prodiges. Lorsque la Libération est survenue, nous avions fait 13 000 prisonniers. Ce n’est pas mal pour les petites forces que nous représentions, et 1000 tués à peu près. Donc on a disloqué et forcé à la retraite les troupes allemandes. Comment on en est arrivé là ? Quand je parle de la région de Toulouse je parle de résistance organisée, c’est-à-dire d’une organisation avec des cadres, des chefs et des liaisons avec les chefs départementaux, des responsables de ceci et de cela. C’était une résistance organisée. Or pour s’organiser on a eu besoin de quatre ans. Une organisation reposant sur plusieurs dizaines de milliers d’hommes ne se construit pas toute seule. On ne met pas les gens ensemble en cinq minutes pour qu’après ça marche seul. Ce n’est pas vrai ! Pour s’organiser, il faut apprendre, c’est-à-dire construire quelque chose. Et il nous a fallu quatre ans pour construire cela, quatre ans ! Surtout, lorsque ces quatre ans sont marqués par des interventions de la police qui nous poursuit, par des disparitions –parce qu’on ne sait pas ce que les gens deviennent ou par des déportations. Autrement dit, c’est aussi une école ! On n’a pas toujours su ce que nos compagnons sont devenus. Ils ont été arrêtés par la police, torturés, assassinés par une police qui représentait l’État allemand. Nous avions en France l’armée allemande qui était sans pitié et il y avait une police secrète qui s’appelait la Gestapo. C’est comme ça qu’on l’appelait : Gestapo. C’est le raccourci de Geheime Staats Polizei, Gestapo. Cette Gestapo était composée habituellement d’hommes habillés en civil –ils adoraient les voitures de marque Citroën que nous appelions des « Tractions avant ». Ils s’en servaient beaucoup. C’était d’ailleurs une de façon pour nous de les repérer.

Mais nous avions aussi en face de nous ce que l’on appelait le régime de Pétain, c’est-à-dire un régime français qui s’était mis en place au moment de la défaite. Vous savez que tout cela a été précédé par une défaite impitoyable, et cerégime de Pétain était un régime très politique, et qui très vite est devenu très policier. Sa police, malheureusement, a bien souvent travaillé pour les Alle- mands. Il y avait aussi une police spéciale qui s’appelait la Milice. Elle travaillait ouvertement pour les Allemands et leur livrait ses prisonniers. Ils n’avaient pas le droit de le faire !

Ils auraient dû les conserver au nom de L’État français. Ce n’est pas ce qu’ils ont fait. Ils ont livré ces prisonniers aux Allemands. Et je vais vous citer un cas très personnel. Je n’étais pas encore marié à l’époque, mais j’avais une compagne, et cette compagne avait été arrêtée par la Milice. Elle avait été transférée à Vichy. Elle était prisonnière au moment où les Allemands sont partis. Ils sont partis au début du mois d’août 1944. Eh bien, la Milice l’a remise à la Gestapo. La Gestapo l’a emmenée comme otage en lui disant: « on vous met dans la première voiture, et si la Résistance nous tire dessus, vous serez parmi les premières victimes. » Donc, elle a fait tout le voyage à l’avant d’une voiture dont on pensait qu’elle pourrait être la cible des résistants. Elle est allée jusqu’à Metz, et là, heureusement, elle a réussi à filer.

Et où a -t-elle trouvé refuge ? Elle était en pleine nuit à Metz, dans une ville où elle ne connaissait personne, personne ! Elle s’est dit : « Où pourrai-je trouver un abri, où ? » Vous vous rendez compte, vous êtes dans une ville, il n’y a pas d’éclairage, il n’y a rien, et vous circulez dans les rues et vous n’avez aucune adresse. Qu’est-ce que vous faites ? Elle a eu l’intelligence de chercher une école. Elle s’est dit : « là, au moins, j’espère qu’il y aura un instituteur ou quelqu’un qui pourra m’aider. » Et, à minuit ou une heure du matin, elle a frappé la porte de l’école. Elle ne connaissait rien. A force de frapper, l’instituteur, qui était là, a ouvert et l’a accueillie les bras ouverts. Elle est restée chez lui, jusqu’à l’arrivée des Américains. Encore une référence à l’école républicaine ! Voilà, alors je vous ai raconté cette histoire… mais jusqu’à la fin ça a été très dur.

