Jean-Marie Delabre, interview

Jean-Marie-DelabreNé en 1924.
 Membre des Volontaires de la Liberté, mouvement de lycéens créé par Jacques Lusseyrand. Il rejoint ensuite, avec Jacques Lusseyrand, Défense de la France et participe activement à la diffusion du journal. Arrêté en juillet 1943 avec plusieurs dizaines d’autres membres de Défense de la France, il est déporté à Buchenwald puis à Mauthausen.

Interview de Vincent Goubet, réalisée en 2007 pour son film « Faire quelque chose», sorti en 2013, disponible en DVD.

Jean-Marie Delabre de quel milieu familial êtes-vous issu ?

Un milieu bourgeois. Mon père était magistrat, nous étions donc d’une bourgeoisie moyenne.

Où étiez-vous quand a commencé le conflit ?

Il se fait qu’au moi d’août nous étions en vacances à Murol. C’est là qu’un jour, j’étais avec mon père, il prend ses lorgnettes et lit sur lune affiche qu’il était mobilisé et qu’il devait partir. Mon père avait suivi les cours à l’Ecole de guerre et il était officier de réserve à l’état-major. Et c’est là, comme cela, que ça a commencé. Le conflit se développant et la guerre étant déclarée, mes parents, considérant qu’il ne fallait pas que l’on rentre à Paris où nous habitions, ont cherché un endroit où aller… Et nous sommes allés, à ce moment-là, chez des cousins à Caen. Heureusement nous n’y sommes pas restés après. Nous y avons passé l’époque de 39-40 et, en septembre 40, nous étions rentrés à Paris. C’est là que nous avons vu, petit à petit, tous les gens venir de tout le nord de l’Europe, du nord de la France, et ensuite nous sommes partis comme tout le monde, ma mère ayant très peur d’être séparée de son mari. Elle disait : « qu’est-ce que je vais faire avec mes enfants ! » Moi- même je ne travaillais pas. Alors nous avons connu les aventures de l’exode, un peu comme tout le monde et, isolé d’une partie de ma famille, je me suis retrouvé à Château-Gontier, dans la Mayenne, au moment où on a commencé à imaginer que la France arrêtait la guerre. On a entendu Pétain. Nous étions isolés à Château-Gontier et j’étais avec ma grand-mère et une de mes sœurs. C’est là que nous avons eu les premières réactions, dans lesquelles cela nous semblait tout à fait inacceptable. La position de Pétain me semblait tout à fait inacceptable. Nous nous sommes dit : « mais c’est épouvantable ça ne peut pas finir comme ça ! » C’est là aussi où nous avons entendu les premiers appels de de Gaulle. A-t-on entendu l’appel du 18 juin ? J’en sais rien parce que très peu de gens l’ont entendu ! Mais nous en avons entendu le contenu en tout cas, de ces appels ! Nous l’avons entendu après et ça nous a donné une impression qu’il y avait une sortie, qu’il y avait une possibilité de faire quelque chose. Et, à partir de là, nous avons cherché… Moi j’avais 15 ans à ce moment-là, j’avais une de mes sœurs qui avait 17 ans et qui était là. Nous sommes repartis à Caen et nous nous sommes retrouvés avec ma mère et mes autres sœurs et avec un sentiment qui était à peu près identique, jusqu’au moment où, en septembre, il n’y avait plus de raison de rester à Caen. Nous sommes repartis à Paris, nous avons retrouvé notre appartement et j’ai retrouvé mon lycée. J’étais au lycée Louis-le-Grand. J’ai retrouvé mes études… et avec en tête : « qu’est-ce qu’on peut faire ? Qu’est-ce qu’on peut faire ? » Et là, finalement, c’était des conversations, des idées, des choses que l’on partageait. Et moi je partageais particulièrement avec un de mes camarades qui avait été aussi dans les Scouts de France avec moi et qui était le fils du professeur Richet, Jacques Richet, et qui habitait à 200 m de chez moi. On allait à Louis-le-Grand ensemble et on discutait de tout ce qu’on pourrait faire. Notre première action ça a été… Sur le chemin il y avait des affiches un peu tout le long et notre premier acte a été de déchirer ces affiches allemandes que l’on mettait dans notre cartable, comme on pouvait, et on partait au lycée. Ça a été nos premiers actes.

Et la réaction de votre famille par rapport à la capitulation ?

Alors moi, je n’avais aucun problème. Ma mère était Lorraine et elle nous avait vraiment instruits avec une certaine haine des Allemands et du danger que représentait la politique des Allemands. Nous sommes restés quelques mois uniquement avec notre mère. Notre père est rentré, parce qu’il avait été nommé à la censure, comme magistrat et il est rentré pour prendre son travail à la Cour des Comptes. Il avait été quand même largement influencé par l’atmosphère de Vichy. Parce qu’il était un peu au milieu des gens de Vichy, tout en espérant, parce qu’il y avait une espérance, que la guerre ne se terminerait pas comme ça, que les Alliés gagneraient la guerre. Il avait alors, est-ce qu’il avait profondément… ou est-ce il avait vis-à-vis de ses enfants… il avait pris des mesures de très grande prudence et on a retrouvé dans son journal des phrases où il disait : « Les circonstances sont très difficiles, mais j’essaie de calmer mes enfants pour qu’ils ne prennent pas de risques ». Nous écoutions la radio de Londres, avec les bruits connus de brouillage, et notre père écoutait avec nous. Si bien qu’en ayant cru à l’époque qu’il était un peu vichyste, je me suis aperçu après, en réfléchissant, qu’il voulait simplement calmer un peu ses enfants.

Il avait peur pour vous ?

Il avait peur pour nous, oui.

Et les affiches que vous arrachiez, ces action des jeunes lycéens que vous étiez, est-ce que c’était un peu comme un jeu?

