La résistance dans les camps, Gisèle Guillemot et Roger Trugnan

Roger Trugnan (1923-2016)
Militant aux jeunesses communiste, il a 17 ans en 1940 lorsqu’il participe à la création des groupes de jeunes de la MOI (Main d’oeuvre immigrée) avec Henri Krasucki et Sam Radzynski. Tous trois sont arrêtés en mars 1943 et déportés à Auschwitz. Là, ils sont affectés à la mine voisine de Jawichowitz et rejoignent rapidement l’organisation de résistance du camp. Après les marches de la mort de janvier 1945, ils sont internés à Buchenwald où ils participent à l’insurrection armée qui libère le camp, le 11 avril, peu avant l’arrivée des Américains.

Gisèle Guillemot (1922-2013)
Résistante dès 1940, combattante FTP. Tous les membres de sont groupe sont arrêtés à la suite du déraillement d’un convoi allemand qui fait de nombreux morts, en avril 1943. Les 16 garçons du groupe sont fusillés et les deux filles, dont Gisèle, sont déportées NN (Nacht und Nebel) à Ravensbrück, puis à Mauthausen. A la libération du camp elle est la seule survivante du groupe. Entre parenthèses. Gisèle Guillemot. ed. l’Harmattan.

Roger Trugnan
Quand on était dans la mine ont était avec des mineurs des vrais, ceux dont c’était la profession. D’ailleurs quand j’étais à la mine, je me sentais libre ou presque parce qu’on était avec des mineurs libres. Comment j’ai trouvé le contact avec la résistance du camp ? ça s’est passé comme ça : je marchais en sifflant je ne sais plus quoi, une chanson à la mode chez les jeunes à cette époque : « Ma blonde.. ». Et je croise un costaud, un grand qui savait le français, il parlait plusieurs langues, c’était un ancien des Brigades internationales, un ancient volontaire, un politique, un communiste allemand. Alors il s’ approche de moi et me dit « tu connais ça, toi ? » et on commence à parler. Il me demande : « qu’est-ce que tu as fait ? » Je réponds que j’ai été arêté comme « communiste, antifasciste, bien sûr, et par conséquent je suis là, tu vois ». C’est comme ça que j’ai pris contact avec un communiste allemand membre de l’organisation de résistance du camp d’Auschwitz

Gisèle Guillemot
Dans le camp, le premier travail des résistants était de chasser les droits communs qui étaient postés aux endroits essentiels. Mais ça n’a pas marché partout . A Sachsenhausen, je crois, les droits communs ont gardé les commandes du camp. Il y a des camps où ça ne marchait pas. Notamment dans les camps de femmes. Quand les politiques tenaient les rênes, ils organisaient une résistance dans le camp. Ils pouvaient par exemple organiser la distribution de nourriture pour qu’elle ne soit pas volée, pour que chacun ait au moins une part, ou encore pour qu’on ne vole pas dans les cuisines, pour prévenir les malades quand il y avait une sélection, pour qu’on les sorte de l’infirmerie, pour empêcher les piqûres. Parce que, régulièrement, dans les camps, lorsqu’il y avait surpeuplement, les malades étaient piqués. Les résistants s’organisaient pour la défense des déportés. Et puis, dans le camp, des groupes se créaient : les communistes, les catholiques (par exemple Michelet et ses copains, c’est eux je crois qui avaient le pouvoir au camp de Dachau). On se regroupait par tendances, par affinités, des catholiques ensemble, des communistes ensemble… Au début il y avait une espèce de division, les gens étaient un peu sectaires. Mais peu à peu, malgré les divergences, on s’est rendu compte qu’il fallait se regrouper. On s’est rendu compte que c’était dans l’union qu’on allait trouver notre force. Il fallait être extrêmement prudent, parce que si on était dénoncé comme résistant dans le camp, on était immédiatement destiné au Strafbolck et à la mort. Mais peu à peu, la résistance s’est organisée dans les camps d’hommes (chez les femmes ça ne s’est pas passé comme ça) mais ceux qui allaient travailler dans les usines ramenaient du matériel pour fabriquer des armes ou des postes émetteurs qui étaient ensuite planqués. Ils se sont organisés sérieusement, non pas pour faire la révolution dans le camp, c’était impossible, mais pour essayer de se sauver la vie au moment de la fin parce qu’on pensait qu’il y aurait l’extermination totale des camps, que les prisonniers allaient être tous exterminés. Alors, surtout dans les camps où la résistance était organisée, à Buchenwald, à Mauthausen. A Buchenwald il faut dire qu’une partie des SS s’étaient enfuis…

Roger Trugnan
Mais il en était resté ! J’y étais moi, à Buchenwald, à ce moment-là. J’avait un fusil moi et il y a un SS qui a failli nous descendre, moi et mon copain Henri (Krasucki) avec sa mitraillette , mais elle s’est enrayée.

