Archives mensuelles : novembre 2024

Compte rendu de la conférence de Stéphanie Trouillard : « Le village du silence »

Stéphanie Trouillard est journaliste de France 24, spécialiste de la seconde guerre mondiale, autrice de livres et BD, participante aux rencontres du lycée Hélène Boucher.

Ce jeudi 10/10/2024, Stéphanie nous a présenté son dernier livre, de manière palpitante et sur un sujet inédit : « Le village du silence – Agnès et Léontine, Bretagne, juillet 1944 » (éditions Skol Vreizh) L’exposé a été suivi par un débat tout aussi passionné et passionnant.
Stéphanie nous rappelle d’abord que cela fait quinze ans qu’elle s’est lancée dans la recherche de ses racines morbihanaises. En 2023, elle avait déjà présenté devant l’ADVR son livre « Mon oncle de l’ombre», traitant du massacre de Kerihuel, près de Plumelec, qui a coûté la vie à son grand oncle, résistant du maquis de Saint-Marcel.
C’est en 2019, lors d’une cérémonie pour les 75 ans du massacre de Kerihuel qu’elle rencontre Louis Merlet qui lui parle de deux femmes de ses amis, la mère (Agnès) et la fille (Léontine),, assassinées par des résistants locaux. Cela lui donne envie d’en savoir plus, et elle se remet à enquêter. L’idée n’est pas de pointer du doigt un village gangréné par ce double assassinat, mais de briser le silence, d’approcher la vérité et de permettre ainsi la réparation.
Aux archives municipales de Plumelec, elle retrouve les actes de décès des deux femmes, grand-mère et mère d’une famille Deschotte, des gens réfugiés venus du nord de la France (Malo- les- bains).

Une recherche généalogique lui permet de retrouver deux descendants, petits enfants de Léontine, à St Saulve, près de Valenciennes. Leur mère Micheline avait déjà cherché à en savoir plus sur les circonstances des assassinats. La famille est d’accord pour enquêter.
Une recherche des archives sur l’épuration (départementales, de la gendarmerie, de la justice militaire, judiciaires) montrent que ces deux femmes ont été éxécutées comme collaboratrices.
En interrogeant les gens, qui étaient enfants à l’époque , Loïc Merlet, vivant à Plumelec, apprend que la famille Deschotte était intégrée, le père Gérard travaillait comme mécanicien, Micheline allait à l’école privée catholique, la famille allait à l’église, aux évènements…Finalement, les langues se délient, et donc l’éxécution serait liée à une « épuration de voisinage », plusieurs causes étant possibles, notamment car ces dames parlaient le flamand et l’allemand. Ce sont deux femmes qui ont été tuées par un groupe d’hommes. Les hommes de leur famille n’ont pas été tués.
Donc, pendant 80 ans, tout un village a fait silence, bien que beaucoup d’habitants n’aient pas été d’accord avec l’éxécution. Un homme a tenu à parler franchement en public à Plumelec en 2024 pour se libérer du fardeau que constituait cet acte pour lui.
Pour les 80 ans de la Libération, Plumelec, village déjà consacré haut lieu de la Résistance, a mis en place des panneaux ; sur l’un la mairie ose enfin parler des exactions de certains résistants en relation avec le décès de ces deux femmes.
Micheline avait en 2012 fait une demande pour que Agnès et Léontine soient reconnues « Mortes pour la France » et inscrites sur le monument aux morts de Plumelec parmi les victimes civiles de 39-45. Demande refusée, réitérée par ses enfants, et à nouveau refusée en 2024. En mai 2024, le maire de Plumelec reconnaît néanmoins le droit au devoir de mémoire de cette famille et autorise la pose d’une plaque commémorative près des deux tombes.
Il reste à savoir comment le village réagira à la lecture de ce livre.

(Geneviève Guyot)

Jean Lafaurie – Histoires de la Résistance et de la Déportation – 2ème partie

Jean Lafaurie, résistant déporté.