Non ce n’était pas un jeu ! Il y avait quand même, dans mes rêves, enfin dans nos rêves, l’idée qu’il fallait faire quelque chose. On voulait même participer, à la guerre contre les Allemands. Ce n’était pas possible d’accepter d’avoir les Allemands avec leurs manières d’agir, avec le régime nazi. Parce qu’on voyait comment c’était. On en avait déjà entendu parler avant, on voyait leur manière d’agir. Finalement ma véritable, si l’on peut dire, introduction dans la Résistance est à partir du moment où mon camarade Jacques Richet m’a dit cela : « j’ai été contacté par quelqu’un, par un petit groupe pour voir ce que l’on peut faire ». Je ne sais pas si on peut employer le mot résistance à ce moment-là. Je ne sais pas comment, pas très bien comment nommer notre action. Et il m’a demandé un jour si cela m’intéressait de le voir. A ce moment-là, il m’a dit : «il s’agit de l’aveugle1 qui est au lycée. On le voit souvent à la sortie du lycée avec un grand garçon». Alors j’ai été le voir. J’ai d’abord été conquis par le personnage qui était un personnage tout à fait extraordinaire. J’ai dit, bien naturellement, : « je suis prêt à m’engager dans ce groupe ». C’était un petit groupe qui était essentiellement dans le milieu des lycées Louis-le-Grand et Henri-IV. Et on avait une petite feuille ronéotypée, un petit journal qui s’appelait le tigre, mais tout ça n’était pas d’une grande portée. C’est pour ça qu’après environ un an et demi dans ce groupe qui s’appelait les Volontaires de la Liberté, Jacques Lusseyrand nous a dit : « J’ai été contacté par des gens qui ont un journal », la notion de journal on la connaissait parce que Jacques Richet aussi avait été mis en contact avec le journal Résistance. Et, déjà, aux Volontaires de la Liberté on distribuait ce journal, un journal qui était très bien fait, sur du très beau papier. Donc Jacques Lusseyrand nous a dit : « Il y a un groupe qui s’appelle Défense de la France et qui cherche à développer la distribution ». Et j’ai dit tout de suite que j’étais d’accord. Il y avait un certain nombre de gens qui n’étaient pas tout à fait d’accord, parce que le journal Défense de la France… Était composé, entre autres, de gens que je n’ai pas connus sur le sur le moment, j’ai connu Philippe Viannay2 après, avec une certaine croyance à un accord que le régime de Vichy et particulièrement Pétain avait avec de Gaulle. Ils pensaient finalement que Pétain protégeait la France pour essayer qu’il y ait le moins de dégâts possible, évidemment en contact avec de Gaulle. Il y a beaucoup de gens qui ont cru à cela, jusqu’à Montoire3. Parce que le jour où la photo a paru un peu partout, de Pétain donnant la main à Hitler… On ne pouvait pas vraiment jouer la comédie à ce point-là. Alors les choses ont un peu évolué. Philippe Viannay avait cette pensée-là, mais sa femme, Hélène, semblait plus consciente que lui. Et ensuite il y a eu d’autres personnes qui ont eu une influence sur lui, c’est Geneviève de Gaulle4 en particulier, qui faisait partie du mouvement. Et puis aussi les autres créateurs. Il y avait Daniel Jurgensen5 et puis d’autres, sur lesquels on reviendra tout à l’heure, qui n’étaient pas comme Philippe Viannay. On est entrés dans le jeu et on a commencé à distribuer le journal. On a trouvé des méthodes de distribution. Distribution dans les boîtes aux lettres, distribution dans le métro. Dans ce cas-là, il faut organiser des équipes pour prévenir. Il y a ceux qui distribuent, ceux qui sont autour. On a fait des distributions à la porte des églises, comme se distribuait avant-guerre l’Action Française. C’est un lieu de distribution connu du public parisien. Jusqu’au moment où, pour le 14 juillet 1943, on avait décidé de faire une distribution spéciale. On avait fixé des lieux de distribution. Moi, c’était Place des Fêtes. Et on distribuait le journal dans la rue. Ah ça, il est évident que ce n’était pas facile de se mettre dans un coin et de distribuer aux gens comme ça ! Il m’avait semblé que le meilleur moyen était d’entrer dans les boutiques et, à la caisse, de déposer un journal en disant c’est un journal de la Résistance. Il s’est trouvé qu’il y a un garçon qui est entré dans le mouvement pour nous trahir6, il était à la solde de la police allemande et il a vu tout ce qui se faisait. Et c’est là que l’on a été un jour pris au piège ! Notre activité ne se bornait pas à la distribution de journaux. Il y avait une autre activité qui est devenue très importante avec le STO, c’est les faux papiers. Il y avait dans le groupe de Défense de la France quelqu’un qui avait des qualités extraordinaires pour fabriquer n’importe quoi et qui fabriquait les cartes d’alimentation. Parce qu’avoir de faux papiers c’était bien, mais si on n’avait pas de quoi se nourrir cela ne servait pas à grand-chose. Pour les gens qui ne voulaient pas partir au STO, il fallait changer la date de naissance. On ne pouvait pas changer la date de naissance sur la carte réelle, il fallait donc faire une carte tout à fait différente pour que le contrôle de ces cartes ne soit pas possible. Il fallait faire une carte d’identité de communes dont les archives avaient disparu, avaient été brûlées. Alors, à la maison, quand je rencontrais des gens qui voulaient de faux papiers, avec mes sœurs on avait vraiment un petit atelier qui permettait d’en fabriquer. Le service de faux papiers de Défense de la France était très important. Et les faux, ça a été jusqu’à faire de faux timbres, parce qu’on voulait envoyer le journal par la poste mais ça coûtait très cher. Alors on a eu un imprimeur qui a fabriqué des planches de timbres.

Pouvez-vous nous parler de Jacques Lusseyrand ?

Jacques Lusseyrand était un garçon qui était devenu aveugle par un accident à l’âge de sept ans. Il donnait une couleur à tout ce qu’il voyait, entendait. C’est un garçon qui était remarquablement cultivé. Il était en khâgne à Louis-le-Grand et désirait entrer à l’Ecole Normale Supérieure. Il avait été élevé par des parents qui voulaient qu’il ait une vie comme un voyant, très inspiré de culture religieuse et de philosophie.

Il est étonnant que quelqu’un comme Jacques Lusseyrand, qui avait ce handicap ait été capable d’insuffler une telle dimension à…

Ah oui, absolument ! Et il a écrit des livres tout à fait stupéfiants ! Notamment un livre qui s’appelle « Et la lumière fut» qui est tout à fait extraordinaire. Extraordinaire du point de vue de ce que peut être un aveugle. Il explique… quand on lit bien le livre il vous fait découvrir que dans la mesure où vous avez un sens comme la vue qui disparaît, peuvent se développer en vous d’autres sens, que tout le monde a probablement mais que l’on ne développe pas. Cela lui permet d’avoir une pensée beaucoup plus développée, parce qu’il faut se dire que nous, voyants, nous sommes toujours distraits par l’environnement, et que lui n’avait pas cette distraction. Cela lui permettait d’avoir d’autres sens très, très, développés.

Il menait donc le groupe des Volontaires de la Liberté. Vous étiez combien ?

 

Oh, je ne sais pas, parce que le propre de la Résistance c’est de ne pas savoir tout. Je connaissais un certain nombre de gens autour de moi, mais on ne savait pas jusqu’où ça allait.

Mais après guerre, vous avez pu savoir…

Ah oui, après. Oui, après-guerre. Mais c’est un groupe qui avait éclaté, parce qu’il y a certaines personnes qui n’ont pas voulu entrer à Défense de la France, certains qui ont continué à faire un petit groupe, certains on fait du renseignement, d’autres ont fait d’autres choses. On dit j’étais aux Volontaires de la Liberté… mais on était un dans un groupe, on n’était pas à clamer tout le temps qu’il s’appelait comme ça ! C’est la même chose, on n’employait pas tellement le mot de « résistance ». Résistance, il y avait un journal qui s’appelait comme ça, mais en fait c’était une manière de lutte. C’est pour ça qu’on est très étonnés car il y a des gens qui se sont trouvés embarquées dans des mouvements de résistance qui étaient tout à fait contraires à leurs opinions. Parce que, évidemment, les gens qui avaient envie de faire quelque chose, eh bien un jour ils rencontraient quelqu’un. Bon, cette personne ne lui disait pas qui était à la tête du mouvement, il lui demandait s’il avait envie faire quelque chose et puis il faisait quelque chose… Et c’est souvent après la guerre qu’il s’est aperçu que c’était des gens de droite ou d’extrême gauche qui dirigeaient ce mouvement. Mais ça n’avait pas d’importance sur le moment …

Il n’y avait pas trop de temps pour la politique.

Non pas de temps pour la politique ! C’est venu plus tard, et puis alors ça s’est développé plutôt dans la hiérarchie.

Oui, là il y avait des luttes de pouvoir.

Oui, c’était autre chose. Il faut penser aussi que nous étions des lycéens. Enfin, à la base, là où j’étais, c’était quand même des lycéens, donc des jeunes. Moi, j’avais juste passé mon bac. Le bac se passait en deux parties à ce moment-là. Après, j’étais en préparation de l’Ecole de la France de l’Outre-Mer, en 43. Alors on voulait, on avait envie de faire quelque chose, cela était facile par rapport à nos parents. C’est que le risque n’était que sur nous. Les adultes ont toujours des choses à défendre, que nous n’avions pas de la même manière à défendre : la famille, des enfants. Ce qu’on fait alors, lorsqu’on est adulte, a des conséquences pour les autres, beaucoup plus.

Même pour soi, le rapport au risque n’est pas le même à 20 ans, à 40 ans !

Oui, peut-être, je n’en sais rien. Mais il faut probablement, pour les adultes, un caractère particulier pour s’engager. S’engager et oser engager la responsabilité des siens, sa famille en particulier. En tant que jeune comme ça, on pouvait ! Moi je n’en ai jamais parlé à mes parents. Mes parents ne le savaient pas ! J’avais une de mes sœurs qui m’aidait beaucoup, qui a continué après mon arrestation et qui a été arrêtée aussi, plus tard… qui est allée aussi en camp de concentration en Allemagne. Mais nous n’en parlions pas du tout à nos parents. J’avais une mère qui avait des rapports très particuliers avec moi et nous n’avions pas besoin de parler pour savoir ce que je faisais. Elle savait tout, voilà. Cela c’est sûr ! Elle gardait le silence et elle a gardé le silence absolu autour de cela. Si bien que, après mon arrestation, quand la police allemande est venue à la maison, ma mère n’était pas étonnée alors que mon père ne comprenait pas du tout.

