Interview de Vincent Goubet, réalisée en 2009, pour son film «Faire quelque crosse » sorti en 2013 sur les écrans et parue en DVD.
Donc, général Omnès, nous sommes dans la tranchée de Bolley, est-ce que vous pouvez-nous expliquer ce qui s’est passé dans cette tranchée ?
Eh bien c’était une voie ferrée stratégique à l’époque. C’était Paris- Belfort-Mulhouse-l’Allemagne, les renforts, les trains de blessés, etc. C’était une ligne extrêmement intéressante, d’autant plus qu’à Port d’Atelier, à 3 km, ici, les voies partaient sur Épinal, Nancy, Dijon, et que le roulement était important. Alors on avait fait un premier déraillement deux jours après le débarquement du 6 juin, dans la nuit du 7 au 8 — avec un renfort d’ailleurs, d’un officier soviétique évadé– un peu plus loin, 4 km après Montureux. Donc la ligne était déjà bloquée. Et puis, on a voulu bloquer dans la tranchée même, parce que ça fait un bouchon énorme dans la tranchée ! Un premier train. Et puis ils ont commencé à déblayer ce premier train. J’en ai lancé un deuxième à partir de Montureux, qui n’est pas très loin. Et puis ensuite, ce n’était pas suffisant, j’ai lancé une locomotive et des morceaux de trains partant de Port d’Atelier. Tous les trains s’arrêtaient, faisaient une navette entre les deux points d’arrêt de cette ligne. Pour les Allemands c’était important. Alors j’arrêtais les trains à Port d’Atelier et je lançais des locomotives en plus. Et un jour une de mes agents de liaison est venue me trouver en me disant : « Simoun », c’était mon nom de guerre : « Simoun ils sont en train de déblayer la tranchée ».
C’est que vous aviez réussi, en fait, à la combler…
Elle était aux trois quarts, sinon aux 9/10 comblée. Mais ils avaient amené une grue. La grue venait de Nancy et ils commençaient à enlever les locomotives. Alors je suis arrivé avec une équipe, inopinément, puisque je n’ai pas eu le temps d’organiser le truc, j’ai pris les premiers que j’avais sous la main, j’ai réquisitionné une petite camionnette –du fromager du coin– et puis on est arrivés ic. On est arrivés sur le pont là- bas. Un fusil-mitrailleur tenu par George, et puis moi avec ma grosse mitraillette, là. Une rafale en l’air. J’ai harponné le chef de la milice qui était un peu plus loin, il avait deux sections. J’ai dit : « vous vous désarmez, sinon il y aura de la casse ». Donc ils ont jeté leurs armes. Il y avait à peu près une cinquantaine de ce que l’on appelait les miliciens. Ensuite il y avait les garde-voies. Ils étaient à peu près une vingtaine. Ils avaient rameuté tout le monde dans le secteur ! Il y avait des ingénieurs, il y avait le personnel de la gare et puis il y avait une dizaine de soldats allemands. Un groupe. On en a fait deux prisonniers tout de suite. Les autres sont partis dans la nature et se sont évadés là-bas. Ils m’ont tiré dessus d’ailleurs, quand j’étais sur la locomotive, parce qu’ils étaient à hauteur du cimetière. Alors j’ai fait reculer, avec le mécanicien, le chauffeur, j’ai fait reculer la locomotive avec deux wagons. là-bas, c’est- à-dire à peu près à 1 km, 1 km et demi, et puis je leur ai demandé de descendre. Ils sont descendus et j’ai lancé la locomotive. C’était une 241, donc c’est déjà un morceau. Et puis, au moment de sauter, quand j’ai eu tiré le régulateur, parce que vous savez, une locomotive… enfin vous ne savez pas ! une locomotive, si vous tirez d’un seul coup, ça dérape. Alors il faut y aller progressivement. J’avais l’habitude parce que des lancers de locomotives j’en avais fait déjà une dizaine. Et puis j’ai donc, au moment de sauter, tiré le régulateur à fond. Malheureusement, j’aperçois alors un signal. je me serais planté sur un signal… alors j’ai attendu de passer le signal, mais la locomotive prenait encore de la vitesse! J’ai ramassé la gamelle du siècle. Je n’avais rien de cassé, c’était déjà quelque chose ! J’étais pas beau à voir puisque j’avais des égratignures partout. J’avais l’habitude d’avoir des trucs comme ça. Voilà. Alors on a dit : « au revoir Messieurs » j’ai fait un tas avec les armes des miliciens, on a fait un tas et on les a brûlées.
Vous n’avez pas essayé de débaucher des miliciens ?
J’ai dit non. Pas de moutons dans la bergerie… pardons pas de loups dans la bergerie! Je n’ai pas pris, j’avais suffisamment de monde. j’avais déjà, à l’époque, 120-130 hommes. Et j’avais déjà une quarantaine de prisonniers.
Et cette tranchée, elle est restée bloquée, remplie de locomotives, remplie de wagons… jusqu’à la Libération ?
Oui, même après la Libération, parce qu’il a fallu ramener une grue. ça allait bien sous l’Occupation, mais après l’Occupation il fallait quand même faire un détour et c’était gênant. C’est resté longtemps, je ne me souviens plus . Moi je n’étais plus là, j’avais suivi l’armée en Allemagne. La tranchée de Baulay c’est à mon avis… dans toute la région on n’a pas fait mieux au point de vue obstruction d’une voie ferrée importante ! Personne n’a fait mieux, j’ai fait un truc, c’était pas de ma faute d’ailleurs. On m’a demandé un jour de couper la voie ferrée entre Dijon et Belfort- Mulhouse. Ça passait par Vesoul, parce que là-bas la Résistance se passait souvent dans les cafés… Mais là je suis parti d’ici, j’ai fait plus de 50 km, j’ai pris contact avec un groupe de résistants… dans un café. Dans un café ! Et on m’a demandé : « est-ce que vous pourriez couper la voieferrée»?J’aidit:«ouije vaislefairedansletunnel».Ilyavaitun tunnel. Alors je suis allé avec mon équipe faire le déraillement, dans la nuit, vers deux heures du matin. On a ligoté le chef de gare, parce qu’il ne voulait pas en entendre parler et puis un train est arrivé, venant de Belfort et, comme on avait préparé minutieusement notre déboulonnage, le train est allé dans le truc, il est allé dans le décor, sous le tunnel. Mais alors avec des explosions ! Des explosions formidables, parce qu’on a été projetés en dehors du tunnel. c’était un bataillon ukrainien qui descendait en renfort après le 15, le débarquement à Fréjus1. Je ne sais pas combien il y a eu de morts la-dedans, mais la coupure a duré longtemps. Le tunnel de Jeunebois est resté longtemps obstrué aussi parce qu’il s’effondrait, bien sûr, avec les explosions. Donc j’étais béni pour l’obstruction des voies ferrées. Mais ce qu’il y a de plus amusant c’est que j’ai fait, on a fait, des prisonniers. On les a relâchés, les habitants s’en sont occupés. Ils leur ont donné à boire, ce qui fait que quand les renforts sont arrivés, ils étaient complètement ronds. Alors ils ont reçu une belle dégelée. On savait qu’on était de la bonne Résistance !
Maintenant on va aller au maquis. On va passer dans un village qui s’appelle Venisey (2). Dans ce village il y avait une section d’officiers soviétiques. Ils s’étaient évadés.
Chaque fois que je passais ici (village de Venisey), il y avait un hibou dans le clocher qui m’emmerdait. Là il y avait l’institutrice qui était avec nous , et puis la section de russes. A Port d’Atelier, qui était le chef-lieu de canton, j’avais deux compagnies. J’avais des compagnies qui étaient éparpillées un peu partout. Là il y avait une compagnie avec l’intendance. Épinal n’était pas loin.
Arrivée dans un autre village. Un peu plus loin… dans la forêt.
Ici y avait un ruisseau qui nous donnait de l’eau, de l’eau et des grenouilles. Les Allemands sont montés à l’assaut là.
Pouvez-vous nous parler du campement et le de la vie quotidienne ? Alors là il y avait l’ouverture du feu. Il y avait une mitrailleuse et puis j’avais des sentinelles un peu partout, avec des téléphones qu’on avait fauchés à la SNCF, des téléphones portables !
Mes gars étaient à la lisière du bois, et de là venaient les Allemands.
Ils montaient à découvert ?
Oui, ils montaient à découvert. Ici ils étaient un peu cachés . Alors comme le matin j’avais reçu la mission Jedburg3, des Anglais, j’ai rassemblé tout le monde et on a envoyé les couleurs .
Est-ce que là on est au bon endroit pour que vous nous parliez de cette bataille ?
Ah oui !
Parce que vous parliez de la lisière de la forêt, mais on ne la voit pas…
On ne la voit plus, maintenant !
Donc ici on est dans un lieu particulier du maquis, puisque c’est ici qu’a eu lieu la bataille, que les Allemands ont donné l’assaut.