Gisèle Guillemot
C’était une réelle résistance, élaborée, mais elle avait des forms multiples. Ils ont fait des postes émetteurs, ce qui permettait de transmettre des nouvelles, de dire à Londres et à Moscou ce qui se passait dans les camps. Mais personne ne l’a cru ! Donc ça n’a pas été tellement efficace. Quand même, ils ont bombardé Buchenwald et autour d’Auschwitz… C’était quand même une tentative pour prévenir les pays libres de ce qui se passait dans les camps. Et puis aussi, il y avait des postes récepteurs qui permettaient de dire que l’Armée rouge approchait et avec elle la libération. Pour le moral, c’était important ! Chez les femmes on n’a pas fabriqué de postes émetteurs. La résistance s’est réduite à assurer la survie, à prévenir quand il se préparait des sélections, pour camoufler les plus faibles, parce que périodiquement dans le camp il y avait des sélections. On nous alignait, un médecin ou un SS passait et désignait celles qui avaient les cheveux blancs, les chevilles enflées, des boutons. Alors on cachait les plus malades. Par exemple, à Ravensbrück, on a sauvé une soixantaine de « petits lapins ». Les « petits lapins » c’étaient des Polonaises qui étaient dans le block 32, dans notre block. Elles avaient été arrêtées à Varsovie. On nous a dit que c’étaient des étudiantes, mais on n’en savait trop rien. Elles avaient été victimes d’opérations souvent pénibles et elles marchaient avec des béquilles. Je crois qu’il s’agissait du médecin qui avait tenté de sauver Heydrich, tué par la Résistance tchèque et qu’il n’a pas pu sauver. Heydrich 1 avait été blessé aux jambes.. Alors le médecin faisait sur elles des expériences, sur leurs jambes pour essayer de trouver le moyen de sauver éventuellement un autre cadre allemand. Il en est mort naturellement un grand nombre de ces filles, mais les rescapées étaient dans notre block. Elles occupaient une partie du block, protégé par des couvertures, et elles avaient un régime un peu particulier parce que les Polonaises avaient beaucoup, beaucoup de fonctions et des rôles importants dans le camp, ells étaient très souvent Kapos. La collectivité voulait assurer leur survie, mais les Allemands ne tenaient pas à ce que ces filles tombent dans les mains des Russes qui avançaient pendant ce temps-là. Un beau jour ils en ont appelé sept et les 7 sont parties. Dans la journée on a entendu des coups de feu, elles avaient donc été exécutées, et le soir on a rapporté sept cadavres en disant qu’elles avaient fait une tentative d’évasion. Naturellement, dans la nuit on a su tout de suite que le but c’était l’extermination des 53 rescapés, puisqu’il en restait 53. Alors les gens qui avaient des fonctions dans le camp, ceux qui se trouvaient dans les bureaux, ont organisé le planquage de ces filles et elles ont disparu. Et au matin, quand on a fait l’appel comme tous les matins, les appels étaient extrêmement durs, extrêmement meurtriers, et au matin à l’appel il en manquait 53. Je peux dire que cela n’a pas été marrant du tout parce qu’on est restées plantées debout dans le froid. C’était en plein mois de janvier, la température descendait parfois jusqu’à –30 ! On voulait absolument nous faire avouer où étaient les petites Polonaises. On ne le savait pas, mais on savait qui les avait planquées ! C’était merveilleux, on était là 1500 ou 2000 femmes et personne n’a dit un mot. On est restées toute la journée à faire le planton, gelées dans la neige, puis on nous a renvoyées dans notre bloc, mais les petites rescapés n’ont pas été exécutées. Elles ont été sauvées et libérées un peu après. Donc ça c’est un acte de résistance. C’est un acte de résistance important parce qu’on était 1500 ou 2000 dans ce bloc et on risquait toutes d’être exécutées. Personne n’a dit comment ça s’était passé, tout le monde le savait, personne, personne n’a rien dit. C’est peut-être au camp de Ravensbrück l’acte de résistance le plus important qui ait jamais été fait. Il y avait des dizaines et des dizaines de mortes chaque jour et celles qui avaient des postes dans la hiérarchie, ,dans les bureaux, elles ont changé les numéros des mortes contre les numéros des polonaises. Pendant les appels, quand on disait leur numéro, une voix disait : « décédée ». Evidement les Allemands n’étaient pas dupes, mais c’était la fin, on entendait le bruit du canon, alors ils ont fait semblant de nous croire. Mais on pourrait en citer d’autres des actes de résistance. C’est vrai, chez les femmes, on n’a pas fait de résistance armée, c’est sûr.