En fait votre mère avait un secret, même si elle savait.

Oui, tout à fait. Mais je suis persuadé que c’est parce qu’elle nous comprenait. Parce que si elle avait pu, elle aussi…

Défense de la France a fait paraître une photo d’un camp…

Oui, c’est après mon arrestation. Ce n’est pas vraiment une photo d’un camp de concentration. C’est une photo d’un camp en Allemagne, c’est pas vraiment un camp de concentration.

N’aviez-vous pas d’informations sur ce qui se passait en Allemagne ?

Il y en avait peut-être, certaines personnes étaient peut-être informées. Moi, je peux vous dire que, après avoir fait six mois de prison, quand j’ai compris qu’on allait partir en Allemagne, j’étais content. Parce que, pour moi, la prison a laissé une trace de quelque chose de très, très, très dur. Le fait d’être mis avec les gens que l’on ne connaît pas, avec qui on ne sait pas de quoi parler, si on veut parler, est très, très dur. Alors moi, je me disais : « on va être prisonniers », j’imaginais que ce serait un peu comme pour les prisonniers de guerre. Prisonnier de guerre, on est loin des siens et de tout ça, mais enfin on avait entendu dire qu’il y avait une certaine vie, qu’on pouvait aller à la campagne, travailler, que ce n’était pas quelque chose de terrible. Mais à Compiègne, quand on a commencé à monter dans les wagons, on a compris que… on ne partait pas dans la joie !

Vous avez compris que ce n’était pas dans ce genre de camp !

Non !

Donc ces photos… Tous les journaux de la Résistance n’arrivaient pas à faire paraître des photos…

 

Non, non, non ! Mais c’est une des choses les plus extraordinaires qui soient arrivées ! Avec Défense de la France c’est ce qui a pu être fait. On a fait des journaux sur plusieurs pages, on a trimbalé des machines. Ces photos c’est quelque chose de Défense de la France que je n’ai pas connu, c’était la partie invisible pour moi, que je ne connaissais pas. De même que je ne connaissais pas du tous les gens qui étaient à la tête. Au-delà, au-dessus de Jacques Lusseyrand je ne connaissais personne. Je ne connaissais que les gens de la distribution. Et encore des gens, j’en connaissais trop, probablement. Trop, parce qu’on avait des liens et on se retrouvait parfois rue Bonaparte, là où on a été arrêtés7. Le garçon qui nous a trahis, je le connaissais. Je le voyais de temps en temps. Mais au-delà de ça, je ne connaissais personne. Si bien que, quand la police allemande m’a interrogé, je n’avais pas grand-chose à dire. Parce que je connaissais essentiellement ceux qui avaient été arrêtés. Et eux ce qu’ils cherchaient c’etait les gens qui étaient à la tête.

Le tirage de « Défense de la France » c’était, au plus fort, 450 000 exemplaires. Comment est-ce qu’on arrive à un tel tirage ?

D’abord on ne le dit pas souvent, mais je pense qu’il y eut de la perte. De la perte. C’était distribué gratuitement, et au départ c’était surtout dans Paris et la région parisienne. Et puis petit à petit ça été plus loin, ça s’était organisé. Il y avait des correspondances, avec des gens qui partaient. Moi, dans la période que j’ai connue, quand j’étais à Louis-le- Grand, l’une des méthodes pour distribuer en province c’était… il y avait des élèves internes à cette époque-là, il y avait des garçons qui préparaient les grandes écoles et qui étaient logés au lycée. Ils partaient en week-end ou en vacances… Alors ils prenaient des paquets de journaux. Ils allaient en province, en Bretagne, dans le Maine-et-Loire, etc. Mais ça c’était surtout dans la zone Nord, dans la zone occupée. oi, La distribution qui s’est passée ailleurs, je n’en ai pas connu grand- chose.

Et votre vie quotidienne, comment se passait-elle ?

Le quotidien ? Vous savez, ça ne paraissait pas tous les jours. Il en arrivait à peu près, je ne sais plus, à peu près un par mois. Eh bien, le quotidien c’était un jour on me disait: « il y a le journal, tu vas le distribuer à tel endroit ». Je découvrais des coins de Paris que je ne connaissais pas. On prenait une valise, j’emmenais ça à la maison pour en emporter au lycée, il y a des gens qui venaient à la maison pour en prendre.

Vous le lisiez à chaque fois ?

Je vais vous dire, à l’époque, non ! Le contenu du journal nous importait peu, ce qui me paraissait beaucoup plus important et j’en ai parlé après à Hélène Viannay, elle était d’accord là-dessus, la première chose, c’était de montrer à la population qu’il y avait des gens qui faisaient ça et que donc il y avait, un esprit, comme on dit aujourd’hui, de résistance dans la population. Le journal, pour nous, semblait avoir surtout ce rôle. S’il y avait des choses intéressantes, des choses qui tiennent au courant la population, tant mieux. Il y avait d’ailleurs des articles de très grande qualité. Parce que les gens qui étaient à la tête le journal, l’équipe de tête, étaient des gens très cultivés. Il y eut les articles de Geneviève de Gaulle, les articles de Philippe Viannay qui était aussi un garçon très cultivé. Mais sa femme, qui s’occupait aussi du journal, n’a jamais écrit dedans. Et elle était pourtant à la base du journal puisque, d’après ce que j’ai appris, les premiers tirages du journal se faisaient dans les caves de la Sorbonne.

Avec une machine à imprimer…

Oui, ils étaient parvenus à avoir une machine à imprimer qu’ils avaient descendue la nuit dans les caves de la Sorbonne, parce qu’il se trouvait que Hélène Viannay, avait fait partie juste avant la guerre de l’équipe qui surveillait la nuit, c’était ce que l’on appelait la défense passive. Alors, pour surveiller les couloirs de la Sorbonne, elle avait des clés, ou alors elle savait où étaient les clés. Et puis, comme elle était assistante d’un professeur de géologie, elle pouvait descendre dans la cave. Et elle avait installé ce qu’il fallait pour faire des tirages.

Et ça a duré longtemps ?

Pas longtemps non. Il y avait, à Défense de la France, des gens qui raisonnaient quand même… et il y avait quelque chose qui était évident. C’est que pour éviter le risque d’être pris, il fallait changer souvent d’endroit. Alors, inutile de vous dire, mais moi ça je l’ai appris après, c’était difficile de trimbaler une imprimante. Et surtout au fur et à mesure que s’est développé le tirage, ce n’était donc plus les mêmes machines qu’il fallait avoir.

C’est un déménagement à chaque fois ?

Oui, mais ça j’ai pas connu. Ces gens-là, Cette partie-là de Défense de la France n’a pas été arrêtée. Ont été arrêtés les gens qui avaient l’habitude d’aller rue Bonaparte. On est tombés dans un guet-apens : la bande Bonny- Lafont8.

Il n’y a plus eu d’arrestations au niveau de « Défense de la France » ?

Si, il y a eu des personnes arrêtées, au cours d’une mission ou quelque chose comme ça. Mais le gros de Défense de la France a été arrêté fin juillet 43, après la diffusion ouverte du 14. Le garçon qui était entré dans la distribution a trahi. Et alors moi c’est en arrivant rue Bonaparte dans la boutique qui s’appelait « Louis XIII9 » qui était le point où l’on allait pour rechercher des choses, pour faire des papiers d’identité par exemple, des choses comme ça. Et moi, un jour je me suis trouvé… c’était le 20 juillet, c’est mon ami Jacques Richet qui voulait aller là… Et quand je suis arrivé devant la boutique je me suis dit ! « c’est drôle, la porte n’est pas fermée comme d’habitude ». Alors j’ai eu un petit peu peur, je me suis dit : « j’entre où j’entre pas ». Il y a quand même des choses qui devraient nous faire réfléchir, mais je pense que ce qui m’a fait réagir c’est que j’ai pensé que c’était idiot d’avoir peur. Et aussi j’avais honte d’avoir peur. Alors je suis entré. Il y avait là Bonny et Lafont. Bonny est un ancien policier. Ils étaient français mais employés par la Gestapo. Ils m’ont emmené au fond de la boutique et là j’ai trouvé Jacqueline Pardon10 –qui a épousé Jacques Lusseyrand après la guerre–. Elle a été libérée dans des conditions particulières, sans doute grâce à l’action de sa famille…

En dehors de « Défense de la France » vous avez eu aussi d’autres compagnons arrêtés?