Le bataillon spécialisé dans les attaques de maquis, que j’avais repéré le matin vers six heures dans Magny-les-Jussey, s’apprêtait à attaquer le maquis. Ils avaient toutes les informations sur le maquis. On a été vendus. J’avais reçu, de bonne heure le matin, la mission Jedburgh qui avait été parachutée dans la nuit. Et puis j’avais décidé, contrairement aux instructions de Londres, de résister, c’est-à-dire de ne pas fuir. J’aurais pu fuir mais j’ai trouvé que devant des Anglais, des Français qui foutent le camp, ça la fichait mal ! Alors j’ai préféré engager le combat. J’avais donné comme instruction à mes gars, les sections entre Saponcourt et ici, j’avais réparti les tâches et j’avais donné comme instruction formelle, sous peine de mort, de ne pas tirer avant moi. J’avais déjà eu un problème une fois au cours d’une embuscade, qui avait coûté la vie à un de mes gars. Alors ils ont obéi. Les guetteurs étaient reliés au PC, plus haut, par téléphone et ils s’énervaient en disant : « ils montent à l’assaut, ils sont en ligne sur un rang, il y en a une centaine qui monte ». Dans la clairière, dans les prés, sûrs d’eux… Et comme ils avaient déjà opéré sur des maquis qui prenaient la fuite, ils pensaient que, probablement, on prendrait la fuite. J’étais à la lisière et j’ai aperçu un officier et puis une mitrailleuse, enfin un groupe de mitrailleurs qui montaient par un petit chemin. On ne passait jamais par là. Ils se sont arrêtés à peu près à hauteur de la stèle4, en direction de la lisière. Ils visaient la lisière, j’ai ajusté le lieutenant qui est tombé tout de suite mais, malheureusement, la mitrailleuse m’a arrosé aussi et elle a touché un arbre qui était à proximité de moi. Et là, j’ai été assommé, je suis tombé dans les pommes –d’ailleurs j’ai toujours les restants de cette première opération– . tous mes gars ont déclenché le tir et, comme les Allemands étaient pratiquement à découvert, ils ont fait des cartons formidables parce qu’il y en a un qui m’a dit : « un Allemand était a 3 m de moi et je ne tirais pas… mais je l’ai eu tout de suite ».. C’était presque… En l’espace d’une demi-heure environ, les premières rafales de mes gars ont coûté la vie à une dizaine d’Allemands. Dix tués qui ont été enterrés là, après le ruisseau, par les Allemands eux-mêmes. Et puis il y a eu une bonne trentaine de blessés chez eux, puisque le toubib de Magny-les-Jussey voyait partir les ambulances en permanence, jusque dans la soirée. On a fait un carton formidable ! Mais j’ai eu des blessés, parce que vous avez vu la stèle là-bas, vous avez vu où se trouve le panneau, eh bien il y avait une mitrailleuse quadruple qui nous arrosait, il y avait des mortiers qui nous tiraient dessus. Ils savaient exactement l’emplacement du maquis. Alors ça nous arrivait dessus. J’ai eu beaucoup de blessés, dont des blessés très graves. J’en ai eu quatre qu’il fallait absolument évacuer, l’un perdait ses tripes, l’autre c’était la colonne vertébrale, l’autre c’était… Je les ai fait évacuer, quand je me suis réveillé, parce qu’entre-temps moi j’étais j’ étais allongé, là. C’est « Mouton», un de mes gars, qui m’a traîné par les pieds jusqu’à mon PC. Je me suis réveillé là, je me suis mis debout, et puis je suis reparti. Je suis redescendu pour encourager les gars, etc. On a continué le tir, j’ai tiré à la mitraillette, il était 16 h 45 au plus tard, et puis à 17 heures je sentais que ça ne collait pas du tout. L’aviation anglaise était passée au- dessus de nous parce que la mission Jedburgh avait prévenu en disant : « le maquis est attaqué ». Ils avaient donné la position de l’endroit où on se trouvait. les avions ont fait 2 ou 3 passages, mais sans nous avoir repérés c’est tout ce qu’ils pouvaient faire pour nous soutenir. Comme ils savaient que, normalement, on devait quitter les lieux… Alors j’ai dit : « on décroche ». J’avais beaucoup d’armes et de munitions que je n’avais pas utilisées. On avait enterré tout ça. J’avais de quoi armer une deuxième compagnie parce que j’avais pris des armes en pagaille aux Allemands et j’avais eu des parachutages. J’avais eu un parachutage qu’on avait fait pas très loin d’ici, à auteur de Venisey, mais les armes n’étaient pas dégraissées. J’ai alors appelé le chef des prisonniers, c’est le cas de le dire, c’était le plus élevé en grade et je lui ai dit voilà : « Je vous emmène, ou qu’est-ce que vous voulez faire ?» Il a dit : « on va partir avec vous ». C’est un genre de conversation complètement incroyable. Poser une telle question ! Moi je savais que je les emmènerais de toute façon, mais j’avais demandé s’ils étaient décidés à rejoindre leurs copains ou pas. Alors il m’a dit : « eh bien on peut porter ce que vous vous ne pouvez pas porter ». J’ai dit : « justement il y a des armes qui ne sont pas dégraissées, vous pouvez les porter » . Et ils ont pris les armes pas dégraissées sur le dos ! Ils ont porté les armes ! Vous voyez, des prisonniers allemands qui portent de l’armement de parachutage. .. Vous racontez ça, on se dit : « mais ce mec il est fou » ! Mais, demandez à tous mes gars… Alors à 17 heures, 17 h 30, on a commencé à décrocher A ce moment- là, j’avais senti que quelque chose bricolait. Étant à Paris, j’avais lu dans Match, non ce n’était pas Match c’étais signal… Signal c’était la revue allemande, que les Allemands, en Union soviétique, en Russie, pour chasser les maquis, s’infiltraient avec des groupes de commandos. Je me suis dit : « ils sont peut-être capables d’essayer de faire la même chose ». Et c’est ce qu’ils ont essayé de faire, parce qu’on avait fait à peine un kilomètre, on s’est heurtés, justement, à un groupe, une section, une section qui nous a bombardés. Ils nous ont bombardé au FM, enfin pas au FM, au VB, et j’ai encore reçu un éclat dans le dos. Donc j’ai encore été écorné ! Et les Allemands sont restés debout, les prisonniers avec l’armement qu’ils portaient … En face ild devaient se demander ce qui se passait… et après nous avoir bien arrosés ils ont pris la fuite. Ils sont partis et nous on est allés à Anchemoncourt, un peu plus loin, où j’avais déjà eu un embryon de maquis. Ici l’emplacement du maquis c’est un éperon, on surplombe. Et une fois au maquis, on n’en sortait plus. On ne partait qu’en opération. Le gars qui arrivait au maquis, qu’on m envoyait, je lui demandais : « vous avez vos papiers
d’identité ? » je les vouvoyais, ce n’est qu’après que je les tutoyais. Je disais: « vous avez des papiers d’identité?
-oui, oui, oui »…
Ils me les montraient. « Vous serez Cafouilleux, et vous vous serez Mouton. Les gars n’avaient plus d’identité, autrement dit, ça m’est arrivé, des gars ont été tués au cours d’opérations et les Allemands sont venus pour les fouiller, eh bien ils ne savaient pas qui c’était. Et puis le village où ça se passait, le maire non plus … Mais nous on savait.
Alors pour les familles des victimes, par exemple c’était un problème !
Oui. mais on y arrivait toujours, pour le moment, c’était bien. Il n’y en a qu’un qui était originaire de la région de Luxeuil, un célibataire, alors là ça a été plus difficile. Mais on a fini par le savoir, après ! On l’avait enterré ici au cimetière et puis on a retrouvé sa famille.
Et quelqu’un qui serait venu au maquis et qui aurait voulu ensuite quitter le maquis…
Le recrutement ? il n’y avait pratiquement pas de recrutement. Quelqu’un qui voulait venir au maquis touchait un de mes agents de liaison, les agents de liaison femmes surtout. C’était elles qui savaient recruter. Elles recrutait mieux que les hommes. Parce que les filles, ah il n’y en avait pas ici, mais elles sont plus… elles perçoivent plus facilement la personnalité qu’un garçon, que les garçons eux-mêmes. Alors, de toute façon, la question principale c’était : « vous voulez entrer au maquis ? Vous voulez aller au maquis ? Pourquoi, pourquoi faire ? Si c’est pour vous planquer c’est pas la peine, je ne peux rien pour vous. Si c’est pour vous battre, oui. Mais c’est pour se battre ! C’est pour combattre ! Et une fois au maquis, on n’en sort pas. On crève de faim, on a froid, etc. mais voilà les conditions. » Et à partir de là, s’il était d’accord. Il venait. Et la leçon était donnée : ni vin, ni alcool, pas de femmes au maquis, pas d’appareil photo. C’était des règles strictes. Ni vin, ni alcool, ni appareil photo. Des appareils photo ça fait tellement de dégâts ! Et alors les gars qui posent, vous voyez des maquisards dans des revues, ils sont tous avec la cigarette au bec, avec des mitraillettes, ils sont tous là rassemblés. Ça me fout en rogne. ça c’est des trucs qu’on ne faisait pas, non !
C’était trop risqué ?
Oui ! Revenons à l’attaque. Dans le village j’avais des blessés, des blessés de chez moi. Il y en avait un surtout qui était un peu plus blessé que les autres, plus mal en point. Ils étaient chez le maire du pays qui était aussi médecin. Mais il y avait un commandant, un major allemand qui était blessé. Je n’avais pas pu faire autrement que de leur confier. Je l’avais mis en consigne au maire du village, le docteur Suchot. Il y avait donc, quand les Allemands sont arrivés, quand le commandant de bataillon s’est pointé chez le maire, il a vu qu’il y avait un maquisard, c’ était Laville, il a vu qu’il y avait un blessé allemand aussi. Le blessé allemand lui a dit : « le maquis qui est là, qui est parti, il a des prisonniers allemands ». Il était donc parfaitement au courant qu’Il y avait des Allemands et qu’on n’achevait pas les blessés, puisque il y en avait un qui était là. Donc, à mon avis, c’est pour ça qu’il s’est bien comporté vis- à-vis de la population. Il n’y a rien eu. Quand ils ont pris des otages, qu’ils les ont alignés le long de l’église, et quand, le soir, très tard, ils ont quitté le village de Magny-les-Jussey. Ils ont enterré leurs morts, ils sont relâché les otages. Autrement dit, ces gars là se sont comportés en en soldats. Mais moi j’estime que nous aussi on s’était comportés en soldats.