Comment cette résistance est apparue? Il n’y avait aucune raison pour constituer une résistance dans les années 1935, la France était en paix. Il y avait bien sûr à sa frontière de l’est une dictature. Savez-vous ce que c’est qu’un dictateur ? C’est un homme qui possède tous les pouvoirs et qui ne respecte aucune loi. Il ne respecte que les lois qu’il fabrique lui-même. Ses amis, il les choisit. Les gens qu’il n’aime pas, il les met dans des camps, il les fusille, il se débarrasse d’eux ! Et ce dictateur est arrivé au pouvoir en Allemagne, appuyé par un parti qui s’appelait le parti Nazi, National socialiste, en abrégé Nazi. Et donc, avec le parti Nazi, il a réussi à prendre le pouvoir. Il n’avait pas la majorité mais s’est débrouillé, en s’appuyant sur l’intimidation de groupes armés pour prendre le pouvoir avec seulement 30% de voix. Il n’avait que 30 % de voix, mais pourtant il a réussi à être le Chancelier, c’est-à-dire le Premier ministre. Et ce Premier ministre a tout de suite verrouillé l’Allemagne avec la police. Il a, en deux ans, organisé la surveillance de toute l’Allemagne. Dans les pâtés de maison, il y avait des gardiens qui surveillaient les habitants. La liberté a disparu en deux ans et, comme il n’y avait plus de liberté, il a pu faire ce qu’il voulait. Il avait un slogan incitateur. Il avait dit aux Allemands : « nous allons préparer la guerre, et pour préparer la guerre il faut des canons, et avec les canons nous aurons du beurre. » Autrement dit, il expliquait aux Allemands qu’il ferait la guerre pour conquérir des pays entiers, par exemple l’Ukraine qui était bourrée de blé, par exemple la Crimée, par exemple des régions pétrolières. Il ferait donc une guerre de conquêtes. « avec ces conquêtes je pourrai relever le niveau de vie des Allemands. » Voilà sa méthode.

Alors, malheureusement, dans nos pays, en France, en Angleterre, on n’avait pas une claire conscience du danger. Pourquoi ? Parce que nos hommes politiques n’avaient pas l’habitude d’un tel langage, ils n’étaient pas habitués à ce que l’on fabrique des armes pour conquérir des pays. Pour des hommes politiques normaux, cela ne se concevait pas.

Lorsque Hitler a été prêt, il s’est lancé dans la guerre. Il a conquis un certain nombre de pays. Puis il s’est attaqué à la France dont il a écrasé l’armée en quelques jours. Le choc psychologique qui en a résulté a été terrible. Et en France le chaos s’est installé.

Cette défaite s’est déroulée en un temps extraordinairement court ! Cela s’est passé de la façon suivante : les Allemands étaient connus pour leur esprit d’organisation. Ils ont commencé par attaquer la Belgique et la Hollande, le 10 mai 1940. Et pendant que les troupes françaises montaient au secours de la Belgique qui était notre alliée Hitler avait fait traverser en secret les Ardennes, qui sont à droite de la Belgique, à ses blindés. Notre Etat-Major ne pensait pas que ce soit possible ! Et le 13 mai, c’est-à-dire trois jours après, les Allemands ont lancé une offensive terrible sur la ville de Sedan, terrible ! Des avions en piqué, des canons et des blindés. Il y en avait une masse incroyable qui a écrasé, littéralement écrasé, nos troupes. Il en est résulté que le flanc de l’armée française était percé, qu’elle avait disparu à cet endroit-là ! Hitler a alors trouvé devant lui toutes les routes, libres de toute défense, qu’on peut imaginer. Il a lancé ses chars sur ces routes sans trouver aucune résistance. … Les routes étaient libres et les chars pouvaient rouler comme des automobiles. En 10 jours il est arrivé à Abbeville ! Et quand il est arrivé à Abbeville, il n’a trouvé aucune résistance. Et quand il est arrivé là on peut dire que la guerre était terminée. Pourquoi la guerre était-elle terminée ? Parce que les fantassins, c’est-à-dire les soldats à pied ou en camion, ont occupé le terrain derrière les chars et en quelques jours toute une ligne allemande coupait les armées françaises en deux.