En prison je me suis trouvé avec un garçon beaucoup plus vieux que moi. Petit à petit, j’ai eu une certaine amitié avec lui, on s’est ouverts un peu l’un à l’autre et après mon départ il a été fusillé… Et, quand je suis rentré de déportation, j’ai trouvé une petite lettre… il était arrivé à la donner à quelqu’un pour que ça me soit remis. Il a eu une histoire assez extraordinaire. C’est un garçon qui avait été domestique chez quelqu’un, et ces gens qui étaient M. et Mme Haïlé étaient des chrétiens convaincus, des gens avec un sens social assez développé, ils avaient permis à ce garçon de faire des études pour pouvoir être infirmier. Et donc il était devenu infirmier. Mais au moment de la guerre, il était entré ds le même mouvement que son ancien patron, qui était le réseau Comète, un réseau qui s’occupait de rapatrier ou d’aider au rapatriement des aviateurs. Ils étaient extraordinaires ! Et je trouve toujours ça extraordinaire, c’est qu’ils ont été fusillés tous les deux ensemble ! … (Silence)…

Et le camp?

Vous savez, après, on est en face de choses que tout le monde connaît un peu… On a beaucoup parlé des transports vers les camps de concentration. Moi, je suis arrivé à Buchenwald, après environ 36 heures dans ces wagons épouvantables… Il n’y avait pas la possibilité de s’asseoir, tellement on était pressés les uns contre les autres… Deux ou trois personnes pouvaient arriver à s’asseoir, mais c’était très difficile. Et puis l’arrivée au camp de Buchenwald est une chose inimaginable, parce que tout de suite on ouvre les portes, on voit des SS avec des chiens, avec cette manière des SS de toujours hurler, avec cette langue allemande qui est, quand elle est mal utilisée, très brutale, avec ces « los, los »… ces cris ! Et on voyait, derrière, un paysage qui était rempli de gens émaciés avec leurs pyjamas… On avait l’impression que ces uniformes étaient des pyjamas ! Ensuite, passer aux douches et se retrouver tous réunis et complément nus, il y avait quelque chose d’assez extraordinaire, d’inimaginable ! Ensuite, on a été mis dans des camps de quarantaine, c’est à dire qu’on n’allait pas au travail, on avait une certaine liberté, d’être là, de remuer, de se voir ensemble… Et là, j’ai passé des semaines que j’ai trouvées très agréables. J’étais avec Jacques Lusseyrand et un autre garçon que je connaissais aussi, qui était Jean Claude Commère et on était très heureux. Moi j’étais heureux qu’on soit ensemble. Ces deux garçons étaient beaucoup plus cultivés que moi, j’étais plein d’admiration. Enfin je profitais de tous leurs raisonnements philosophiques et tout, ça me semblait extraordinaire. Et puis, à la fin de la quarantaine, Jean Claude Commère et moi nous sommes partis sur Mauthausen. Mauthausen est en Autriche. Là, nous avons eu un transport dans des conditions totalement différentes, nous n’étions pas tellement pressés les uns contre les autres… Mais on finissait par le regretter peut être, car il faisait horriblement froid !
C’était en février 44. Nous sommes arrivés à Mauthausen, et là a recommencé la même histoire … Et de Mauthausen nous avons été envoyés dans ce qu’on appelait les kommandos. Parce qu’en fait il y avait toujours un camp central dont dépendaient des kommandos. Ces kommandos, ça correspondait souvent, en fait, à des endroits, à des usines où les déportés faisaient partie du personnel mis à disposition par les SS. Là, j’ai été envoyé, avec Jean Claude Commère, dans un kommando qui s’appelait Steier. Steier est une ville allemande qui avait autrefois une usine d’automobiles qui avait été transformée, forcément, en usine de guerre. Moi je n’ai pas travaillé dans l’usine directement. On travaillait pour faire des galeries souterraines dans lesquelles les Allemands voulaient transférer les usines. Puis, au bout de quelques mois, il y a eu un bombardement. Le bombardement avait détruit en grande partie l’usine. Alors tout le personnel, tous les déportés, avaient été mobilisés pour remettre, essayer de remettre les choses en place, transporter les machines et tout, pour que l’usine puisse retravailler, et au cours de ce travail il y a eu de nouveaux bombardements. On nous a évacués de l’usine et quand on est sortis de Mauthausen, des bombes sont tombées au milieu de nous. Je n’ai pas reçu de bombe, mais j’ai… il y a une bombe qui a éclaté à côté de moi, qui m’a envoyé de la terre sur moi et, à ce moment-là, je me suis trouvé… j’ai cru que j’étais mort. On ne sait pas le temps que ça dure, c’est peut être un millième de seconde, je n’en sais rien mais je ne pouvais plus parler, plus respirer, plus rien faire et je me suis dit… C’est étonnant ce qu’on pense à ce moment -là, je me suis dit : « eh bien on va voir, maintenant, ce qui se passe ». Il faut vous dire une chose qui est importante, c’est que les circonstances dans lesquelles on vit dans un camp de déportés… on est tellement proches de la mort à tout instant, que l’on n’est jamais étonné d’arriver au point où on se dit « on est mort maintenant ». Et là, j’ai souffert terriblement. J’ai été obligé de travailler parce qu’à l’infirmerie, le docteur qui était là n’avait pas le droit de garder les gens, c’était un prisonnier lui aussi, il n’avait pas le droit de garder les gens s’ils n’avaient pas de la fièvre. Bon, au départ je n’avais pas de fièvre, je souffrais épouvantablement. J’avais probablement des côtes fêlées ou cassées. J’ai su après que ça faisait souffrir beaucoup, et pendant plusieurs jours, vraiment mes camarades, pour aller au travail, me portaient pratiquement ! Et puis il y a un moment ou je suis arrivé avec une très très forte température. A ce moment-là ils m’ont pris à l’infirmerie, et je suis parti. On m’a transféré sur l’infirmerie centrale de Mauthausen. Le terme qui était employé pour les infirmeries, c’est revier . Alors je suis arrivé au revier, et chose extraordinaire, je suis parti très malade, j’avais eu une pleurésie par traumatisme, c’est à dire que probablement mes côtes cassées avaient déchiré la plèvre et on m’a transporté de Mauthausen le matin de bonne heure, il faisait un froid terrible, dans un camion ouvert, pas bâché et en fait j’étais presque guéri quand je suis arrivé ! Je n’ai jamais compris ce qui s’était passé… Et là je suis arrivé dans un camp. Le revier, c’est quelque chose de très spécial dans ces camps, parce qu’on a un avantage, c’est qu’on ne travaille pas, mais on est dans des conditions de logement et des conditions de nourriture pires que partout ailleurs… parce qu’évidemment les Allemands n’allaient pas se donner beaucoup de mal pour soigner des gens qui n’étaient pas… qui étaient bien malades. Mais j’ai eu la chance de trouver dans le camp, dans le bock ou j’étais un… le docteur Pessel qui était un docteur français, qui faisait tout ce qu’il pouvait pour essayer de diminuer la difficulté pour les gens malades. Et s’est ajouté à cela que, parlant allemand un peu –ma mère avait toujours dit qu’on devait connaître la langue de son ennemi–, l’infirmier m’a fait rester pour l’aider… et l’aider, c’était faire prendre la température aux malades et faire une fiche avec les courbes de températures. On ne soignait pas, mais ça, ça faisait partie de l’organisation allemande, il devait y avoir la fiche de chaque malade avec la température. Et puis, quand le médecin SS passait, il regardait la température et jetait quelques médicaments. On ne savait pas très bien à qui s’était destiné. J’ai vécu comme ça longtemps avec des… A un moment il y a eu une histoire compliquée, il n’était plus possible que je reste là, je suis remonté au camp, mais la complicité des médecins du camp, du revier et tout ça, m’a permis de redevenir malade, alors que je ne l’étais plus et de reprendre ma place là. Tout ça, ça fait partie d’une certaine solidarité entre un certain nombre de personnes et ça m’a certainement sauvé la vie. La vie au revier était très très difficile, parce qu’on était jusqu’à 5 ou 6 – dans un lit pour une personne et il y avait des choses curieuses… Dans le block où j’étais, il y avait des asiatiques russes. C’était des gens de l’armée russe qui avaient été blessés, qui avaient un bras ou une jambe en moins… Je n’ai jamais bien compris pourquoi ils étaient là. D’habitude c’était des gens qui étaient très gentils… Ils étaient complètement perdus, ils n’avaient aucune idée des langues européennes, si bien que quand on les appelait, j’étais avec un gars qui était unijambiste, il croyait toujours que c’était lui qu’on appelait, le pauvre garçon et il était là ! Et en plus il arrivait des gens dans un état de santé épouvantable, et plus le temps passait, plus les gens qui arrivaient étaient en mauvais état. Ça c’était dû au fait que, quand les Alliés ont avancé en Allemagne, les Allemands ont commencé à vider les camps au fur et à mesure et à rapatrier les gens des camps vers des camps plus éloignés. Or il se trouve que Mauthausen, par sa position en Autriche, était assez éloigné de tout le reste et du front. Alors on voyait arriver des gens qui venaient de transports, on en a souvent parlé, qui étaient dans un état épouvantable. Beaucoup de gens mouraient, parce qu’ils n’avaient plus de force… La mortalité dans les blocks du revier était considérable. On était obligés, tous les matins, de traîner les corps de nos voisins qui étaient morts dans la nuit. Et puis, le bolckeltester, qui était la personne qui dirigeait le block devait les compter, pour qu’à l’appel on retrouve le nombre de gens prisonniers. Il y avait une grande ardoise sur laquelle il fallait marquer le nombre de personnes dans le camp, donc tant de personnes mortes, et ça a été jusqu’au point où, les derniers temps, tout le service qui consistait à ramasser les morts pour les brûler ne fonctionnait plus et que les morts étaient entassés dans l’espace qu’il y avait entre les blocks. Alors, au milieu de tout ça, il y a eu certaines aventures. A un moment, il y a eu un convoi de la Croix rouge internationale qui est venue pour rapatrier certains français. Il y avait une liste qui avait été faite… J’avais retrouvé mon ami jean Claude Commère. Je l’avais retrouvé au camp et je l’ai retrouvé au revier dans des conditions tout à fait extraordinaires parce que son père, pierre Commère avait créé un journal qui s’appelait France, qui avait la réputation de ne pas être 100 pour 100 gaulliste, et ce Pierre Commère avait, lors de ses voyages pendant la guerre, avait rencontré au Portugal un journaliste qu’il connaissait et il avait demandé à ce journaliste s’il pouvait faire quelque chose… C’est ainsi que mon ami a pu être rapatrié par la Croix rouge.