Et vous, sans avoir d’expérience militaire, puisque vous étiez très jeune, à l’ époque, vous aviez déjà qu’il fallait fonctionner comme ça pour éviter les représailles ?
Écoutez, c’était l’expression de mon éducation. Tous les gars du maquis, c’était l’expression de leur certificat d’études, c’était l’expression de leur catéchisme pour ceux qui étaient croyants, c’était l’expression de leur famille. On ne tue pas un blessé. Autrement dit, mes jeunes gars n’avaient reçu d’abord aucune formation politique, d’abord il n’y en avait pas. Au maquis j’essayais de leur montrer l’exemple. Quand même, moi j’étais un gars qui ne dormait pas beaucoup : deux heures par nuit, et ça continue ! J’étais donc à l’aise. On ne pouvait pas me critiquer en disant: « il va courir les filles, il picole », ou ceci-cela. Alors mes gars m’aimaient bien. Au point de vue commandement, moi, je n’ai jamais eu de problèmes de commandement. Il y avait des gars qui étaient sergents, qui avaient été sergents dans l’armée. J’avais un sergent pilote, par exemple, Georges, dont je parle souvent. Et puis j’avais fait beaucoup de sport. J’avais été capitaine de l’équipe de basket –à l’époque il n’était pas nécessaire de mesurer deux mètres– de mon lycée. Je faisais beaucoup d’athlétisme, 400 m, 200 m, j’avais commencé au 100à m, mais alors les 1000 m ça ne me plaisait pas du tout. 800 m c’était déjà un peu trop long. Je suis resté plutôt d dans les 400 m. alors je faisais les championnats de l’Île-de-France, ce n’était pas l’ile-de-France à l’époque, c’était la région parisienne. On faisait des championnats scolaires, des championnats universitaires… Autrement dit, je faisais beaucoup de basket, le dimanche et le mardi soir à Coubertin à la porte de Saint-Cloud. Donc j’avais le sens déjà de l’arbitrage. L’arbitrage c’est un commandement ! Je n’ai jamais eu de problèmes, comment dirais-je, de difficultés, je n’ai jamais été intimidé par un sergent, un sergent- chef. Mon père était gendarme, je vivais dans des casernes de gendarmerie depuis ma naissance . La hiérarchie je connaissais. Le commandement je connaissais, je savais qu’il y avait parmi les gradés des vaches, comme on les appelait, et il qu’y avait des types bien, sympas, on disait pas sympas à l’époque, on disait chics. Enfin vous voyez, donc des problèmes de commandement je n’en ai pas eu.
Bien que ce soit vos aînés, parce que vous avez commandé des hommes qui étaient les plus âgés que vous, vous aviez 18 ans, 19 ans…
Oui, 18 ans. j’avais été instituteur à Paris, instituteur suppléant parce que n’oublions pas que pendant l’Occupation, il y avait 1 800 000 prisonniers en Allemagne. C’était les forces vives de la nation. Les instituteurs, beaucoup d’instituteurs étaient prisonniers. Alors quand j’ai eu mes bacs et puisque je préparais physique-chimie, ma mère m’a dit ! « faudrait que tu travailles ». Alors l’inspection d’académie de Paris m’a pris comme suppléant, comme instituteur suppléant dans le 17e arrondissement, rue Laugier….j’avais la classe du certificat d’études, 50 élèves ! À l’époque on devait chanter « Maréchal nous voilà », tous les matins, c’était la règle. Figurez-vous que, moi, je ne la connaissais pas cette chanson, qui était obligatoire. Je ne la connaissais pas. Je leur ai appris, par défaut, « La victoire en chantant », « Le chant du départ ». Alors « La victoire en chantant nous ouvre la barrière, la liberté guide nos pas… » et comme ces gosses, beaucoup avaient leur père qui était prisonnier, vous vous rendez compte, on leur parlait de victoire dans un chant ! Ils mettaient alors les hauts parleurs !. Et puis, au bout d’un certain temps, comme j’ai commencé à faire le zig à la fac, parce que j’étais en même temps en fac, que j’avais demandé un jour une minute de silence dans le Grand amphi, pour nos camarades qui étaient tombés en Cyrénaïque, j’ai commencé à âme faire remarquer…
Dans le maquis, puisque vous étiez le chef, vous aviez la responsabilité de vos hommes et je suppose qu’à certains moments vous avez perdu des hommes.
Oui, j’ai perdu des hommes, oui. J’ai perdu des hommes, mais à chaque fois il y avait… oh il n’y avait pas une faute… mais enfin il y avait quelque chose qui n’avait pas fonctionné. Parce que, bien sûr, je commandais des hommes, mais entre l’homme qui était à la lisière et moi il y avait déjà un gradé, il y avait un demi gradé, je ne commandais pas individuellement. J’avais des chefs de section qui étaient valables d’ailleurs, des types très bien. J’avais un chef de brigade de gendarmerie qui était champion de tir de sa légion au fusil. Sa légion c’était les gens de la gendarmerie maritime de Toulon qui avaient déserté au moment du sabordage de la flotte, en 425. C’était ma future femme qui l’avait récupéré, qui me l’avait envoyé.Je l’avais nommé adjudant et chef de section. Ce gars-là il savait commander. Et moi je lui donnais des instructions, je donnais des ordres et il les faisait exécuter. A 200 m il me décanillait un type! Moi, vers Venisey, il m’a sorti d’une sacrée situation, un sacré truc. Il a descendu les gars, on était coincés… Enfin le type bien quoi ! Et respecté, bien sûr. Les autres, c’était…j’avais une section complète, qu’on appelait la section à « riper le soleil ». C’était des gars avec un bon chef, des types bien armés qui sont arrivés depuis Luxeuil ! C’était un groupe de maquisards, un groupe, une grosse section de maquisards. Comme ils me disaient, il foutaient rien là-bas, ils avaient entendu parler de nos exploits… enfin la tranchée, les attaques de convois, etc. et puis un jour ils se sont renseignés, ils sont arrivés par Saponcourt, le village au-dessus, en disant : « on voudrait rejoindre le maquis ». On me dit ; « il y a une section complète qui vient en renfort du maquis ». Alors je dis : « non il n’en est pas question, vous n’entrez pas au maquis pour le moment ». Je prends le chef et quatre types: « vous venez en mission avec moi et après on verra ». J’ai emmené le chef, j’en ai emmené quatre autres et on est allés en mission près de Damance, on a cravaté deux feldgendarmes, deux pauvres gars. Je voulais savoir comment ils e comportaient … et j’étais tout seul. Autrement dit, si c’était un piège, c’était facile de me cravater. Si ce n’étaient pas un piège… Alors on est revenus et j’ai dit : « bon, a va » ! Ils avaient compris.
Vous les aviez testés.
Je les avais testés, et ils sont restés, c’était des types, une section formidable ! Il y a Tribouleau. Quand ils sont retournés dans leur pays, à Luxeuil, tous les ans ils m’écrivaient, même pendant la période de grand silence : 29 ans sans parler des maquis ! La stèle vous avez vu en quelle année on l’a faite…
Pourquoi ce silence pendant 29 ans ?
Eh bien parce que j’étais dans les armées, on ne parlait pas de maquisards. Il ne fallait pas en parler. On parlait de l’armée d’Afrique, on parlait des mecs qui avaient de belles bottes, mais les gars qui s’étaient battus pieds nus ou presque ça on n’en parlait pas! Il ne fallait surtout pas en parler ! J’ai été pendant un moment au cabinet du directeur général de la gendarmerie. Dans mon bureau il y avait un commandant –moi j’étais capitaine–, un commandant qui avait été prisonnier pendant quatre ans, il y en avait un qui avait été pendant trois ans avec Pétain à Vichy. il assurait sa garde. Il avait de belles bottes, enfin bref, l’autre avait été commandant de compagnie, de section tout au moins, en gendarmerie. il n’avait pas connu la Résistance. Il avait fait son boulot de capitaine de gendarmerie, il avait arrêté des voleurs, etc.. Mais la guerre était passée comme ça, tranquille, et puis l’autre avait son frère, son grand frère même, qui était un amiral. Alors lui, dans la marine, la Résistance, les maquis… il connaissait pas bien . J’avais intérêt à me taire, Il ne fallait pas que je parle. Mais parmi tous ces gars-là, j’étais le seul à avoir commandé un bataillon en Indochine. Eux n’y avaient pas été. L’un était fatigué, l’autre avait ceci, etc. Enfin vous voyez… Mes copains c’était pareil . Tenez, un gars qui a été grièvement blessé pendant l’attaque du maquis vient me voir… Je l’avais évacué, il perdait ses tripes, ses boyaux. j’avais réussi à l’évacuer et puis… il vient me voir à Metz, quand j’étais général, alors je lui dis : « comment ça s’est passé?Tut ’es bien remis?» Il me dit «oui,ça va. -qu’est-ce que tu as fait ? » Il me dit « j’ai été à la SNCF. -ah bon, tu as fait une carrière ? A propos, ta citation, tu as une citation ? et ta pension d’invalidité ? » Il me dit : « non ». Je lui dis « pourquoi ? » Il me dit ; « si j’avais dit à la SNCF que j’avais un rein en moins ils ne m’ auraient jamais pris ». Vous vous rendez compte ! Voilà l’ambiance ! vous savez il faut bien se mettre ça dans la tête. Voilà l’ambiance ! Alors j’ai appelé mon médecin, j’avais un médecin commandant, qui était attaché à mon état-major, je lui ai expliqué et au bout de d’un mois, il a eue sa citation, il a eu sa pension.