Celles qui étaient en Belgique, les nôtres, étaient isolées, c’était la pagaille, le désordre. Nos braves généraux étaient dans une pagaille invraisemblable. De plus les Allemands avaient utilisé la technique de « la guerre-éclair », ils avaient appris à combiner l’activité des chars, l’activité des avions, en particulier des avions qui attaquaient en piqué, et certains avaient en plus des sirènes, et quand ils fonçaient sur l’objectif ça faisait un bruit formidable qui effrayait. En bref avec les chars, aidés des avions, ils avaient une maîtrise technique, alors que la stratégie des Français était encore représentative de la Première Guerre mondiale.

Cette situation avait créé en France le chaos, un chaos invraisemblable, et les Français se sont sentis d’un seul coup non défendus. Ils étaient jusque-là à l’abri de leur propre armée, qui était là pour les protéger. Autrement dit, tout le pays se désorganisait, les gens étaient sur les routes, les fonctionnaires quittaient leur poste, les préfets quittaient leur poste, enfin bref c’était la panique ! J’espère que personne d’entre vous ne connaîtra jamais une telle panique.

Cela m’est arrivé une fois. J’étais dans une école, à Poitiers, quand j’ai subi un bombardement aérien. Nous étions coincés, on est descendus dans les escaliers quand il y a eu l’alerte, et dans les escaliers c’était un flux d’élèves, on était serrés les uns contre les autres et nous n’arrivions pas sortir parce que le débit de l’escalier n’était pas assez grand. On se pressait les uns contre les autres, on n’arrivait pas à sortir, on n’avançait que très lentement. Eh bien je me suis senti pris de panique ! On se dit qu’on ne peut rien faire, qu’il arrivera ce qui arrivera ! En effet, j’ai une fois dans ma vie connu une panique, eh bien c’est comme si le cerveau se démolissait, on ne comprend rien à ce qui nous arrive et on se sent prisonnier ! Cet état je ne souhaite pas que vous le connaissiez. Ca m’est arrivé une fois et aujourd’hui je suis vacciné contre les paniques ! C’est comme le mal de mer, ça vous arrive ou ça ne vous arrive pas ! Donc la France était dans un état de panique.

C’est alors qu’un homme que l’on qualifiait de providentiel, le maréchal Pétain, a été nommé président du Conseil par le président de la République Lebrun. Il bénéficiait d’une grande autorité en tant que vainqueur de la bataille de Verdun en 1916. On pensait que lui seul pouvait tirer la France du désastre. On avait besoin de calmer le pays et de lui faire reprendre confiance. Les rues devaient retrouver leur calme, l’économie et le ravitaillement se rétablir, les transports publics se remettre à fonctionner.

Il a aussitôt demandé un armistice, c’est-à-dire un arrêt des combats. A ce moment-là, les Allemands occupaient déjà une grande partie de la France, ils étaient arrivés jusqu’aux Pyrénées, à Bayonne, ils étaient arrivés jusqu’à Lyon ! Le territoire français était largement occupé par les troupes allemandes.