Et que pensez-vous des jeunes d’aujourd’hui ?

De temps en temps il m’est demandé de parler dans des lycées ou des collèges, et dans le fond j’aime bien ça, mais je ne veux pas que les gens considèrent qu’ils ont devant eux un héros. Parce que, finalement, il n’y a pas d’héroïsme dans tout cela ! Ce que je veux essayer de faire comprendre aux élèves, c’est deux choses. D’abord une chose historique qui me semble tout à fait essentielle, c’est que nous avons vécu des choses qui se sont terminées de manière tout à fait extraordinaire… par l’Europe et surtout l’entente entre la France et l’Allemagne ! Car pour moi, l’ensemble des difficultés qui existent entre les humains, c’est le fait de ne pas accepter l’autre tel qu’il est. Et le fait d’accepter l’autre est la base même de la paix. Je pense que ce que des hommes exceptionnels ont pu faire, après la guerre, pour créer l’Europe et d’abord entre la France et l’Allemagne –et nous avons eu la chance d’avoir des personnes tout à fait extraordinaires–, je pense que c’est un modèle pour le monde ! Il n’y a pas de possibilité de paix, ni à l’intérieur des pays, ni entre les pays s’il n’y a pas une acceptation de l’autre ! Or, c’est une chose qui me frappe, dans les difficultés qui existent dans la société française et qui risquent de se développer entre les différentes origines, les gens de différentes origines et, particulièrement moi, je vis ça dans la ville des Mureaux, qui est à côté de l’endroit ou j’ai une propriété, et je pense qu’il est de toute importance qu’il soit, que les enfants soient éduqués dans ce principe. C’est, à mon avis, d’abord à l’école que ça doit se passer et il faut que les enfants, quelle que soit leur origine jouent ensemble et fassent des choses ensemble. C’est pour ça que une chose que je vis avec un certain enthousiasme, dans les idées de Serge Ravanel. Il montre que, pendant la Résistance, dans une période donnée, des gens ont osé faire un certain nombre de choses pour luter contre l’inacceptable ! Eh bien l’inacceptable, de nos jours, une des choses les plus importantes, c’est que des communautés puissent ne pas s’entendre ensemble. C’est une des choses qui me semble la plus importante, dans notre monde ! Et je pense que, je dis je voulais parler de ces choses, ces choses : l’entente entre les communautés. L’entente entre les communautés et l’Europe pour moi c’est la même chose, et l’entente ente les gens ne peut se faire que dans la mesure où on aide les jeunes à faire des choses ensemble, à faire des choses ensemble et à avoir d’autres ambitions dans leur vie de jeunes que d’écouter de la musique ou de faire, je n’ai jamais compris ce que ça voulait dire, de « faire la fête » ! Je ne sais pas ce que ça veut dire …

Vous n’avez jamais fait la fête ?

Non jamais, mais je n’ai jamais été adolescent ! J’ai été arrêté à 17 ans, je suis rentré à 20 ! Je n’ai jamais su ce que c’était… Voilà, je voulais dire ça, parce que, pour moi, c’est très important et je vous dirai, par rapport à l’AERI11, tout ce qui est fait. L’action de l’AERI est importante pour cela ! Or vous me dites : « quel est le rapport entre l’action de la Résistance et cette action ». Je pense qu’il est important que des jeunes… parce que quand on rencontre des jeunes dans un lycée ou un collège, on peut leur dire :« j’avais votre âge » et leur dire : « Bon, ben là, je n’ai pas fait la fête » ! Au lieu de faire la fête, je crois que c’était plus intéressant et j’étais plus motivé par le fait de voir ce qu’on pouvait faire pour lutter contre une situation qui nous semblait impossible à accepter. Alors c’est là où le témoignage… on ne va pas dire aux gens « allez, entrez dans le maquis », on ne va pas dire aux gens « faites sauter des trains » ! Non ce n’est pas ça le problème. Le problème c’est que, pendant la Résistance, il y a des jeunes qui, souvent au risque de leur vie, ont fait un certain nombre de choses pour lutter contre une situation qui était inacceptable.

Et vous pensez que la jeunesse d’aujourd’hui peut faire des choses ?

Oui. Les personnes s’ignorent. Il y a des gens très malheureux. Ce qui me frappe c’est que la jeunesse est beaucoup plus attirée vers les missions à l’extérieur que vers les missions en France proprement dite. Il y a beaucoup de jeunes, à la sortie des Grandes écoles, qui sont prêts à offrir un an ou deux ans de leur temps dans une mission humanitaire. Mais on a l’impression qu’ils sont plus tentés, c’est très bien aussi, mais peut être qu’ils ne voient pas toujours les problèmes qui sont à côté de chez eux. Peut être parce qu’ils sentent un peu le caractère privilégié de la société dans laquelle ils vivent. Avec la mondialisation, il est bien de donner un an ou deux de sa vie pour aider les gens des pays défavorisés. La mondialisation ne peut se parfaire que par une diminution du niveau de vie des plus riches, pour permettre aux autres d’élever le leur. C’est pour ça que quand on parle d’une consommation qui doit toujours augmenter, on ne sait plus très bien ce que ça veut dire.