Quand on parle des blessés et des pertes que vous avez eues, comment viviez-vous cela.
Eh bien écoutez, mes blessés j’ai réussi à les faire soigner. J’avais un médecin-général le médecin-général Etiennet, qui était à la retraite et c’est lui qui venait opérer en chirurgie. Il faisait de la chirurgie là-haut. sans anesthésie ! il a sauvé presque tous mes gars. Et puis j’en faisais hospitaliser par la voie des chemins de fer. On disait : « blessure chemin de fer, blessure ceci… » Il y a eu des cas particuliers… notamment une fois à Vauvilllers, j’ai eu un gars qui a eu le bras arraché, il fallait l’opérer tout de suite. Je suis allé à l’hôpital psychiatrique de Saint-Rémy. C’est toujours des saints les hôpitaux psychiatriques. Saint Anne et puis le reste… et dans la salle d’opération, le chirurgien avait la mitraillette dans le dos… symbolique , mais enfin… Et à la Libération il a eu le culot de me demander une attestation comme quoi il avait soigné les blessés du maquis. Il a eu l’attestation qu’il méritait, je lui ai fait une attestation, mais elle était circonstanciée!
Et par rapport aux morts ?
Les morts, dans les communes, les maires les mettaient dans une fosse provisoire. On ne pouvait pas faire de cérémonie, sauf pour les gars qui étaient fusillés. là on a fait des cérémonies en catimini, mais on est allés, parfois ostensiblement, à des enterrements pour réconforter la famille en disant la Résistance est toujours là.
Et pour vous ça ne représentait pas de cas de conscience, des erreurs de commandement ?
Non. je n’ai pas eu de… Vous verrez des stèles un peu partout là, je n’ai pas eu de cas de conscience, non, non. Là au moment de l’attaque du maquis, j’ai eu des blessés, beaucoup de blessés. On a été blessés à peu près à une trentaine, dont des blessés graves. Non. l’un: bras arraché, l’autre: les tripes, l’autre: la colonne vertébrale. Non, non. il n’ya pas eu de faute de commandement, là. La seule chose qu’on peut me reprocher, c’est de ne pas avoir obéi aux instructions de Londres. Mais Londres c’était Londres, ils n’étaient pas ici. C’est ce que je dis souvent : résister à Londres et avoir des médailles de la Résistance… à Londres! Moi je veux bien, mais enfin c’était facile… plus facile qu’à Paris ou dans les bois.
Justement, par rapport à ces commandements de Londres vous vous sentiez en autonomie ?
Oui , quand j’étais à Paris c’était différent, c’était le BCRA, il n’y avait pas de problème, mais Londres c’était davantage les Anglais que les Français! Les Jedburg c’était britannique… Par contre, au BCRA — j’étais en liaison avec le BOA—, c’est à dire le bureau organisation et armement, qui me préparait les parachutages, là c’était plus Français. Mais c’était les Britanniques qui faisaient les parachutages. Alors ils sélectionnaient. La première chose qu’il m’a dit le gars de Londres Labiche , il s’appelait Labiche. il était venu là, il me dit : « bon ça va, vous n’êtes pas communiste, on peut vous faire des parachutages ». Il faut le faire, il faut le dire! Il a précisé : « deux de matériel et l’autre pour les hommes » .J’ai donc préparé trois parachutages et ça a été homologué. Il m’a donné les codes pour la guérilla totale. Il m’a donné les codes pour, comment dirais-je, gêner la circulation, je ne me souviens plus comment ça s’appelait6. Il m’a donné tous les codes, qui étaient écoutés par mes agents de liaison, parce que je n’avais pas de radio ici… Alors ils écoutaient la radio de 19 heures à 20 heures et quelque, la BBC de Londres, et il prenaient les messages personnels. Et le lendemain je les avais. Mais ils ne savaient pas ce que ça voulait dire. Et parmi ces messages, il est arrivé que j’ai eu les messages pour les parachutages, pour la veille du Débarquement, le 5 juin, disant « guérilla totale ». C’est- à-dire qu’ils arrivaient. Je ne savais pas où mais enfin ils débarquaient. et donc c’était bien. Mais Labiche a été descendu. Autrement dit, j’ai eu plus de soutien auprès de Londres que auprès de la Résistance dite française. Bien sûr, après, quand on m’a donné l’organigramme du commandement de la Résistance, j’ai été rattaché au groupement V , c’est-à-dire Vesoul, à la sous-région D2, c’est-à-dire la Franche-Comté, et puis D, c’était la région de Lyon. ça c’était l’organigramme français. C’est ce qu’on m’a dit à la Libération. alors ils ont pris en compte tout ce que j’avais fait dans leur bilan. Ils avaient donc un bilan, mais moi la seule chose qu’on m’a demandé de faire, c’est le déraillement dans le tunnel, c’ est de couper la ligne Dijon c’est-à-dire Marseille-Dijon-Belfort- Mulhouse-Allemagne, ce que j’ai fait dans le tunnel de Jeunement.
Cela signifie que les missions que le maquis avait, c’était des missions que vous vous donniez, en fait.
Oui. la plupart. les embuscades, je les ai préparés, on ne m’a pas dit qu’il fallait faire une embuscade là, et faire un déraillement là. Ça a été de notre initiative. Dès le moment où il fallait gêner les Allemands, on l’a fait. Une seule fois, dans une ville, à Faverney, j’ai été pris parce que je courais après un train qui était parti de Port d’Atelier, qui allait ravitailler la base de Luxeuil. Il était chargé de moteurs d’avion, qui avaient été réparés, de ravitaillement et de munitions. J’ai récupéré le train en gare de Faverney. on l’a pris d’assaut. Malheureusement, comme tous ces trains étaient protégés par des compagnies d’intervention sur roues, par la route, c’était un binôme, ils sont arrivés… Donc une compagnie est arrivée de Vesoul . Elle nous a pris dans la gare et nous a mitraillés, a incendié tous mes véhicules, etc. je me suis battu. J’ai été dégagé in extremis. Là, j’ai perdu toutes les voitures et puis…sur la place, quand on a repris la place, il y avait des blessés, qu’on n’a pas achevés. On les a désarmés, c’est tout. Quand on a repris la place, il y avait un blessé, il n’a pas voulu lâcher son fusil. Je lui ai laissé son fusil, je lui ai soigné ses blessures et avant de partir, après avoir enlevé la culasse, je lui ai tapé sur le dos en lui disant ! « bon soldat » ! il n’avait pas lâché son fusil. mais il faut être dingue pour dire des choses pareilles ! 60 ans après, vous vous dites : « mais qu’est-ce qui s’est passé ? » Mais ça c’était, comment dirais-je ? C’était mon éducation, ma formation, l’esprit sportif aussi, ça joue beaucoup. Un gars qui fait beaucoup de sport, il y a un esprit assez particulier. Surtout en équipe.
La guerre c’est comme un sport ?
Non ! Mais pour moi c’était un sport ! J’ai fait la guerre comme j’aurais fait un match de rugby ou un match de basket, avec le même esprit. Je ne faisais pas la guerre pour tuer, je faisais la guerre pour couillonner, pour couillonner l’adversaire. C’était ça mon truc. Et mes gars c’était pareil, ils avaient attrapé le virus. C’était pour feinter.
Et pendant la Résistance, comment étiez-vous considérés par la population ?
Oui, par les gens, on a été considérés comme –y compris ceux qui se planquaient–, on a été considérés comme dangereux et comme pas intéressants. Mais ça ne m’a jamais gêné outre mesure, j’avais ma conscience pour moi.
Nous reviens sur cela après, je voudrais que vous nous parliez de votre parcours, votre carrière dans la gendarmerie. Une partie !
Une partie oui, mais enfin jusqu’au grade de général.
Une grande partie, oui.
Votre passé de résistant vous a -t-il handicapé dans votre carrière ?
Non, dans la gendarmerie, je crois que j’ai fait du bon boulot, sinon je n’aurais jamais atteint ce grade, il était le plus élevé à l’époque. Non je faisais correctement mon boulot et puis mes gars m’aimaient bien. J’étais tout le temps avec eux. Les brigades de recherche, tout le temps.. Vous savez, la lutte contre le FLN, je l’ai faite. Puis après j’ai fait beaucoup de choses, mais intéressantes. Ce n’est pas difficile, tout m’a toujours intéressé, y compris ce que je ne voulais pas faire. On me disait vous allez faire ceci. Ça ne me plaisait pas, mais je le faisais passionnément. Et après je trouvais que c’était bien. Je n’ai jamais été paresseux d’abord, et puis ensuite tout m’intéressait. Surtout ce que je ne le connaissais pas
Mais par rapport à ce que vous avez vécu on pourrait se dire que le bien et le mal n’était pas si clairement définis.