Interview de Jean Lafaurie par Julien Le Gros, Yves Blondeau et réalisée par Miguel Vallecillo Mata

Jean Lafaurie, résistant FTP, déporté à Dachau, a participé à un épisode exceptionnel de l’histoire de la Résistance : la révolte de la centrale d’Eysses. 

Le texte évoque cette révolte dont l’objectif est l’évasion collective 1200 détenus.

La révolte de la centrale d’Eysses

La centrale d’Eysses est une prison installée près de Villeneuve-sur-Lot où les autorités de Vichy avaient rassemblé plus de 1200 résistants communistes.
La stricte discipline des résistants communistes avait permis une organisation exceptionnelle à l’intérieur de la centrale. Les détenus avaient obtenu du directeur le droit de monter un théâtre, d’avoir une chorale, de faire des groupes d’études, des cours (Georges Charpak par exemple donnait des cours de physique), des séances de gymnastique, d’avoir des visites, de repeindre les locaux qui étaient très dégradés, etc.
L’objectif des responsables communistes n’était pas d’améliorer le confort des détenus mais de les préparer en gardant le meilleur moral possible à une évasion collective prévue dans la nuit du 31 décembre 1943, au moment où la surveillance se relâcherait.
En vue de cette évasion, les détenus avaient réussi à faire rentrer des armes: des mitraillettes, des grenades, à faire évader l’un des leurs, Kléber (de son vrai nom Fenoglio), pour qu’il prenne contact avec la résistance extérieure. Ravanel, chef national des groupes- francs des MUR(*) est venu en personne sur place pour étudier les moyens de faciliter cette évasion. Il fallait en effet prévoir des camions pour transporter 1200 hommes, des vêtements, des papiers d’identité, des cartes d’alimentation et des lieux de chute dans des maquis! Tout cela étant mis au point, Ravanel, qui avait aussi prévu le soutien extérieur d’une soixantaine de résistants équipés de mitrailleuses et de mortiers, chargea le chef local des groupes-francs des MUR, Joly ( de son vrai nom Marcel Joyeux), de réaliser l’opération.
Cependant, lorsque au dernier moment, Joly apprit qu’il s’agissait de 1200 résistants communistes, il décida, par anticommunisme, de ne pas faire intervenir les résistants extérieurs. Sans ce soutien, les détenus durent donc provisoirement renoncer à passer à l’action.
Malgré tout, à l’occasion de la visite d’un inspecteur venu de Vichy, les détenus tentèrent le tout pour le tout et s’emparèrent d’une partie de la prison, du directeur, de l’inspecteur, d’une cinquantaine de gardiens et tentèrent la sortie. Mais le tir des mitrailleuses des miradors les bloquèrent à l’intérieur. Les combats durèrent tout l’après-midi du 19 février 1944, toute la nuit aussi. Mais au matin la prison fut encerclée par 3000 miliciens soutenus par des troupes allemandes équipées de canons. La situation des
résistants étant devenu intenable ils rendirent les armes contre la promesse qu’il n’y aurait pas de représailles.
Malgré cette promesse, de nombreux résistants furent torturés pour leur faite dénoncer les chefs de la révolte mais aucun d’eux ne parla, douze d’entre eux furent fusillés et les Allemands de la division Das Reich prirent possession de la prison. Le 30 mai 1944, les 1200 détenus communistes furent déportés, d’abord à Compiègne, puis le 19 juin à Dachau.
Tout au long de leur calvaire les prisonniers conservèrent leur esprit combatif, ce qui n’ empêcha pas que 700 des membres de ce que les prisonniers eux-mêmes ont appelé « le bataillon d’Eysses » perdirent la vie à Dachau.
*MUR, Mouvements Unis de la Résistance. Les MUR regroupent depuis janvier 1943, à la demande de Jean Moulin, les forces militaires des trois mouvements de zone sud: Combat, Libération sud et Franc-Tireur . Ravanel est nommé à leur tête en juin 1943.