Donc, c’est ce travail sur les valeurs que vous faites avec Serge Ravanel ?

C’est une des choses parmi beaucoup d’autres, parce qu’actuellement, l’opinion que je partage avec Laurence Thibault12, c’est que sur les valeurs, on a lancé une idée, mais que cette chose -à ne peut vraiment être lancée que si on a vraiment un soutien des autorités. Parce que ce n’est pas à l’échelle de notre association que l’on peut faire ça, on arrive maintenant à un moment où il faudrait des soutiens appuyés.j Dans d’autres générations il y a encore des choses à faire aujourd’hui, et c’est quand même la jeunesse qui façonne l’avenir.

Et les valeurs de la Résistance, concrètement qu’est-ce que c’est ?

C’est lutter contre l’inacceptable, c’est pas lutter contre un ennemi, c’est lutter contre l’inacceptable ! A cette période de la guerre, c’était inacceptable qu’une nation étrangère occupe la France. Et que cette nation étrangère, en plus, veuille installer le nazisme dans le monde entier. C’était inacceptable. Aujourd’hui je pense que la chose la plus inacceptable c’est, à certains endroits, la misère ! Et souvent la misère est entraînée par l’incompréhension et la difficulté de s’entendre avec l’autre. Je vous donne un exemple. Je suis convaincu que les histoires de Palestine ne se règleront que quand les deux communautés auront appris à vivre ensemble. On peut faire des murs, on peut faire des Etats différents, il y aura toujours les uns et les autres qui considéreront qu’ils veulent plus, qu’ils veulent ceci, qu’ils veulent cela. Ils ne pourront jamais vivre véritablement en paix s’ils n’acceptent pas de vivre ensemble.

Et vous êtes aussi actif aux Mureaux…

Oui, aux Mureaux, après avoir pris ma retraite depuis 2 ou 3 ans, parce que j’avais fait quelque chose pendant ce temps-là pour continuer l’activité que j’avais avant, je me suis dit qu’il fallait que je fasse quelque chose. Et, à ce moment-là, le curé de Meulan, qui était un homme jeune et que je connaissais très bien, m’a dit : « allez donc au Secours catholique, il n’y a que des femmes là, ça leur fera du bien, ça les secouera un peu ». Alors je suis allé au Secours catholique et au Secours catholique, au bout d’un certain temps, on m’a donné la responsabilité du secteur. Et, voyant la petite ville de Meulan, qui est une petite ville relativement tranquille, je me suis dit : « à côté il y a les Mureaux », et j’ai dit à la direction du Secours catholique à Versailles :
« il faudrait quand même essayer de faire quelque chose aux Mureaux ». Alors, à ce moment-là, la direction du Secours catholique à Versailles s’est dit : « il faut faire une étude pour voir ce qu’on peut faire ». Et l’étude a abouti a fait que la chose la plus importante c’est qu’il faudrait s’occuper des jeunes enfants avant qu’ils entrent en classe en CP. Avant qu’ils apprennent à lire et à écrire. Que c’était là qu’il fallait essayer de les éveiller au maximum pour qu’ils aient le maximum de chances de réussi la première année d’études. Alors on a crée une association qui s’appelle « Eveil-enfance » et on essaie de voir ce qu’on peut faire en complément de ce qui est fait dans les classes de maternelle, qui est souvent remarquable pour ces jeunes enfants, pour compléter. On ne les prend pas très longtemps, on les pend après la classe et le goûter. La municipalité a mis un appartement, puis deux à notre disposition et on fait ce qu’on peut pour essayer d’animer les enfants avec l’idée, qu’on ne dit pas et qu’on n’écrit pas, mais qui est aussi qu’avec des bénévoles qui sont en grande partie de culture française, de les initier un peu à notre propre culture. C’est une chose très différente de tout le reste, mais qui aussi apporte beaucoup de satisfactions. Parce que ces petits enfants qui sont souvent dans des conditions très très difficiles, ils sont toujours dans des familles compliquées. Il se trouve que le quartier où on opère est un des quartiers les plus difficiles des Mureaux. Les enfants sont presque tous des enfants d’origine… Mali ou Sénégal, et les mères ne parlent même pas toujours français. Nous avons mené, à la demande du Conseil général une action aussi pour nous occuper des mères. Nous ne faisons pas une véritable alphabétisation, parce qu’il y a d’autres organisations qui le font, mais nous essayons de les débrouiller pour
que … On essaie avec les enfants aussi, en complément de ce qu’ils font à la maternelle, de les faire vivre sur des contes de notre culture. Actuellement on travaille autour du Chat botté. Ça a été Blanche Neige, c’est le Chat botté… On essaie d’éveiller les enfants autour de ça. Mais ce n’est pas toujours facile, parce que nous sommes dans un endroit ou la population est difficile. Un jour il m’est arrivé de trouver ma voiture sans roues. Nous sommes régulièrement cambriolés. En plus on a cassé des choses inutilement. Les derniers, ils ont volé simplement. Mais l’année dernière ça avait été vraiment … au Secours catholique qui a un appartement, ils avaient ouvert des tubes de mayonnaise ou des trucs comme ça sur les murs… Personne ne parle, tout le monde se connaît et sait, mais c’est l’Omerta.

Les gens du quartier apprécient ce que vous faites ?

Ah oui, oui, les mères ! On ne voit pas beaucoup les pères, mais les femmes, ces femmes qui ont une vie assez difficile sont assez extraordinaires ! Parce que quand on fait des réunions, qu’on arrive à ce qu’elles viennent, elles sont tout de suite d’une grande gaieté. Dès qu’il y a de la musique, elles dansent, il y a une atmosphère de gaieté qu’elles savent mettre.

Cela est aussi une sorte d’engagement lié aux valeurs de la Résistance…

Oui, absolument ! Dans mon activité, dans le gros de mon activité, je n’ai pas beaucoup de rapports avec les adolescents, je dirais les adolescents en groupe… J’ai eu des problèmes avec des adolescents dans une association intermédiaire… et là, le problème est très difficile parce que les milieux dans lesquels se trouvent les adolescents sot durs. Notre association intermédiaire, qui s’appelle « Tremplin plus », a pour but d’ insérer des gens qui n’ont pas de travail en leur donnant des petits travaux. C’est faire du jardinage, c’est faire un déménagement, c’est faire différentes petites choses. Et alors, pour vous donner une idée, il y a avait un garçon, comme ça, je m’étais beaucoup occupé de lui parce que, de temps en temps, et ça ça ne plaît pas toujours à ma femme, moi, de temps en temps, pour voir ce qu’ils sont capables de faire, je les prends chez moi. J’ai un grand jardin, alors il y a toujours quelque chose à faire et ça se passe plus ou moins bien, mais ça me donne une idée. Alors il y a un garçon, comme ça, avec lequel j’avais un peu sympathisé, quo me semblait tout à fait capable de faire des choses … Puis un jour il m’a dit : « je ne travaille plus pour vous, parce que vous ne payez pas assez. Moi j’ai envie d’avoir un beau blouson, des belles chaussures, des trucs comme ça, et il y a d’autres moyens de gagner de l’argent que de travailler pour vous ». Et ça c’est le grand drame dans ce qu’on appelle les cités, c’est que finalement les jeunes sont attirés dans des systèmes de trafics, qui rapportent vite de l’argent et ils ont du mal à ne pas avoir la vie des autres jeunes. Et pour les gens qui mènent ces groupes, c’est la manière de les attirer, et ça c’est un des grands problèmes des jeunes dans les cités.

Pouvez-vous nous parler de Philippe Viannay ?

