Les Invalides – Jeudi 8 janvier 2015
« Mesdames, messieurs les parlementaires,
Chère madame CHAMBEIRON, je salue votre famille ici rassemblée.
Mesdames, messieurs,
L’hommage national à Robert CHAMBEIRON se situe dans un moment exceptionnel de la vie de notre pays. Aujourd’hui, c’est un jour de deuil national. Tout à l’heure, à midi précisément, les Françaises et les Français se recueilleront en souvenir des victimes de l’attaque terroriste qui a visé un journal, Charlie Hebdo, et à travers lui la liberté et donc notre pays. La France a été frappée en son cœur-même, dans sa ville capitale, dans un lieu où soufflait l’esprit de liberté et donc de résistance. Depuis hier, des rassemblements spontanés, partout en France, se sont constitués, démontrant une nouvelle fois que notre pays, notre grande France, sait se réunir pour défendre son idéal – l’idéal de la République, l’idéal de la paix – face à ceux qui prétendent l’atteindre en tuant des journalistes et des policiers.
Cette mobilisation contre l’infamie donne un sens particulier à la cérémonie autour de Robert CHAMBEIRON, parce qu’il avait incarné aux heures les plus sombres cet esprit, celui qui souffle encore aujourd’hui, l’esprit de résistance. Robert CHAMBEIRON était l’un des derniers témoins du Conseil National de la Résistance. Il avait participé à sa fondation et à sa préparation, autour de Jean MOULIN. Robert CHAMBEIRON était resté fidèle, tout au long de sa longue vie, au programme du Conseil National de la Résistance. Il en rappelait à chaque moment l’actualité, la portée et le respect que nous devions avoir à l’égard d’un texte qui avait rassemblé, une fois encore, toutes les familles politiques, syndicales, qui luttaient pour la libération de notre pays.
Robert CHAMBEIRON était un combattant, qui a toujours cherché, jusqu’à ses dernières heures, comment bâtir un monde meilleur, une France plus juste. Il était né en 1915, dans la Grande Guerre, comme si sa naissance donnait un sens aussi à sa vie. Il a grandi dans une famille où l’on avait la République chevillée au corps, où elle faisait partie de discussions quotidiennes sur ce que devait être la patrie et les valeurs qu’elle portait.
A l’âge adulte, il est venu très vite aux responsabilités. Robert CHAMBEIRON se rêvait aviateur. Il n’a pas pu atteindre cet objectif, mais à 21 ans il était membre du cabinet de Pierre COT, ministre de l’Air. D’une certaine façon, il avait déjà rempli sa vocation. Au cabinet de Pierre COT, il rencontra Jean MOULIN et Pierre MEUNIER. Ensemble ils vivront avec exaltation l’aventure du Front Populaire, avec déchirement l’écrasement de la République espagnole, et avec lucidité la montée vers la guerre – la lucidité de savoir que le combat contre le nazisme était inéluctable, et avec le courage de vouloir le mener.
Mobilisé le 2 septembre 1939, il a lutté, à sa place dans l’armée, pour éviter la défaite. En octobre 1940, quelques mois après le funeste armistice, il a choisi de rester en France pour résister. Lui-même en avait fait la confidence dans l’un de ses écrits : « je me suis le plus naturellement du monde engagé pour combattre les deux visages du fascisme, celui de l’Occupation et celui de Vichy. »
Il fallait « faire, comme il disait, quelque chose ». C’est ce message-là que nous devons garder. Toujours faire quelque chose, ne jamais se laisser impressionner, ne jamais se laisser menacer, ne jamais rien céder. Faire quelque chose, c’est à la portée de chacune et chacun d’entre nous et de ce que nous constituons, la nation française.
Faire quelque chose… Ce quelque chose, ce fut avec Jean MOULIN qui lui montra le chemin dès la fin de l’année 40. Il venait d’être révoqué par le gouvernement de Vichy et Robert CHAMBEIRON se situa immédiatement à ses côtés avec une mission : unifier les mouvements de résistance sur le territoire français. Ce fut alors pour lui la clandestinité. Depuis le quartier des Buttes-Chaumont à Paris, Robert CHAMBEIRON devint l’un des agents de Jean MOULIN, son contact parisien, avec son camarade Pierre MEUNIER.
C’est ainsi qu’il fut présent lors de cette journée historique du 27 mai 1943, journée où le Conseil National de la Résistance fut réuni pour la première fois. Ce fut un grand moment d’unité nationale. Il y avait dans ce conseil les chefs des mouvements de résistance ; il y avait les représentants des partis républicains ; il y avait les syndicats. Ils ne venaient pas des mêmes horizons, ils n’avaient pas les mêmes sensibilités, ils n’avaient pas les mêmes expériences, mais ils étaient tous rassemblés pour que revive la France et pour que renaisse la République.