À non, et même ici, au point de vue de la loi, c’etait la loi de la jungle… Mes gars ne sont jamais allés… on n’a jamais pillé de banque. On n’a jamais pillé de bureaux de poste. Je n’avais pas besoin d’argent. Je n’avais pas d’argent. J’avais des bons de réquisition. Je n’avais pas besoin d’aller piller. Le ravitaillement, les cultivateurs me donnaient des grains de blé. Je faisais un bon de réquisition : « 50 kilos de blé… après la Libération on verra ». Les voitures, par exemple… Au début j’avais besoin de voitures, eh bien je faisais un bon de réquisition pour la voiture. Ça ça a été réglé. Et puis ensuite pour moudre le grain, j’avais un ami qui me faisait de la farine, j’ai trouvé un boulanger qui me faisait le pain. Enfin je trouvais, mes gars étaient de la région, alors ont trouvait. Bien sûr, il y a des périodes où on crevait de faim. Pendant un moment, on n’avait plus de ravitaillement, on a été 10 jours à manger du gruyère avec des trous, et les trous étaient bouchés avec du beurre. On bouchait les trous avec du beurre et comme dessert on avait des bonbons acidulés. On avait fait dérailler un train et on avait récupéré ça dans le wagon de queue. On n’avait en revanche pas de pain. C’était au début, on devait être une quarantaine en gros. Je me souviens bien des trous de gruyère avec du beurre dedans! Autrement, jamais on n’a pillé quoi que ce soit. Et ensuite, pas d’exécution de collaborateurs. À un moment j’avais 150 lettres de dénonciation qui avaient été adressées aux Allemands. J’avais récupérer ça. Alors, bien sûr, j’ai fait un tri et, à la Libération, avec le patron du Comité de libération qui était chargé justement de sanctionner les collaborateurs, on a dit : « on ne va pas décimer tout le secteur ». Ces lettres c’était : untel a tué un veau, untel a tué un cochon, untel est un communiste, il faudrait l’arrêter. Des dénonciations… j’avais divisé mon lot en trois. Un lot de 50 à peu près était planqué là dans Magny-les-Jussey, l’autre c’était ma future femme qui était institutrice à Nanjuey qui l’avait planqué, le restant, une cinquantaine, était au maquis. Et à la Libération j’en ai gardé 10. Et toutes ces lettres étaient signées ! Signées ! Avant le Débarquement, bien sûr ! Et je me suis intéressé, je suis allé en voir deux ou trois, comme ça, et je leur ai dit : « pourquoi vous faisiez ça?
Eh bien parce que à l’époque, avant le Débarquement, on croyait à la victoire de l’Allemagne… »
C’est ça ! La majorité des Français, c’était pareil. C’était ça la réalité ! Alors tout ça ça a été réglé. Il n’y a pas eu de représailles. A propos de bien et de mal… l y avait groupe de résistants qui n’était pas capables de faire dérailler un train. Ils m’avaient demandé de faire le déraillement à leur place. Quand j’ai fait le déraillement, ils m’ont dit : « on va sabler le champagne ». J’ai dit : « ah mon » ! C’était toujours au café ! J’ai dit : « non, pas de vin ni de champagne. Ni pour moi ni pour mes gars ». Les mêmes m’ont dit: « est-ce que vous pourriez nous rendre un autre service ». J’ai dit : « de quoi s’agit-il? – eh bien voilà on a arrêté les femmes. Est-ce que vous pouvez leur couper les cheveux » ? Vous vous rendez compte ! Incapables de faire dérailler un train mais ils étaient capables d’arrêter des femmes et en plus de demander aux autres de leur couper les cheveux! Parce qu’ils avaient décidé qu’il fallait leur couper les cheveux.. Mais Nous on est partis. Ça je l’ai écrit. Et puis après c’était des glorieux de la Résistance ! Je leur ai dit: « vous libérerz les femmes, on verra ça à la libération, avec le Comité de Libération ». Le président je le connaissais bien, c’était l’inspecteur des impôts de Jussey avec lequel j’étais en liaison. Je lui ai dit : « vous veillerez aux femmes de Chaux qui soi-disant étaient collaboratrices, pour ne pas trop les condamner, parce que… »
Pensez-vous que l’on pouvait passer à côté du maquis, que si des gens voulaient entrer dans le maquis ils pouvaient dire à La libération : « ’ai voulu y entrer et je n’ai jamais pu ».
Je m’en fous ! Ça ils peuvent raconter ce qu’ils veulent. De toutes façons, pour avoir la qualité de Résistant il fallait être entré au maquis, faire de la résistance 60 jours avant le jour du Débarquement. J’avais donc des attestations
Ce que je veux dire, c’est qu’on pouvait peut-être rater la porte d’entrée. C’est-à-dire que quelqu’un qui voulait absolument rentrer dans le maquis et se battre vous trouvait facilement ?
Facilement non, mais il pouvait entrer. C’est moche mais il y avait une copine de l’institutrice de Manduel qui était dans les postes, qui m’a donné aussi des lettres de dénonciation, le courrier destiné à la feldgendarmerie et à la kommandantur de Vesoul. Elle me l’envoyait. Alors cette fille… m’a dit que son père avait une liste de gars qui voulaient entrer. Elle m’a donné une liste. Son père avait un cahier —son père était un ancien policier de Paris—, Il avait un cahier et il avait noté tous les gens qui voulaient entrer au maquis avec le nom et l’adresse sur ce cahier ! Elle me l’a donné. j’ai dit : «si c’était la police allemande qui l’ avait récupéré ça faisait une sacrée rafle »! Eh bien je n’en ai pas voulu de ces gars! Je n’en ai pas pris un ! voila un exemple ! Mais le gars qui aurait voulu rentrer absolument sans connaître personne, c’était pas la peine qu’il se présente ! Il ne serait pas rentré. D’abord il fallait le savoir… et on ne pouvait savoir que par le milieu déjà résistant, avec les agents de liaison. Aucune femme n’a mis les pieds au maquis. Elles râlaient d’ailleurs. Alors qu’on voit souvent… J’ai connu des maquis, pas loin d’ici où il y avait des femmes… Alors comment ça se termine…, des dégâts…. Les miens, on était jeunes, il n’y avait pas de mariés. Peut- être un ou deux types mariés, mais les autres types n’étaient pas mariés. Ainsi on n’avait pas le souci de la femme, pas de souci des gosses, etc. ça c’était encore un atout. Je n’avais que des jeunes, des jeunes voulant se battre.
Comment expliquez-vous que, à 18 ans, vous ayez pu monter un maquis qui a pris cet ampleur-là ?
L’expliquer… Vous savez, dès le moment où les gars, les premiers avaient confiance en moi, ils s’interrogeaient les uns des autres… « Qui c’est ce gars-là ? qu’est-ce qu’il vaut » ? et puis bon, ils ont confiance ! C’est une question de confiance. Ma tête devait leur revenir je suppose ! Et surtout, surtout, je venais de Paris, je n’avais pas de passé. Par contre j’avais peut-être l’auréole du gars envoyé spécialement de Paris, peut-être…. Ils avaient donc confiance, mais c’est à eux qu’il faut demander cela. Il faut leur demander pourquoi ils m’ont fait confiance. Même des gars chevronnés, un adjudant de la gendarmerie maritime, de simples gendarmes qui viennent ici se mettre sont sous mes ordres… Le 6 juin on m’a envoyé un message :« nommé lieutenant FFI, les Forces françaises de l’intérieur, pour la région D2 ». Donc, là j’avais un titre. Je ne portais pas de gallons. Mon autorité n’a jamais été contestée, même par les plus anciens. A un moment, j’ai eu un groupe de cheminots qui est venu. Ils me rendaient service quand ils étaient sur la voie ferrée, parce qu’ils me donnaient les tire-fonds pour déboulonner les trucs. Ils sont venus ici, et il y avait le frère d’un de mes gars qui était très bien, mais son frère c’était une ordure, je l’ai su après ! Il avait une trentaine d’années et il aurait voulu être chef… et il paraît qu’il a voulu me descendre ! Il faudrait demander ça à Mouton, c’est lui qui m’a protégé. Il l’a désarmé, le garçon est parti, il est retourné à son ménage. Une fois ! voilà. Mais autrement non, je n’ai jamais été contesté
Vous n’avez jamais non plus eu à exécuter certains de vos hommes qui avaient trahi ou refusé vos ordres ?
Non. Non. Un jour j’ai eu un gars qui était de permanence et puis tout d’un coup : paf, un coup de fusil. Il s’était un peu endormi et avait appuyé sur la détente. Alors comme punition on lui a dit : « corvée de chiottes ! » et c’est tout ! Et dans des embuscades… j’ai eu une section, une fois, quand on a tiré sur l’état-major de division… là le général m’a demandé : « pourquoi as-tu fait ça mon fils ? », à il y a une section qui s’est découverte prématurément ce qui fait que la suite de l’état-major, les voitures civiles… en plus c’étai les plus intéressantes, les ont aperçus et ont fait demi-tour. Alors cette section, la punition ! Elle était à 15 km d’ici, ils sont rentrés à pied. Et nous on est rentrés avec de belles Mercedes… qu’on avait fauchées, bien sûr ! Les autres… à pied !