Lorsque Pétain a annoncé au pays qu’il avait décidé de demander un armistice, nous avons tous été traumatisés. Nous avons pleuré. C’était tellement incompréhensible. Note armée qui était considérée comme la meilleure du monde s’était fait flanquer une raclée très dure. Il y avait même le président du Conseil qui avait trouvé un slogan : « nous vaincrons parce que nous sommes les plus forts ! » C’était ridicule. Quelques semaines plus tard c’était la débâcle. Nous pensions cependant qu’on ne pouvait pas faire autrement.

Mais Pétain nous a rapidement trompés ! Nous croyions que, ayant signé l’armistice, il s’en tiendrait là. Un armistice cela veut dire arrêt des combats, On prévoyait que Hitler poserait des conditions sévères, versement d’indemnités élevées de guerre, annexion de l’Alsace-Lorraine, etc.

Mais Pétain a aussi instauré une « collaboration » avec le vainqueur, s’engageant à l’aider dans ses guerres de conquête. Cela s’est passé dans la petite gare de Montoire, où il a rencontré Hitler et lui a serré la main, le 24 octobre 1940. Le mot collaborer avait une signification claire, c’était s’allier avec l’ennemi. Et non seulement il a collaboré avec notre ennemie, l’Allemagne, mais il a fait de l’Angleterre qui était notre alliée traditionnelle un ennemi! Il a commis la forfaiture d’un reversement des alliances. Il a fait des Anglais nos ennemis et c’étaient nos alliés ! Alors que les Allemands devenaient nos alliés après avoir été nos ennemis ! C’était indigne et déshonorant. Le mot honneur intervient parce que ce sont des choses inacceptables !

Donc nous avons été entraînés dans un régime qui a collaboré jusqu’à la défaite de l’Allemagne. C’est tellement vrai que quand les troupes alliées ont débarqué en France et que la guerre s’est retournée, Pétain est allé se réfugier dans le château de Sigmaringen, en Allemagne ! Autrement dit, lui et son gouvernement ont fui en Allemagne, dans le pays qui nous avait battus ! Voilà l’indignité manifeste !

Mais ce qui est extraordinaire c’est que, dans le même temps, un général peu connu, dont on connaissait à peine le nom, de Gaulle, avait trouvé le moyen de rejoindre l’Angleterre. Celle-ci continuait de se battre, en dépit de notre défaite. Attaquée par l’Allemagne, elle s’efforçait de se défendre contre un débarquement qu’elle jugeait imminent. Ils avaient un chef d’État qui s’appelait Churchill. C’était un grand homme d’État, un pur, un dur. Il leur avait expliqué « on tiendra ! » Pourtant ils n’avaient que peu d’armes. La quasi-totalité avait été abandonnée sur le continent, leurs canons, leurs chars, leurs avions. Mais il leur restait leur flotte. Alors ça a été pendant un certain temps une guerre dont on ne savait pas qui en serait le vainqueur. Ce sont les aviateurs anglais qui ont finalement battu les aviateurs allemands.

A partir de ce moment-là, l’Angleterre était sauvée ! Ça se passait dans les semaines qui ont suivi la débâcle française. Mais Churchill avait le peuple anglais derrière lui et il disait : « on ne sait pas comment, mais on se défendra, en fabriquant des avions, en demandant aux Américains de nous aider, de nous livrer des avions. » Enfin bref, la défense de l’Angleterre est devenue la priorité. Et heureusement, parce que si l’Angleterre avait été vaincue le débarquement du 6 juin 44 qui se fit à partir de l’Angleterre n’aurait pu avoir lieu.

Le général De Gaulle avait trouvé accueil auprès de Churchill. Il était un homme d’une grande fermeté. Il affirmait qu’il fallait continuer la lutte en dépit de la défaite en métropole. Il fallait étendre la lutte à nos territoires coloniaux.

De plus, il y avait en métropole des patriotes qui disaient : « il faut y aller. » Voilà ce que c’est que l’épopée de la Résistance !