Aujourd’hui encore, c’est en étant rassemblés, unis et solidaires que nous ferons face à la barbarie terroriste, à l’intolérance, à l’infamie. Au-delà des croyances, au-delà des opinions, au-delà des sensibilités, au-delà des origines…, tous rassemblés, oui !, parce que ces différences qui existent dans notre pays s’effacent quand il y a l’essentiel qui est en cause. Ces différences deviennent alors autant de richesses au service de l’unité nationale.
Robert CHAMBEIRON a assisté à la rédaction du programme du Conseil National de la Résistance. Ce texte portait le beau nom de Jours meilleurs. C’est ce que nous aurons toujours à avoir à l’esprit, les jours meilleurs. Il y a des jours noirs, il y a des jours d’épreuve, il y a des jours de douleur, il y a des jours de deuil…, mais il y aura des jours meilleurs si nous savons les préparer. Les jours heureux, c’est une flamme d’espérance allumée dans la nuit de l’Occupation. Cette flamme-là nous éclaire encore aujourd’hui. Le programme national de la résistance n’était pas qu’un programme pour libérer le pays. C’était un programme pour le reconstruire, mais pas à l’identique, pour que la France soit plus forte et plus solidaire.
Robert CHAMBEIRON poursuivit d’une autre manière le combat qui avait été le sien dans la résistance. Il devint délégué à l’Assemblée consultative provisoire, puis député des Vosges. Il siégea à l’Assemblée nationale comme radical, dans un premier temps, mais un radical progressiste. C’est ainsi qu’il put défendre ses idées à l’Assemblée nationale de 1945 à 1951, puis de 1956 à 1958 comme apparenté communiste. Plus tard, il voulait porter son idéal, son idéal de justice, d’égalité, de progrès, au niveau de l’Europe toute entière. C’est pour mener à bien cette légitime ambition qu’il siégea au Parlement de Strasbourg pendant dix ans, de 1979 à 1989, apparenté au groupe communiste.
Robert CHAMBEIRON était un militant politique qui s’affichait comme « progressiste ». Progressiste est un beau nom. C’est croire que la France peut toujours avancer, qu’il y a toujours une possibilité de changer l’existence humaine, le destin d’une nation, l’avenir du monde. Progressiste, c’était sa marque. Le progrès, c’était son étoile.
Mais Robert CHAMBEIRON était aussi un militant de la mémoire. Il fut président de l’Association nationale des anciens combattants de la résistance, l’ANACR, jusqu’en 2010. Je salue ici ses représentants. Il lui importait de transmettre aux jeunes générations l’esprit de la résistance, d’expliquer le combat qui avait été celui de ces hommes et de ces femmes de la clandestinité, pour que notre pays soit ce qu’il est aujourd’hui. Libre, toujours libre !
Il voulait aussi continuer à défendre le programme qui avait fondé le Conseil National de la Résistance car ce n’était pas un programme pour un temps donné, c’était le programme pour la République française. Il avait résumé ce qu’était finalement la charte de son identité politique. Sans justice, sans égalité, sans solidarité, la démocratie devient un mot vide de sens.
La démocratie, il faut la préserver. La démocratie est notre bien commun, mais il appartient à chacune et chacun, à sa place, de lui donner un contenu, de faire que la démocratie soit une espérance partagée et pas simplement un mode de vie, un cadre pour la confrontation électorale. La démocratie, c’est ce qui doit mobiliser tous les citoyens, parce qu’elle est fragile, parce qu’elle est un combat. Aujourd’hui, jour de deuil national, c’est l’esprit de résistance qui, une fois encore, doit être célébré. L’esprit de résistance, c’est la force qui nous guide pour ne rien céder à l’intolérance, à la haine, à la barbarie.
Je veux exprimer toute ma gratitude à Robert CHAMBEIRON, y compris parce qu’il nous permet dans cette cérémonie autour de lui, autour de sa dépouille, de nous adresser ensemble un dernier message : celui du combat pour les valeurs de la République, pour que l’espérance puisse encore guider nos pas pour la grande idée de la France, celle qu’il se faisait dans la résistance, celle qu’il s’est faite toute sa vie, cette belle idée de la France que nous devons toujours protéger, préserver, défendre et promouvoir. Merci Robert CHAMBEIRON au profit de Charlie Hebdo. »