C’est quoi cette réflexion de « pourquoi as-tu fait ça, mon fils ? »
Oui, on a fait une embuscade entre Vauvillers et Demangevelle j’ai vu de belles voitures qui arrivaient, des voitures d’état-major, des motards, etc. et je me suis dit : « ça c’est bon ». Alors quand j’ai déclenché le tir, tout ça a été cloué ! Je me suis précipité sur la voiture d’état-major. Il y avait deux mitrailleuses derrière, il y avait des postes radio, et il y avait un général qui avait été pratiquement éjecté de la voiture. il était assis sur le marchepied. Je me suis approché… drôlement aligné ! c’était moi qui l’avais touché, d’ailleurs, avec la 11-43, ça fait des trous ! Et il m’a posé la question : « pourquoi as-tu fait ça mon fils ?» avant de mourir… Il parlait un français impeccable. C’était un général allemand, chef d’état- major de la division7. Alors on a pris les codes secrets, les codes secrets vers le haut, secrets vers le bas, que j’ai refilés à la mission Jedburg. ça c’était une mission, c’était un coup formidable ! on avait tous les plans de défense de la vallée de la Moselle et de la Saône ! Tout le massifvosgien ! On avait l’emplacement de toutes les unités qui se repliaient. Vous vous rendez compte! ça a été transmis à Londres.
Quand il vous a demandé ça, qu’est-ce que vous avez répondu ?
Bah, je ne me souviens plus. Triboulot m’a dit ! « tu as répondu : c’est pour la France ! un truc comme ça.
Et il est mort ?
Et il est mort. j’aurais voulu le faire prisonnier. J’en avais d’autres, de prisonniers, mais… Vous voyez, il y avait un général chef d’état-major. Il y avait une trentaine de tués ou de blessés. On les a laissés. Il n’y a jamais eu de représailles !
Vous saviez que vous étiez plus faible, que en fait vous ne pouviez qu’ employer la technique de la guérilla ?
Les Allemands étaient très forts, c’est-à-dire qu’ils savaient se battre ! Mais ils avaient le sens de la hiérarchie, c’était pas des combattants individuels, c’ était des combattants en groupe. Enfin c’est ce que j’ai compris. Je les ai vus après en Indochine, après, dans la légion. J’ai travaillé avec eux, on s’est battus ensemble. L’initiative individuelle n’existait pas ! Ils en prenaient sûrement, mais enfin ça ne se voyait pas alors que chez nous c’était la débrouillardise…
Le maquis c’était essentiellement ça, c’était surtout de la débrouillardise ?
Ah, le maquis, vous savez on ne peut pas prévoir les choses à l’avance. Il faut faire face à l’imprévu pour le résoudre. Il n’y a pas de schéma tout fait, pas de bouquins là-dessus. Si, j’avais un bouquin, c’était le manuel d’infanterie qui préparait aux chefs de section. Alors c’est comme ça que j’ai organisé le maquis : actions, groupes, etc.. J’avais appris sur le bouquin… Mais autrement, le tir… Mes gars ils tiraient pas mal, ils tiraient au fusil de chasse, le tromblon ! Mais autrement je leur avais appris, je leur ai demandé de faire des tirs de précision, de ne pas faire n’importe quoi ! Par exemple une mitraillette, il fallait tirer quatre ou cinq coups et ça suffisait. Après il fallait revoir… La mitrailleuse c’était pareil. J’en avais pris une sur un avion. On a, j’ai brûlé un avion. je dis j’ai parce que c’est vrai. Un avion qui était prêt à redécoller, on avait pris les mitrailleuses, des mitrailleuses qui tiraient 1200 coups-minute. C’est moi qui l’avais essayée un peu plus haut. 1200 coups !
Justement, dans l’embuscade, je l’avais cette mitrailleuse. Inutile de vous dire qu’une mitrailleuse comme ça, vous appuyez sur la détente deux secondes, ça fait quand même pas mal de balles qui foutent le camp. Et ce n’était pas des petites, c’était pas du 6-35. Vous savez, les Allemands reconnaissaient le son. C’est ce qui arrive quand on a fait un peu la guerre… Tiens, ce qui tire c’est du 11-43, ça c’est du 88, ça c’est du… etc., on finit par le savoir ! C’était impressionnant. Cette mitrailleuse m’a rendu service ! Mais je n’ai pas pu l’utiliser longtemps, parce que 1200 coups-minute, il faut les avoir ! On avait pris tout ce qu’il était possible de prendre dans l’avion et j’ai foutu le feu. Alors là, je n’ai pas été brûlé, mais c’etait tout comme! J’étais pourtant très fort en physique-chimie à l’école, mais j’avais oublié que l’essence ça explosait. Alors quand j’ai foutu le feu à l’appareil, l’essence a coulé du réservoir et ça a explosé! Je me suis retrouvé… j’avais plus de cils, j’avais plus je cheveux, j’étais noir comme du cirage, et les gars se sont marrés ! Mais moi je ne me marrais pas, parce que ça me brûlait ! Les cheveux ont repoussé, après. J’avais oublié que ça explosait comme ça… Mais l’avion a brûlé.
Quand vous avez commencé le maquis y avait-il beaucoup de choses que vous ignoriez ?
Oh, mais on apprend tout le temps! Je suis parti au hasard, mais je ne savais pas que c’était le hasard. Il se présentait quelque chose, je le résolvais.
Et dans la région on se souvient du maquis 89 ?
L’année dernière on était 1200 pour la cérémonie à la mémoire du maquis. Ce qu’il y a d’intéressant aux cérémonies c’est que les gars tiennent à venir, ou alors leurs enfants, et il y a un grand banquet qui est organisé par la municipalité. A table, je fais passer le micro et ils racontent des trucs, ils ont toujours des anecdotes: « tu te souviens… etc. »
Des histoires d’anciens combattants !
D’anciens combattants, d’anciens maquisards, des trucs que je ne savais pas. Des fois, ils se foutent de moi parce que j’ai dû faire des conneries aussi, comme tout le monde ! Et puis : « tu te souviens, tel jour il n’était pas de bon poil »… Et puis : « tu te souviens »… Ah oui ils s’en souviennent beaucoup de celle-là, quand on avait pillé l’intendance à Demangevelle. On avait ramené de quoi ravitailler le maquis pendant un an! J’avais 40 camions à peu près là-haut, j’avais 52 véhicules en tout, au fil des mois. On en a cravaté aux Allemands. j’avais de beaux véhicules, j’avais des Mercedes. Vous vous rendez compte, six cylindres en ligne, formidable ! On avait donc ramené du ravitaillement. Je n’étais pas partout à la fois, je m’occupais surtout de la sécurité et du blocage des routes, etc. On a fait une noria entre là-bas et ici ! Et puis Mouton vient me trouver et il me dit : « Simoun, viens voir, les mecs, ils sont en train de boire du pinard ! ». J’arrive. ils avaient ramené un fût de vin, ils avaient enlevé le couvercle et ils buvaient le vin à la louche! Alors j’ai pris une hache et j’ai fendu le tonneau…
Ils n’avaient pas le droit de boire, vos gars ?
Ils n’avaient pas le droit : ni vin.. ni alcool. J’ai pensé qu’ils avaient du faucher aussi du, comment ça s’appelait, du schnaps, pour doper les types , et j’en ai trouvé deux bouteilles en fouillant dans les campements des gars !
Et là, ça a été la corvée de chiottes, alors ?
Ah oui, ils ont eu des corvées,oui bien sûr ! Alors il y en a un qui ne dit quand j’ai pris le schnaps et que j’ai cassé les bouteilles : « et pourtant elle était bonne, celle-la ! » Il fallait faire des exemples. Il ne fallait surtout pas tolérer… vous savez les soldats qui boivent ne font pas de bons soldats. Ils deviennent fous, ils font n’importe quoi. j’étais donc intransigeant. À la maison on ne buvait que de l’eau. Mon père buvait du vin à tablr, mais autrement pas de vin, , pas d’alcool. Même maintenant, je ne prends pas d’apéritif. Je prends un petit peu de vin au repas mais du vin rouge uniquement. Mais, pendant un moment, j’étais général à Metz, j’avais la Champagne, la Bourgogne, l’Alsace, la Franche-Comté. J’étais invité dans le Jura, j’étais invité partout et je ne buvais rien ! Alors là ça la foutait mal ! j’ai été invité chez Mercier par exemple, ils m’ont montré des bouteilles qui avaient 100 ans et ils m’ en ont donné une de 50 ans. Eh bien je l’avais dit au représentant de Mercier, c’était un parent aux Mercier, il me montrait ses caves formidables, mais je disais : « non je ne bois pas. ni vin, ni alcool ». J’ai d’autres défauts… Et je ne fumais pas…
Qu’est-ce qui vous a poussé à instaurer cette discipline dans le maquis ?
Dans le maquis ? mon père était gendarme et pendant un temps il avait été gendarme à Reims. Alors on savait les dégâts que causaient les cuites des gars, soit à moto, soit autrement. La plupart des gars qui commettaient des meurtres et des crimes étaient des gars qui buvaient. Alors à la maison on ne buvait pas. Donc c’était resté ancré, le fait de boire du vin, du champagne ou tout ce que vous voudrez, pour moi c’était le prélude à des incidents. C’était ancré dans ma mémoire. Je ne voulait pas que mes gars boivent, parce qu’on risquait un verre de trop !
