Communiqué
Le musée des Beaux-Arts de Quimper est l’un des deux musées en France – avec celui de Béziers – à conserver un fonds conséquent d’œuvres exécutées par Jean Moulin qui se fit connaître, en tant qu’artiste, sous le pseudonyme de « Romanin ». Ces deux ensembles proviennent du legs fait par sa sœur, Laure Moulin, en 1975. C’est lors d’un travail de recherche pour la commémoration des 80 ans de la disparition de Jean Moulin, que le musée a mis en lumière neuf plaques de cuivre gravées de sa main parmi lesquelles figuraient des matrices inédites (c’est-à-dire non tirées sur papier). Le musée ayant vocation à diffuser et à faire connaître les œuvres qu’il conserve, il a été décidé – de concert avec les ayant-droits de la famille Jean Moulin et la Bibliothèque nationale de France – de procéder au tirage de trois épreuves de chacune de ces matrices. L’opération a été confiée à l’artistegraveur et peintre quimpérois Yves Doaré. 1943, l’année même où le héros de la Résistance mourait tragiquement, Yves Doaré voyait le jour. 92 ans après leur création (vers 1931-1932), dans le silence de l’atelier d’Yves Doaré, les cuivres de Romanin ont donc livré leurs secrets, à Quimper même, la ville où Moulin acquit les rudiments de cette pratique et où il grava ces neuf matrices. La série a pour thème la parabole du Fils prodigue, inspirée de L’Évangile selon saint Luc (chapitre 15, versets 11-32). Jean Moulin, né à Béziers mais dont les racines familiales étaient provençales, la situe dans un décor typique de cette région. Il s’agit, selon toute vraisemblance, d’un projet d’illustration sans que l’on en connaisse réellement la destination : selon les ayants droits de Jean Moulin, il pourrait s’agir d’un projet pour illustrer un manuscrit inachevé d’Antonin Moulin, le père de Jean. Mais ce projet pourrait également être lié à l’illustration d’un ouvrage inspiré de la parabole biblique qui connaît, au tournant du siècle, une grande fortune : André Gide et Rainer Maria Rilke (1907 et 1909), Jos Vanden Berghe (1910), Jack London (1912), Hermann Hesse (1919), Marcel Thiry (1927) s’en sont inspirés dans leurs écrits. Un ballet de George Balanchine sur une musique de Sergueï Prokofiev a été créé sur ce sujet par les Ballets Russes de Serge de Diaghilev à Paris le 21 mai 1929.
Une redécouverte exceptionnelle
En 1975, Laure Moulin a légué un fonds conséquent d’œuvres et de documents de son frère au musée des Beaux-Arts de Quimper. Le choix s’est porté sur des œuvres qu’il a réalisées lors de son passage en Finistère, en qualité de sous-préfet de Châteaulin (entre 1930 et 1933) ; ainsi que sur quelques œuvres de ces amis quimpérois lui ayant appartenues. L’ensemble, mis au jour début 2023, relève de ce fonds. Celui-ci comprend, aux côtés des documents et manuscrits, des matrices en cuivre et zinc dont le musée conserve des tirages sur papier. Parmi ces matrices, neuf d’entre elles n’ont jamais été exposées, ni exploitées, car aucun tirage ne permettait d’en connaître l’iconographie. Ces plaques de cuivre relèvent d’un même ensemble autour de la thématique de La parabole du Fils prodigue. Après enquête auprès des collections du musée de Béziers et des ayant droits de Jean Moulin, il apparaît que certaines de ces plaques, correspondant à des états différents et/ou à des créations inachevées, sont inédites. Par le choix d’un sujet aux connotations familiales, empreint de tendresse filiale, par certains traits des personnages, par le positionnement des scènes en Provence, ces images revêtent sans nul doute un caractère autobiographique. Cette lecture ne fait que renforcer l’émotion qu’elles suscitent en connaissant le destin tragique de Jean Moulin dans la décennie qui suivra. À la solitude du fils vagabond, au regard perdu, répondent l’accolade paternelle et le geste consolateur de la mère. Le cycle comprend aussi le banquet du veau gras qui n’est pas sans évoquer certaines scènes burlesques qui firent le succès du jeune Romanin. La taille modeste des cuivres – plus petites que les zincs d’Armor – le trait fin, parfois à peine esquissé – beaucoup moins affirmé et dense que les dernières matrices – et la place laissée à la réserve plaident en faveur d’une datation aux alentours de 1931-1932. Cette période correspondrait aux premiers essais de Jean Moulin dans le domaine de la gravure. Aucune trace de ce travail ne figure dans la correspondance de Jean Moulin. En revanche, après son départ du Finistère, il va collaborer avec son père pour illustrer un manuscrit que ce dernier avait rédigé sur l’histoire de Saint-Andiol où vivait la famille Moulin. Il en fait mention régulièrement dans ses lettres. Plusieurs xylographies (procédé plus facile à mettre en œuvre que les eaux-fortes) en sont issues. Elles sont aujourd’hui conservées au musée de Béziers
Une réponse à “De l’ombre à la lumière. Des gravures « inédites » de Jean Moulin, alias Romanin, exposées au musée des Beaux-Arts de Quimper”