Alors qu’est-ce qui nous attendait ? Eh bien ce qui nous attendait c’était la police de l’armée allemande qui a très vite fusillé des gens. Autrement dit, les premiers résistants ce sont des gens qui ont coupé les fils téléphoniques de l’armée allemande, et quand ils se sont fait ramasser, le poteau les attendait.

Un certain nombre de gens ont compris dès le début que ce qui s’offrait à nous n’était pas du gâteau ! C’est dans ce climat que la Résistance s’est développée. Les résistants n’avaient pas d’ambition personnelle ! Ils ne cherchaient pas à gagner de l’argent ! Ils pouvaient se retirer de la lutte à n’importe quel moment, ce n’était pas un engagement militaire avec un papier signé disant : « je m’engage pour la durée de la guerre ! » Ce n’était pas comme ça ! On y allait ! Eh bien, malgré tout cela la Résistance s’est étendue, est devenue de plus en plus nombreuse. C’est la réalité qui nous a amenés à le constater. Autrement dit, le général De Gaulle, a profité du mécontentement suscité par Pétain, qui menait une politique de droite : il avait écarté les enseignants de gauche et les démocrates, il avait bien appliqué une politique antisémite qui s’est traduite, comme vous le savez, par la livraison de juifs aux Allemands et par leur massacre.

C’était cela la guerre voulue par Hitler. Savez vous combien elle a coûté ? Plus de 50 millions de morts ! 50 millions de cadavres… ça fait beaucoup !

Pendant ce temps, dans toute l’Europe occupée des individus se sont peu à peu relevés, redressés. Ça a commencé comment ? D’abord par des contacts personnels, d’amitié ou professionnels. Tel élève dans une école savait pouvoir faire confiance à un de ses amis. Il lui en parlait. Ce processus était tout aussi valable dans les syndicats où on était déjà organisés, ou dans des associations..

Des petits regroupements se sont formés d’abord. Un des pionniers en la matière est ce que l’on appelle le Réseau du Musée de l’Homme. C’est tout simplement un groupe qui s’est constitué autour du personnel du Musée de l’Homme. Malheureusement ils ont, pour la plupart, été fusillés en février 42. Il y a eu aussi le 11 novembre 1940, anniversaire de la victoire de 1918. Par des circuits mystérieux des étudiants se sont donné le mot : « Il faut aller manifester à l’Arc de Triomphe », et ça s’est répandu. Et le 11 novembre il y avait plusieurs milliers d’étudiants et lycéens qui étaient rassemblés, sans aucun mot d’ordre, tout simplement rassemblés. Ce n’était pas une organisation qui était à l’Arc de Triomphe. Lorsque les Allemands ont vu cela ils ont tiré, et il y eut des étudiants blessés, et arrêtés aussi. Mais c’était encore le début de l’Occupation et les Allemands étaient quand même moins sévères qu’ils ne le deviendront quelques mois plus tard.

Alors ceci se constitue peu à peu et on peut dire que la Résistance a été une immense école d’apprentissage. Rien, il n’y avait aucune école de résistants avant-guerre, aucune école ! Il a fallu inventer puisque rien n’existait, alors on inventait. Il y en a qui inventaient mais qui s’y prenaient tellement mal qu’ils se faisaient arrêter aussitôt. Eh bien, dans ce méli-mélo merveilleux, la Résistance s’est développée et a fait des journaux clandestins, des journaux clandestins qui ont tiré à 100 000 exemplaires en 1942, qui ont tiré à 300 000 exemplaires en 1944 ! Vous vous rendez compte de ce que ça veut dire ? Avec des imprimeurs clandestins qui travaillaient la nuit ou le week-end pour que le voisinage ne sache pas qu’ils travaillaient. Et les journaux qui sortaient clandestinement étaient transportés dans des valises puis ventilés par nos amis cheminots dans toute la France. C’était un travail fantastique ! Eh bien cela, tout cela, on l’a créé ! On ne doit pas oublier que la Résistance s’est construite autour d’hommes dévoués à l’intérêt général, de gens qui ne pensaient pas du tout à gagner de l’argent et se faire des places ! On avait des intentions nobles, on avait des valeurs, on pensait que l’homme doit être digne de sa vie. Pour cela il faut des valeurs ! Il faut que l’on puisse se dire, à l’heure où l’on disparaît : « j’ai quand même été utile à quelque chose. » Donc la Résistance a été un moment de notre vie où l’on a réfléchi pour aller dans le bon sens, dans le sens des valeurs et non dans le sens du chacun pour soi. Voilà ce que je voulais dire en quelques mots.