Et puis, manipuler des armes dans le maquis ça nécessitait une attention particulière…
Ah oui ! Vous savez, un gars qui boit…Moi dans mes activités, dans la gendarmerie, le gars qui buvait je l’avais dans le collimateur. Et dans les mess que j’ai organisés, il n’y avait pas de bars clandestins comme ça arrive souvent dans les unités. Ça, pas question ! Ce qui fait que ma carrière, sur ce plan, s’est bien déroulée parce que je n’ai pas eu d’incidents dus à ça. Une fois, c’était en Bretagne, je commandais la gendarmerie des Côtes-du-Nord, ça s’appelait les Côtes-du-Nord l’époque. Il y avait une brigade à Saint-Nicolas du Pelem. On me dit :« ça ne va pas du tout avec la population » ! Alors je me balade par là et j’aperçois une dame qui rentre à la brigade avec une brouette. Dans la brouette il y avait six bouteilles de vin. Eh bien c’était la ration d’un gendarme, de son mari ! Par jour ! Inutile de vous dire qu’il n’a pas fait long feu ! Désintoxication ! Et il a fini par se pendre. J’étais pas fier, mais enfin, c’était la désintoxication… Six litres de vin par jour ! les gars qui avaient tendance à boire, je les faisais passer au contrôle médical. Le toubib, je l’ai prévenu. Alors il mettait sur le dossier « éthylique chronique, Inapte au service ». Allez hop, à dégager ! J’en ai dégagé 10 comme ça, 15 même ! ça se savait D’ailleurs, les femmes m’ont complimenté, les femmes de gendarmes. Parfois, le toubib disait : « celui-là il en a pour un an » Mais cela ce n’est pas le maquis !
Et pas de femmes non plus dans le maquis ?
Non, pas de femmes, non ! Vous savez, on aime bien les femmes, c’est agréable, mais dès le moment où vous en mettez une avec une belle poitrine à naviguer, au bout d’un moment les mecs ils commencent à gratter de la patte. Alors on a toujours des incidents, ce n’est pas de leur faute aux filles, c’est de la faute aux hommes. Il vaut mieux qu’elles ne viennent pas.
Pourtant il y en avait qui travaillaient avec vous, des femmes !
Beaucoup de femmes ! Sans les femmes je n’aurais pas fait ce que j’ai fait. Mais elles étaient à l’extérieur et elles faisaient le recrutement. C’était formidable ! C’était elles qui m’apportaient les gars. Et puis surtout elles m’informaient. Par exemple, j’avais fait un déraillement, je ne savais pas ce qu’il y avait dans le train. On foutait le camp. Eh bien les filles allaient…il y en avait une de Magny-les-Jussey, alors à bicyclette elle allait voir par là ce qui se tramait. Il y en avait une autre, de Saponcourt qui y allait aussi et elles me faisaient chacune leur compte-rendu. Ainsi je savais approximativement, un peu mieux que si j’y avais été moi même, ce qui se passait. Elles me rendaient service comme ça. Et puis les liaisons, elles allaient me chercher, dans telle pharmacie, tel médicament pour un gars, ce que me prescrivait le médecin général. Mais il fallait payer… c’était difficile parce qu’on n’avait pas d’argent, alors on faisait un bon de réquisition.
Comment l’idée vous est-elle venue de faire des bons de réquisition ?
On m’a envoyé des bons de réquisition ! C’est venu par le BCRA, ils m’ont donné un carnet de bons de réquisition, ça tombait bien, c’était la sous région D2, et à la Libération, tous les bons de réquisition ont été valorisés.. C’est-à-dire les voitures, l’achat de pain, tout ça a été payé. Il n’y a eu aucun, d’ailleurs c’est écrit, le général Bertin l’a écrit, il n’y a eu aucune récrimination à la Libération avec les bons de réquisition. Ils ont tous étés honorés. Pour les cultivateurs, ce n’était pas toujours facile, parce que un papier comme ça…
Et la stèle, ce monument au « Maquis 89 » que représente-t-elle pour vous ?
On voit sur les quatre faces les points essentiels. Cela permet de comprendre comment été constitué le maquis. Le bras est un symbole, parce que ce sont des jeunes qui ont relevé l’épée qu’ont brisé leurs aînés en 1940 en abandonnant la partie. Ils ont brisé leurs épées et nous les jeunes eh bien nous avons repris les morceaux. On a essayé…
Et par rapport à cette génération qui avait abandonné le combat, comment vous vous êtes vous sentis, vous es jeunes de l’époque ?
A l’époque on sentait que ces gens, ces militaires, repréparaient la guerre de 14-18.. Ils avaient été vainqueurs, alors il voulaient faire la même chose : des tranchées, la guerre de positions. Ils se sont trompés magistralement ! l’instruction avait été médiocre et l’état d’esprit aussi. Ils étaient persuadés que… il ne faut pas oublier, il y avait des affiches : « nous vaincrons parce que nous sommes les plus forts ». Mais pour être les plus forts il faut y mettre de la volonté et surtout il faut l’esprit de conquête. ça n’était pas le cas alors. Bien sûr on avait un empire, on pouvait s’appuyer sur l’empire, il y avait toujours cette ressource. Mais il n’y a pas que l’humain qui compte dans la guerre. ça compte pour beaucoup, mais il y a aussi la façon dont il dont on utilise des êtres humains. Moi j’ai vu, j’ai fait la guerre contre des maquisards en Indochine. D’ailleurs mon bataillon était composé pour près de la moitié par des prisonniers que j’avais faits, vous vous rendez compte ! Encore un truc, là. C’était les gars que j’avais connus ici. c’était les mêmes . Ils se battait en terroristes, presque, oui en terroristes.
Vous voulez dire que c’était des prisonniers allemands que vous aviez faits pendant la guerre ?
Non, c’était autre chose, je parle des Vietnamiens qui étaient au vietminh. Celui qui portait mon poste de radio était un chef de bataillon que j’avais fait prisonnier. Il avait le même âge que moi. C’est lui qui portait mon poste de radio. Je l’avais fait prisonnier et après on parlait très librement. Le gars m’a dit ! «je me suis peut-être trompé ». C’est uneguerre qu’on aurait pu éviter. si on avait écouté le général Leclerc il n’y aurait pas eu la guerre d’Indochine.
Et vous, ancien maquisard, de votre position d’ancien chef de maquis à ce rôle que vous avez eu dans la guerre d’Indochine… vous étiez cette fois-ci contre d’autres maquisards, comment est-ce que c’est vécu cette position ? Parce que c’est quand même paradoxal !
Mais non ce n’est pas paradoxal. Les mecs qui étaient en face de moi, je les comprenais, je savais comment ils pouvaient se battre et moi je cherchais à les couillonner. Je les couillonnais. J’étais passé par là.
Mais justement, en étant passé par là est-ce que vous ne compreniez pas la légitimité de leur combat ?
Ah mais moi je me battais sans haine. -e partais 15 jours-trois semaines chez les Viets, chez eux, et quand j’avais repéré un état-major, hop, j’essayais de cravater l’état-major. Après je rentrais dans les zones dites françaises. J’avais fait mon boulot. J’avais tué des gars, bien sûr, mais j’en avais tué moins que ce que faisaient d’autres unités qui étaient là- bas. Moi je ramenais des prisonniers. Et puis, au bout de six mois, les prisonniers ils venaient chez moi. Ils venaient se battre contre le Vietminh. Ils m’apportaient des informations que je n’avais pas, surtout sur les méthodes qui étaient un peu différentes des miennes. Mais eux ils étaient imprégnés, j’allais dire de philosophie… il y avait toujours un commissaire politique derrière eux. Autrement dit, ils n’étaient pas à l’aise dans leur commandement. Le gars qui commandait un bataillon vietminh n’était pas à l’aise parce que il avait le commissaire politique qui lui disait ce qu’il devait faire. Alors ça ne pouvait pas coller. Ils avaient des défauts comme ça, ce que je n’avais pas ici.
Cette guerre, c’était une guerre coloniale, les vietminhs, étaient politisés peut-être, mais c’était quand même des personnes qui se battaient pour récupérer leur terre. Est-ce que vous ne sentiez pas que ça rappelait votre combat de quelques années avant ? Est-ce que vous ne sentiez pas, justement, l’absurdité de cette situation ?
Non, c’était une guerre en porte-à-faux, j’avais bien compris. Une guerre en porte à faux. Par exemple, Hô Chi Minh s’était entendu avec Leclerc qui était le représentant de Sainteny8 à l’époque, pour créer un Étatvietnamien indépendant. Bao Dai9 avait abdiqué pour cet État indépendant. Et puis on est allé récupérer Bao Dai –on a fait des conneries monstrueuses–, pour le remettre à la tête du pays qu’il avait abandonné lui même. Autrement dit, Leclerc avait l’aval de l’Assemblée nationale, du régime qui était en place en France à l’époque et, avant de partir, il était allé voir Hô Chi Minh pour lui présenter l’accord du gouvernement français. Leclerc était un gars discipliné. Il est allé voir de Gaulle à Colombey-les-Deux-Églises… C’est ça, c’est tout, point final. Autrement dit ça a été une guerre inutile qui est devenue après une guerre idéologique. Parce que ce n’était pas tellement l’indépendance le but, c’était l’idéologie ! Ils se sont faits piéger ensuite par les Chinois. Enfin, c’est un malheur pour l’Indochine mais moi je peux y retourner, les Viets, ceux qui étaient Vietminh à l’époque m’accueilleraient assez facilement. Mais cela c’est autre chose encore.
Oui mais c’était intéressant d’en discuter et de recueillir votre témoignage là-de dessus.
Là, moi, je comprenais l’attitude des gars, je savais comment ils pouvaient se battre. Eh bien je vous le dis, ils étaient piégés par les commissaires politiques, l’idéologie qui était derrière. Alors ça ne pouvait pas coller.
Enfin, pour revenir à cette stèle et à ce qu’elle représente, dans la relation que vous, en tant que jeune, puisqu’à l’époque de la déroute vous aviez 15 ou 16 ans, dans ce rapport avec vos aînés, il y eut quelque chose de faussé, là.