Il a a essayé de monter le Centre de Formation Internationale, des journalistes, mais Philippe Viannay qui avait beaucoup de qualités, n’avait pas un véritable sens de la gestion et de l’argent, si bien qu’il n’a pas pu aboutir autrement qu’en faisant une spécialisation et il a créé, avec l’appui de mon ami Jacques Richet, une Ecole de Journalisme13, qui a très bien marché, qui a été pendant longtemps une des meilleures écoles de journalisme en France. Et, en même temps, il a été attiré par autre chose, ainsi que sa femme, Hélène, par le fait de ce que pouvait représenter la mer… C’est comme ça qu’ils ont ensemble crée le Club des Glénans14, qui a développé pour les jeunes le goût de la mer. Et tout ça il l’a fait en pensant aux gens qu’il avait attirés dans l’aventure tragique de la Résistance. Il y une chose qui m’a toujours frappé dans la pensée de Philippe Viannay, je ne sais plus les termes exacts, dans le petit mot qu’il avait demandé qui soit lu après sa mort… mais l’esprit c’était « j’ai entraîné des jeunes avec moi, j’ai entraîné des gens à entrer dans la Résistance avec moi, certains sont morts, ils savaient que c’était le risque, d’autres ont été déportés ». Jamais il n’avait pu imaginer qu’ils seraient soumis à de telles circonstances, et il y avait une certaine culpabilité en lui d’avoir entraîné des gens pas tellement à mourir, mais à être déportés. C’est un homme qui avait, je le répète, d’énormes qualités, mais qui était un peu aussi, dans un certain sens, un solitaire. Un homme qui aurait toujours voulu réaliser par lui-même toutes ses idées, mais on ne peut pas réaliser tout ce qu’on a comme idées sans avoir l’appui des autres ! Et c’est peut être en vieillissant qu’il avait commencé plus à prendre ce sens-là. Ce qui a permis la réussite de l’Ecole de journalisme et du club des Glénans.

A-t-il participé à l’association des anciens de Défense de la France ?

Oui, oui, et pour l’association il a fait une chose que pas beaucoup de gens auraient fait ! Quand il y a eu un règlement entre les anciens de Défense de la France et le groupe Hachette, le groupe Hachette a voulu lui conserver la rémunération qu’il avait au journal. Il a accepté mais il a considéré qu’il n’en toucherait jamais un centime et c’est l’association qui a touché tout. Pendant ce temps-là sa femme crevait de faim avec ses enfants ! Ça dénote un peu ce qu’était le personnage.

Tous les grands journaux issus de la Résistance basculent dans la presse marchande ?

Oui, en peu de temps, les uns après les autres ! Combat a existé quelque temps, Combat et Franc- tireur on existé quelque temps. Défense de la France avait été dirigé aussi par quelqu’un qui avait joué un rôle dans Défense de la France et qui a, au bout d’un certain temps, renoncé au titre de Défense de la France qui est devenu France soir tout court. Les premiers numéros ont été Défense de la France, puis France- soir-Défense de la France, puis France-soir tout court. Il faut dire que Pierre Lazareff, qui avait été rédacteur en chef de Paris-soir, avait une certaine optique de la presse qui n’était pas l’optique qu’avait Philippe Viannay, évidemment, parce que, avant guerre, Paris-soir, c’était les grands titres, les événements qui viennent de se passer, et tout. Une chose qu’on n’imagine pas aujourd’hui parce que, finalement, les événements vous les appreniez quand vous étiez sur les Champs Elysées par les vendeurs de journaux. Aujourd’hui vous avez eu, à la radio ou à la télévision, les informations avant le temps qui est nécessaire pour qu’on imprime un journal et qu’on le vende sur les Champs Elysées ! Mais il y a avait aussi le goût de l’extraordinaire, du scandaleux, des choses comme ça, qui n’étaient évidemment pas l’idée de ces anciens Normaliens! Alors ça a posé beaucoup de problèmes. La direction, la présidence du journal est quand même restée dans les mains d’un résistant15 qui avait été un des fondateurs de Défense de la France et qui, finalement, avait été accroché un peu par le groupe France-soir, parce que la loi sur la presse nécessitait qu’il y ait un ancien résistant, à cette époque-là, dans le conseil d’administration du journal16. Parce que le groupe Hachette a commencé à y entrer en se cachant, en se cachant derrière des gens. On n’a jamais très bien su qui était au courant ou pas, c’est des histoires bien compliquées. Mais il est évident qu’un homme comme Philippe Viannay qui était un peu un idéaliste, pouvait difficilement vivre dans ce milieu-là ! Philippe Viannay a été un homme extraordinaire, et sa femme, Hélène, a été aussi une femme tout à fait extraordinaire. Elle est morte l’année dernière. J’ai gardé beaucoup d’amitié pour elle qui a vécu à l’ombre de son mari pendant longtemps… et après la mort de celui-ci s’est découvert une femme d’action et tout. C’est elle qui a insisté pour que soit créé, avec l’argent qui restait de Défense de la France, le prix Philippe-Viannay-Défense de la France, et elle a aussi fait beaucoup pour le rapprochement franco-allemand, puisqu’une année elle beaucoup insisté pour que le prix soit donné à un livre sur la Résistance en Allemagne… si bien qu’elle a eu, une année, le prix de Gaulle- Adenauer, qui lui a été remis à Strasbourg.

Et la Résistance dans les camps, c’est quelque chose que vous avez connu ?

Non. Vous savez, il y a beaucoup de choses à dire dans les camps. Mais dans les camps, il y a une hiérarchie. Il y a une hiérarchie pourquoi ? D’abord, le fonctionnement des camps ce n’était pas les SS. Les SS étaient tout à fait au-dessus prenaient des déportés pour les différents postes. Dans les différents postes, il y a des postes qu’il est plus souhaitable d’avoir que d’autres. Il vaut mieux être dans les bureaux, il vaut mieux être à la cuisine surtout. Or, la structure des camps, et particulièrement des camps anciens qui faisaient qu’il y avait des opposants au nazisme, et particulièrement des communistes allemands qui étaient dans les camps, cela avait créé une certaine hiérarchie, et c’était les communistes allemands et espagnols ( là je parle de Mauthausen) qui avaient la direction du camp. Naturellement sous le contrôle des SS, mais qui avaient les postes importants. Alors ça a fait naître un certain nombre de choses, que le commun des mortels dans le camp ne connaissait pas forcément … Et moi je suis incapable de dire si un certain nombre de choses qui sont racontées sur la Résistance dans le camp, si le rôle de certaines personnes au moment de la libération du camp est vrai ou faux. Moi je dis simplement que j’ai un doute, parce que je crois que les choses se sont passées beaucoup plus simplement et naturellement que certaines personnes ne le disent… Mais ça fait partie des difficultés de l’Histoire ! Il y a bien souvent une histoire qui est propre aux communistes.

Vous pensez que cette résistance là n’a pu être attribuée qu’aux communistes ?