Questions : quelle a été votre expérience personnelle ? Pouvez-vous nous parler de vos arrestations ?

Là j’ai imaginé que, a priori, je pouvais filer. Ce n’était pas difficile parce que le standard téléphonique était un peu écarté et de là on ne voyait pas la porte, donc je suis arrivé dans un grand escalier, que j’ai descendu le plus calmement possible, je me suis retrouvé dans la rue et là ça a été le plus beau sprint de ma vie ! J’ai couru jusqu’au sommet de la rue Paradis, qui porte bien son nom, et c’est loin ! Mais je ne connaissais personne à Marseille. Cependant, un jour on m’avait donné un petit papier avec une adresse, j’ai donc cherché et je suis tombé chez quelqu’un qui m’a donné l’hospitalité.

La deuxième fois j’ai été arrêté le 15 mars 43. J’ai été arrêté parce qu’un agent de liaison… Il y avait beaucoup d’agents de liaison : on ne pouvait pas correspondre par téléphone, par lettre, ne sachant pas si une lettre ne serait pas interceptée… Nous avons dû apprendre ce qu’était la clandestinité, la vraie, c’est se couper d’avec tout le monde sauf d’une, ou deux, ou trois personnes ! C’était un catalogue de mesures qu’il fallait respecter de façon rigoureuse – Eh bien là nous avons eu un agent de liaison qui s’est fait contrôler en gare de Bourg-en-Bresse par la police. On a trouvé sur lui du courrier qui évidemment était de la Résistance. La police a immédiatement établi une souricière – la police s’installe dans le lieu de rendez-vous des résistants et arrête tous ceux qui y viennent, voilà comment fonctionne une souricière -! En ce qui me concerne, on m’avait donné rendez-vous dans un bureau au 9 rue de l’Hôtel de Ville à Lyon. Je m’y suis rendu. Il y avait des policiers qui m’attendaient. Ca s’est passé d’une façon amusante parce qu’un policier m’a mis un gros revolver sur le ventre et que, pour des raisons mystérieuses, ça ne m’a fait ni chaud ni froid. J’ai tourné le dos et fichu le camp dans l’escalier. Malheureusement, les policiers qui avaient déjà arrêté deux camarades (Maurice Kriegel-Valrimont et Raymond Aubrac !), avaient téléphoné pour qu’on leur envoie des renforts. Et je me suis heurté aux renforts qui montaient dans l’escalier. Ils étaient plusieurs. nombreux, Là j’ai reçu la plus belle raclée de ma vie ! On m’avait couché sur le dos et bombardé de coups de poing. C’était magnifique, j’avais la figure complètement déchirés et me suis retrouvé à la prison Saint Paul avec mes camarades déjà arrêtés.

A l’extérieur nos camarades s’inquiétaient parce qu’ils avaient appris que nous avions été interrogés par la Gestapo, ça voulait dire que même si nous avions été arrêtés par la police française, les Allemands avaient connaissance de nos dossiers. Ils ont alors étudié le moyen de nous faire évader. Ça c’est merveilleusement passé. Nous avons dans un premier temps, grâce à des complici- tés, été transférés dans un hôpital où il y avait des salles réservées à des prisonniers. Des gendarmes assuraient notre garde. On n’était plus derrière des murs de prison, et le 24 mai 43 un commando de la Gestapo – je vous préviens tout de suite, c’était une fausse Gestapo ! – un faux commando de la Gestapo donc, s’est présenté et nous a délivrés. Et donc nous nous sommes retrouvés libres !