Roger Trugnan
La résistance armée, il y en a eu à Buchenwald. Il y avait une brigade particulière qui était l’organisation militaire de la résistance, elle s’appelait la « brigade d’action libératrice » et y participaient ceux qu’on avait recrutés, ceux qui n’étaient pas en trop mauvaise santé. Le 11 avril 1945, il y eut l’ordre de mobilisation numéro trois de la « brigade d’action libératrice » et tous ceux qui appartenaient à cette brigade sont sortis des blocks. C’est vrai que les SS commençaient à disparaître et on est donc sortis de nos blocs par rangées de trois. On nous a confié un certain nombre d’objectifs. Je me souviens qu’avec mon ami Henri (Krasucki), qui lui avait un bazooka, tandis que moi j’avais un fusil de la guerre de 1870, on nous a confié un secteur du camp à surveiller. Effectivement, on s’est presque faits avoir par un SS qui est sorti d’un block avec une mitraillette et il nous courait après. Henri était prêt à se servir de son bazooka et moi avec mon Chassepot c’était pas très facile, il avait encore la baïonnette au canon. Heureusement, la mitraillette du SS s’est enrayée. Ce jour-là on a fait prisonniers, quand même, une centaine de SS, qui n’avaient pas réussi à partir assez tôt. Et quand les Américains sont arrivés, avec le général Patton, le camp était libéré grâce à l’organisation de résistance. Un drapeau blanc flottait sur la porte d’entrée. La « brigade d’action libératrice », brigade française, était dirigée par un gaulliste le colonel Henri Manhès et par le communiste Marcel Paul. C’est vrai que l’organisation des communistes allemands est antérieure à la nôtre, et quand les premiers Français sont arrivés à Buchenwald il y avait déjà depuis des années des communistes allemands à la direction internationale. Avec Henri nous avons fait deux prisonniers. Il se trouve qu’ils avaient changé leurs vêtements, s’étaient mis en civil avec les vieux vêtements qu’on portait, nous, en arrivant. On les a trouvés dans un train qui était dans le camp, dans un des wagons qu’on a fouillés avec mon copain. On les a trouvés sous un paquet de chiffons. Deux SS, et on les a emmenés. Ils étaient sans armes, ils étaient très très sages, on les a amenés à la direction militaire de la résistance et là, un Allemand, un détenu de la direction militaire leur a serré la main. C’étaient des Allemands qui avaient fourni le bazooka et toute une série d’armes. C’étaient des Allemands roumains. Il y avait en Roumanie une minorité de plus d’un million d’Allemands. Ils avaient été incorporés dans les SS, sans être volontaires, on les avait obligés à être SS. L’un d’eux était architecte, l’autre je ne sais pas.

Gisèle Gullemot
Il y avait aussi d’autres formes de résistance, le sabotage par exemple. Nous, au block 32, on était Nacht und Nebel, NN, Nuit et brouillard, on était condamnées à disparaître un jour ou l’autre, on ne devait donc pas sortir du camp. Nous, les NN, on travaillait dans le camp lui même. Il y avait des industries dans le camp, comme l’usine Siemens qui travaillait pour la guerre et qui était installée sur le camp même. Mais la plupart des femmes étaient envoyés dans des commandos à Leipzig par exemple, un peu partout, parfois en Tchécoslovaquie, et elles travaillaient pour la guerre naturellement. On fabriquait des armes pour l’armée allemande. c’était un gros problème ! C’est une sacrée douleur donc et c’est vrai qu’ on ne pouvait pas tout saboter ! Si on sabotait toutes les pièces ça se serait vu comme le nez au milieu de figure, mais les femmes qui partaient dans ces commandos, et les hommes c’était le même régime pour les hommes, s’employaient à saboter au maximum. À mettre en panne le matériel, à réduire la production. C’était une forme de résistance, mais elle était dangereuse et beaucoup ont été executes pour avoir fait ça dans certaines usines. Les gens qui partaient en transports évitaient le camp et ses dangers. la vie était peut-être un peu plus facile dans les usines avec les gens qui dépendaient des usines parce que les directeurs avaient t tout intérêt à ce que ce matériel-là fonctionne. Mais c’était aussi très dangereux. C’est pour que cela ne se reproduise pas qu’on vient dans les lycées vous raconter ces! ! histoires, il faut faire comme nous 66 ! Vous battre! Ne pas attendre la dernière minute, parce que c’est bien évident que quand il y a eu la montée du nazisme, d’abord en Italie, puis plus gravement en Allemagne, les démocraties occidentales n’ont rien fait; beaucoup ont dit « mieux vaut Hitler que le Front populaire ». Beaucoup beaucoup se sont arrangés pour que Hitler s’installe très facilement. Théoriquement les Allemands n’auraient pas eu droit de se réarmer. Il faut donc être vigilants dès le début lorsqu’un risque se profile. Vigilants. la première vigilance est de profiter des droits que vous avez depuis la Révolution française la Révolution a installé trois valeurs, c’est important les valeurs : la liberté, l’égalité et la fraternité. Donc, nous, on vous confie ces valeurs pour que vous les défendiez, parce que votre avenir en dépend, nous vous passons le flambeau.

Roger Trugnan
Mais on peut vous assurer que nous on ira jusqu’au bout.

1 Attentat réalisé en mai 1942. En représailles, le village de Lidice soupçonné d’avoir abrité les auteurs de l’attentat est rasé, les hommes fusillés, les femmes et les enfants déportés.