Elle n’était possible que pour les gens qui étaient à certains postes. Alors je ne dis pas qu’il n’y avait pas des groupes, que ces gens-là n’avaient pas des groupes pour voir ce qu’ils pourraient faire dans le camp ou des choses comme ça, mais le rôle qu’ils ont joué au moment de la libération des camps, c’est ça. Et moi je dirais qu’il y avait à Mauthausen un garçon qui s’est beaucoup, beaucoup occupé des prisonniers. Je ne sais pas quelle place il avait, mais c’était un garçon qui était de tendance communiste, qui était tout à fait remarquable et au moment ou les listes ont été faites pour les gens qui devaient –quand la Croix Rouge est venue et que certaines personnes devaient être rapatriées–, lui il a pris … alors que son nom venait d’être mis sur la liste, il a pris la position : « moi je ne partirai pas tant que le dernier français ne sera pas parti ». Vous savez, c’est très, très difficile de parler du rôle des communistes, parce qu’il y a un mélange entre des gens qui ont fait patrie de ces groupes, avec une énorme générosité, de cœur en particulier, et puis parce que c’était une tradition pour le monde du travail, et puis des gens qui ont été… heu, un peu les, les… comment dire ? Qui ont suivi le communisme dans son côté, un peu… on crée une vérité, on la crée, elle n’est pas vraie, mais on la crée. Et là- dedans, la masse des gens n’est pas dedans… mais c’est ce qu’on lui dit qu’il faut croire. Ce ne sont pas des créateurs… Il faut … Moi je ne crois pas à a résistance dans les camps ! Attendez, il faut bien voir les choses. Il y a deux choses qu’il faut voir.
Je ne crois pas à leur intervention au moment de la libération de Mauthausen, voilà ! Bon, il y a un historien qui m’a dit… c’est un Anglais qui s’est intéressé, je ne sais pas pourquoi, au camp de Mauthausen. Si, il s’y est intéressé à cause des Espagnols. Il y avait beaucoup d’Espagnols au camp de Mauthausen, qui étaient des républicains qui avaient été dans les camps en France au moment de la fin de la guerre d’Espagne. Il y a une partie importante de l’armée républicaine qui a franchi la frontière et qui s’est retrouvée là, brutalement. Ils ont été mis dans des camps en France. Moi j’avais, à un moment, un Kapo espagnol qui m’a flanqué des coups en me disant : « c’est rien à côté de ce que j’ai eu en France ». Bon ! Alors parmi ces Espagnols qui avaient été pris par les Allemands comme des prisonniers politiques… Un jour quand j’ai dit à Azéma17, « il y a des gens qui étaient dans les camps espagnols en France et qui ont été amenés sur le front pour faire des travaux et qui ont été ramassés par les Allemands », il m’a dit : « non, c’est pas ça ! » Je ne sais pas moi, c’était ma version, mais c’était pas la version d’Azéma (18). Mais peu importe, ils ont été arrêtes par les Allemands, ils ont été arrêtés comme des prisonniers politiques et mis en camp de concentration et la plus grande partie étai t à Mauthausen. Alors notez que l’histoire que je vous raconte c’est peut être une histoire isolée, mais dans les prominente il y avait pas mal d’Espagnols, des Espagnols, et presque tous les déportés en conservent de très mauvais souvenirs. Des Polonais aussi… mais les Polonais c’est un autre problème, qui nécessiterait beaucoup de choses. Les Polonais, il y avait deux classes de Polonais. Il y a avait les gens cultivées, qui souvent parlaient très bien français et qui avaient d’excellentes relations avec les médecins français. Il y en a un qui m’a aidé beaucoup à un moment. Et puis il y avait la masse des Polonais. Mais les Polonais sont un peuple qui a tellement été soumis aux uns et aux autres qu’il y a eu une habitude de chercher des trucs et des moyens de survivre. Alors, bon… je dis souvent qu’il faut s’imaginer qu’au camp il y a des choses qui étaient très difficiles. On vous volait une partie de votre équipement… Vous étiez puni si vous n’aviez pas le petit bonnet que vous deviez avoir … Il y avait toute une organisation de vol. Il y a avait des gens qui vous volaient. Mais la monnaie ça n’existait pas, la seule monnaie c’était la nourriture. Si on vous avait volé votre petite casquette, enfin je ne sais pas comment ça s’appelait, enfin un petit bonnet, eh bien il fallait que vous en ayez un, et la seule manière c’était de donner votre pain pour en avoir. Il y avait un terme pour cela, ça s’appelait « organiser », qui est la forme latine en Allemand de voler. C’était « organiser »… et c’était des problèmes de comportement qu’on ne connaissait pas dans la partie française, chez les Français, c’était pas… j’ai jamais entendu parler que quelqu’un disait que c’était un Français qui avait volé quelque chose. C’était toujours les Polonais.

1 Jacques Lusseyrand. 1924-1971. Bien qu’aveugle, il crée « Les volontaires de la liberté » », groupe qui, rallié à à « Défense de la France » permet une large diffusion du journal. Arrêté à la suite d’une trahison, il est déporté Buchenwald. Il est l’auteur d’un très beau livre : « Et la lumière fut ». Editions du Félin, 2005.

2 Philippe Viannay. 1917-1988. Il crée en avril 1941 « Défense de la France » avec Robert Salmon et Hélène Viannay le journal qui tirera à 450 000 exemplaires en 1944. Le journal donnera naissance à l’un des plus importants des mouvements de Résistance. Philippe Viannay sera aussi à l’origine, après la guerre, de la création du Centre de formation des journalistes (avec Jacques Richet) et de l’école de navigation Glénans.

3 Le 22 octobre 1940, Pétain rencontre Hitler à Mon jetoire et annonce officiellement qu’il entre dans la voie de la collaboration avec l’Allemagne.

4 Geneviève de Gaulle, alias Gallia. 1922-2002. Nièce du Général de Gaulle, elle est d’abord membre du réseau du Musée de l’Homme puis, en 1943, elle entre à Défense de la France. Elle est la seule femme à participer à la rédaction du journal. Arrêtée en même temps que Jean-Marie Delabre, à la suite de la même trahison, elle est déportée à Ravensbrück. Après la guerre, elle milite contre la misère et elle est notamment présidente de ATD quart-monde. Elle est panthéonisée en 2015 mais, à la demande de sa famille, son corps reste dans le caveau familial.

5 Jean-Daniel Jurgensen.1917-1987. Normalien, après avoir créé un éphémère mouvement de résistance dès 1940, il rallie « Défense de la France » et joue un rôle très important comme rédacteur et membre du comité directeur du journal. Après la guerre il mène une carrière de diplomate.

6 Elio Marongin. Il est à l’origine de près d’une centaine d’arrestations. Il sera fusillé à la Libération. Oui oui j’ai vu moi aussi ce que c’était pas la même heure que j’ai dépensé

7 A la librairie « Le voeu de Louis XIII » qui servait de lieu de rendez-vous aux membres de Défense de la Ferance, transformée en souricière par Bonny et Lafont, le 20 juillet 1943.

8 La bande à Bonny-Lafont. C’est la Gestapo française de la rue Lauriston (94 ,rue Lauriston dans le 16e). Henri Lafont était un ancien membre de milieu, Pierre bonny était un policier révoqué. Tous deux sont fusillés après la Libération avec un certain nombre de leurs complices. Il sont responsables d’un très grand nombre d’arrestations, d’exécutions, et de déportations de résistants ainsi que d’emploi généralisé de la torture.

9 Le voeu de Louis XIII.

10 Jacqueline Pardon.1921-2009. Membre du comité directeur de Défense de la France, elle rejoint les maquis de Bourgogne–Franche-Comté après sa libération.

11 AERI, Association pour des études sur la Résistance intérieure. Association créée par Serge Ravanel, qui édite des DVD sur l’histoire de la Résistance département par département et qui mène une action dans les écoles, les collèges et les lycées sur le thème : «valeurs de la Résistance, valeurs dés jeunes d’aujourd’hui ». Pour en savoir plus, se reporter à l’interview de Serge Ravanel sur notre site.

12 Laurence Thibault était alors la directrice de l’AERI.

13 Le Centre de formation des journalistes, le CFJ.

14 L’école des Glénans. Fondée par Philippe et Hélène Viannay était destinée, à l’origine, à permettre aux jeunes résistants éprouvés par la guerre de se reconstiruire. L’école est devenue ensuite un centre nautique célèbre, ouvert à tous, et qui a notamment démocratisé largement la pratique de la voile grâce à célèbre « Vaurien », dériveur à très faible prix qu’ils ont fait construire.

15 Hélène Viannay, née Hélène Mordkovitch. 1917-2006. Co-fondatrice de Défense de la France dont elle permet l’impression dans les caves de la Sorbonne, elle aussi co-fondatrice de Centre fe formation des journalistes et de l’école Glénans..

16 Robert Salmon, 1918-2013. À l’origine de Défense de la France avec Philippe et Hélène Viannay, il est président-directeur général de France-Soir de 1949 à 1976.

17 Jean-Oierre Azéma, historien.

18 Les républicains espagnols déportés à Mauthausen ont, dans leur immense majorité, été livrés directement par les autorités françaises, à partir des camps français, aux Allemands après la signature de l’armistice.