La troisième fois j’ai été arrêté le 19 octobre 1943 –nous ne sommes pas très loin, puisque nous sommes le 13 novembre, de l’anniversaire de mon arrestation ! — Nous avons été arrêtés à la suite d’une imbécillité notoire. On s’était réunis dans un petit village, nous étions sept à participer à une réunion, et nous sommes arrivés tous les sept par le même train ! Alors imaginez une gare sans voyageurs où descendent sept hommes qui arrivent par le même train, qui font semblant de ne pas se connaître et se rendent dans le même restaurant. Bien entendu on nous a dénoncés ! Sept hommes qui arrivent ainsi, qu’est-ce que ça veut dire ? Nous avons été arrêtés après le déjeuner par la gendarmerie militaire allemande. Ce n’était pas la Gestapo. La gendarmerie militaire allemande était la police qui contrôlait la bonne tenue des soldats. Elle nous a arrêtés et elle nous a répartis dans les chambres de l’hôtel (le restaurant faisait aussi hôtel mais était vide, ce n’était pas la saison !) Et donc on nous a séparés les uns des autres. J’étais gardé par un gros soldat qui était assis sur une chaise tandis qu’un de ses camarades faisait les cent pas dans le couloir. J’ai décidé de m’enfuir. Je l’ai bousculé et j’ai sauté par la fenêtre du premier étage. Il y avait là le toit d’un poulailler ! Puis enfin je me suis enfui dans la nature. Par un hasard curieux j’ai été aidé par un paysan et lorsque les Allemands lui ont demandé dans quel sens j’étais parti, il a montré la direction opposée. Il faut dire qu’on était souvent aidés par la population. Et j’ai fini par me réfugier dans une immense broussaille faite de ronces s’étendant sur un terrain abandonné.

Les Allemands ne m’avaient pas vu m’y réfugier mais m’y cherchaient quand même. Heureusement qu’il avait plu car ils ont tenté de mettre le feu aux broussailles. Je savais aussi que ces gendarmes dont ce n’était pas le métier signaleraient à la Gestapo leur prise en demandant qu’elle vienne nous chercher. C’est ce qui s’est passé. J’ai entendu les voitures arriver. Les soldats qui me cherchaient s sont précipités pour las accueillir.

J’ai pensé qu’il fallait en profiter pour filer. Alors s’est déroulée une chasse à courre qui s’est terminée par une baignade dans l’Ain… et par le fait que je suis vivant aujourd’hui. Alors voilà, je crois avoir répondu.

Question : Il y a donc eu des commandos pour libérer des résistants prisonniers ?

Je viens de parler du 19 octobre ou j’ai réussi à échapper, mais le 21 octobre il y a eu une opération pour libérer un grand résistant qui s’appelait Raymond Aubrac. Raymond Aubrac avait été capturé par la Gestapo le 21 juin 1943, dans la banlieue lyonnaise, à Caluire, en même temps que Jean Moulin et six autres camarades. La Gestapo savait qu’elle avait arrêté des responsables importants de la Résistance mais ne les avait pas identifiés. Pour le savoir elle as torturés. Au bout de 48 heures elle a identifié Jean Moulin. Il a alors été affreusement torturé. Il a été transféré à Paris dans un état moribond, puis transporté en Allemagne et il est mort en route. Vous avez là un exemple de torture. C’était un homme d’une qualité exceptionnelle. Il était le représentant du général de Gaulle en France. Il a disparu comme ont disparu beaucoup d’autres camarades arrêtés.

Parmi les prisonniers de Caluire, il y a eu un cas particulier, celui de Raymond Aubrac qui avait été maintenu à Lyon alors que ses camarades étaient transférés à Paris. Pourquoi ? On ne l’a jamais su. On pense que c’est parce qu’il avait déjà été arrêté le 15 mars 43, qu’il avait déjà un dossier sur lui. Toujours est-il que sa femme, Lucie Aubrac, dont vous avez certainement entendu parler – c’est une farouche militante, résistante et à 90 ans, elle continue à aller dans les classes ! – Donc elle s’est mise dans le tête d’œuvrer pour le libérer.

Cela a réussi mais a aussi été une aventure totalement folle ! Nous n’étions pas des aventuriers, nous étions des gens qui étaient obligés de nous lancer dans l’aventure ! La direction du mouvement n’avait demandé si sa proposition méritait d’être soutenue. Elle avait un bagout extraordinaire, une autorité incontestable ! Elle a a demandé à être reçue par le chef de la Gestapo de Lyon Klaus Barbie et en est sortie libre. Alors j’ai répondu à la direction du mouvement : « elle est peut être folle, mais si quelqu’un peut réussir, c’est elle » ! On lui a donc accordé officiellement l’autorisation demandée.

Et le plus formidable c’est qu’elle a réussi ! Alors comment a-telle réussi ? C’est une aventure étonnante.

Personne ne savait où étaient les détenus de Caluire. Les Allemands possédaient la prison de Montluc. Lucie Aubrac s’y est présentée à tout hasard avec un paquet de linge en demandant qu’on le fasse porter au nommé Ermelin (qui était l’identité sous laquelle Raymond Aubrac avait été arrêté). Le colis fut accepté. C’était la preuve que les détenus étaient là.

Nous imaginâmes rapidement comment réaliser une action de libération. Il « suffisait » d’attaquer une voiture ou une camionnette transportant des prisonniers sur le trajet conduisant de la prison Montluc au siège de la Gestapo, avenue Berthelot où on procédait aux interrogatoires. Notre surveillance des lieux nous apprit qu’il y en avait plusieurs dans la journée à l’aller comme au retour.

Malheureusement nous étions incapables de savoir qui était transporté et à quel moment. On ne pouvait pas attaquer toutes les voitures qui passaient ! C’est à ce moment là que Lucie eut une idée de génie. Elle déclara à la Gestapo qu’elle attendait un enfant du nommé Ermelin et demandait qu’on l’autorise à l’épouser selon les dispositions de la loi française qui permet les mariages « in extremis » avec un condamne à mort.

Pour accroître les chances d’une rencontre selon un horaire fixé, elle imagina que ça se passerait en plusieurs rencontres. D’abord il fallait que Raymond donne son accord (il n’était strictement pas au courant des manigances de sa femme et avait prétendu ne pas la connaître), ensuite établir un contrat de mariage. Enfin seulement, il y aurait le mariage. Leur première rencontre a été marquante parce la Gestapo a mis en présence Raymond et Lucie Aubrac. Raymond, affolé a cru que sa femme présente dans les locaux de la Gestapo avait été arrêtée….Il a commencé par déclarer : « je ne connais pas cette demoiselle ! » Il a fallu un long moment avant qu’il ne comprenne qu’elle était en train de manigancer un coup. Alors il a fini par accepter de reconnaître qu’il la connaissait et par accepter le mariage.

Un deuxième rendez-vous a donc été fixé pour le contrat de mariage. Mais alors que nous avions tout prévu, le lieu, l’heure, où on pouvait intervenir à l’aller –on connaissait l’itinéraire des camionnettes qui faisaient le transport—., au moment de l’attaque, le véhicule de tête a refusé de démarrer et le pauvre chauffeur avait beau tirer sur le démarreur ça ne partait pas ! Une mauvaise essence et le tout sur des voitures bricolées…Bref c’était l’échec ! La déception a été terrible. Finalement il a été décidé de tenter le coup au retour. L’attaque a été tentée sur le chemin de retour. C’est ainsi que Raymond Aubrac et quatorze autres prisonniers ont été libérés.

* Il s’agit de Henri Villtard (1923-1947), Compagnon de la Libération.