Oui ,oui. J’avais 16 ans en 40 quand les Allemands sont arrivés, et ma mère qui est originaire les Ardennes –on s’était réfugiés, en s’était déplacés de Paris vers la région de Brest– m’avait dit ! « va t’en en Angleterre. Va t’en ». Ma mère, Ardennaise, se rappelait ce qu’elle avait déjà subi, elle. Elle avait subi quatre ans d’occupation dans les Ardennes entre 14 et 18. Elles avait entre 14 et 18 ans. Elle ne voulait pas que je subisse la même occupation… Alors une mère qui dit à son gosse ! « va- t-en en Angleterre »… J’ai raté le remorqueur qui devait m’emmener,, je l’ai raté. Voilà, voilà l’ambiance. Pour moi c’était facile, mon père s’était engagé à 17 ans en 1917 dans la marine. Mon grand-père dans les Ardennes était prisonnier en 14-18, et puis mon autre grand-père était officier de marine, il avait été torpillé deux fois en Méditerranée. Alors vous voyez l’ambiance, pour moi c’était pas possible de supporter la présence des gens qui avaient déjà fait souffrir ma mère et contre lesquels mes parents s’étaient déjà battus.
Le fait de perdre un peu la foi en vos aînés, en ces adultes qui ont amené cette espèce d’énorme déception ça ne vous a pas fait grandir plus vite ?
Peut-être, mais je n’attendais rien d’eux. Ce n’est pas eux qui auraient trouvé une solution. Je n’avais rien à en attendre. Vous savez, des officiers d’active, je n’en ai connu qu’un qui se soit réellement battu, c’est le commandant Bertin, le général Bertin. Et bien Bertin s’est battu. Les autres ils étaient dans l’armée de l’armistice. Pas très loin d’ici sur la route j’ai rencontré un capitaine qui descendait et les gars m’ont dit : « il y a un capitaine de l’armée ». Alors je l’ai interpellé, je lui ai dit : « vous voulez prendre le commandement de mon maquis ? » On était en patrouille… Il me dit : « non je suis prévu pour un état-major ». Prévu pour un e état-major ! Effectivement, je l’ai vu un état-major… Mais à la Libération ! Avant, il y avait une soixantaine de gars qui étaient prêts à se battre mais lui qui était capitaine d’active, il connaissait la guerre, nom de Dieu! Il aurait pu… Ce jeune trou du cul qui propose ça, il dit : « non je suis prévu pour un état-major » ! Voilà. Alors ça comment voulez-vous que j’aie de l’estime pour eux. Les anciens, non, il y en avait, il y en a eu. Vous savez j’ai beaucoup d’estime pour le père Corentin, pour le capitaine de mon père, qui a été tué par les Allemands. Ceux-là oui! J’avais demandé au père Corentin… je lui avais dit : « je voudrais passer en en Espagne pour »… Il m’a dit : « il n’en n’est pas question, tu es trop jeune, tu restes là ». Mais quand je suis parti, je lui ai dit : « je m’en
vais ». Bon.
Vue sur la stèle. Omnès explique : il y avait des postes d’observation :de là presque jusqu’au village. il y avait des sentinelles avec des téléphone, avec des fils, c’était branché.
Maintenant nous sommes sur les lieux du maquis?
Oui, les véhicules étaient là-haut, j’ai eu plus de 50 véhicules de toutes catégories, camions, voitures semi- blindées et des Mercedes, six cylindres en ligne, des voitures d’état-major ! Ma tente devait être par là à peu près. Ici on avait ni la première stèle mais il ne reste rien. On arrivait par là, par Saponcourt, on n’arrivait pas par Magny, personne. Les véhicules, c’était relativement facile, parce que après Saponcourt, il y avait un chemin forestier qui allait sur Venisey. Sur Venisey, on a fait notre parachutage à hauteur, un peu plus haut que Venisey, le premier parachutages. On n’était pas loin. Je ne sais pas si vous avez lu mon bouquin mais il y a des dessins qui sont faits par un commandant qui s’appelle Carton, Roger Carton . un jour il est venu ici. Il y avait encore la stèle, il a tourné, il a vu des débris de… du maquis, c’était dans les années 90, à peu près. Il s’est isolé et je l’ai vu pleurer. Je l’ai vu pleurer. Il s’était mis un peu à l’écart et il pleurait, il sanglotait. Je n’ai pas compris, et en redescendant il me dit : « j’ai pas pu me retenir, c’était tellement angoissant (et là Omnès a des tremblement dans la voix ) de savoir que des gars étaient venus ici (là Omnès pleure lui aussi) pour se battre pour la France ». ça l’avait, comment dirais-je, ça l’ avait pris. Moi j’avais été étonné, parce que… voyez, même maintenant !. C’était un gars qui n’avait pas fait de maquis et il a voulu voir un maquis. Il est venu ici est ça l’a, ça l’a impressionné. .. Mes gars, quand ils venaient ici c’était un peu pareil. On retrouvait… Ça a été modifié, 65 ans après on ne voit plus les tranchées, on ne voit plus les méplats. Mais il y a un chemin, un peu plus haut, qui va toujours de Saponcourt à Venisey. Des fois je viens aux champignons, d’ailleurs j’en ai repéré là, vous avez vu il y a des bolets. Voilà , c’est tout ce que je peux dire, le restant ,eh bien c’est dans les archives. Mais la vie ici , c’était prenant… Il n’y avait pas feu ici, on ne faisait jamais de feu , notre nourriture était froide. La seule chose qu’on pouvait avoir, c’est quand on pouvait faire cuire, dans une lessiveuse, des pommes de terre chez un habitant. On mangeait des pommes de terre chaudes, c’est tout. Quand il pleuvait, on se mettait à l’abri, bien sûr, et au début, il ne faisait pas très chaud, en mars… Je parle du maquis ici, mais en mars on n’y était pas, on était dans la forêt de Cherlieu et après on est allés dans la forêt de Demangevelle. Et après, le Morillon. Quand le Morillon a été fichu en l’air, on y est retournés mais on n’y est pas restés longtemps. Mais au fur et à mesure qu’on grossissait, il fallait que je m’arrête de me déplacer parce qu’on avait beaucoup d’armement, et on avait des voitures, on avait fini par avoir des voitures, alors tout ça c’était lourd. C’était très lourd. Donc j’ai dit : « il faut que je trouve un endroit où on puisse s’installer ». alors, vous avez vu, cette forêt est grande. Magny est près, Saponcourt est près, Venisey aussi. Mais Polincourt c’est loin, Engenoncourt c’est loin, ce qui fait qu’on avait un grand espace qu’on connaissait bien. On pouvait se déplacer et on n’avait pas besoin de compas ni de boussole, on savait se déplacer facilement. J’avais des cartes, des cartes d’état- major que j’avais été chercher à Vesoul.
Quelle a été la principale motivation de votre engagement
Je n’ai pas eu de motivation. Ma mère était une Ardennaise qui avait déjà subi quatre ans d’occupation dans les Ardennes. Mon père était un engagé volontaire de 14-18, dans la marine. Mes deux grands-pères avaient fait la guerre de 14-18… Aussi, j’avais été instruit, éduqué, et donc pour moi c’était tout naturel que je ne supporte pas un occupant qui avait donné une raclée à notre armée. C’est tout, je n’avais pas d’autres motivations, idéologiques ou tout ce que vous voudrez, non, c’était une réaction épidermique. C’était l’expression de mon certificat d’études, l’expression de mon catéchisme, puisque j’étais chrétien, l’expression de mon éducation, c’est tout. C’était naturel. Mon père est entré dans la Résistance tout de suite, dès le mois d’octobre 40… et puis j’étais en contact avec des gens qui faisaient quelque chose. Le révérend père Corentin qui, comment dirais-je, s’occupait des prisonniers évadés, des aviateurs anglais qui étaient parachutés, qui les faisait s’acheminer vers la Galice espagnole. Donc j’étais déjà dans le bain. C’était tout à fait naturel.
Quelles ont été les différentes étapes de votre engagement ?
Dès octobre 40, je faisais la liaison entre la gendarmerie d’Exelmans et le père Corentin. Ça a été le début. Avant, avant l’appel du 18 juin, ma mère– nous étions évacués à côté de Brest, à l’Aber Vrac’h, exactement–, ma mère m’a dit : « va t’en ». j’avais 16 ans, «va –t’en en Angleterre, de l’autre côté de la Manche. Ne reste pas en France ». Pourquoi ? Parce qu’elle avait vécu déjà cette ambiance et comme elle connaissait mon tempérament, c’est ce que j’ai analysé après, elle ne voulait pas que je subisse ce qu’elle avait subi, elle, pendant quatre ans. De 14 ans à 18 ans. Donc, le 16 juin, j’ai raté le bateau pour l’Angleterre, un remorqueur qui n’est pas rentré dans le port de l’Aber Vrac. ça c’est historique, le premier était rentré, deuxième n’est pas rentré parce que, au sémaphore, ils avaient brûlé des signaux, sur ordre de la préfecture maritime. Alors le remorqueur a tourné et il est reparti. Il n’est pas rentré au port. J’allais partir… Et deux jours après, le général de Gaulle lançait son appel.
Vous l’avez entendu ?
Moi non, mon frère l’a entendu. Mon frère était aveugle et il bricolait les postes radio, la TSF. Au départ, on a eu un poste à galène… avant l’arrivée des Allemands et après il avait récupéré un poste de TSF qu’il a arrangé, ce qui fait qu’il pouvait entendre Londres. Mais pas à la maison, chez un copain. Alors c’est lui qui, un soir, nous a dit « il y a un général, il s’appelle de Gaulle, il est à Londres et il appelle à la résistance, il demande qu’on vienne le rejoindre ». De Gaulle, ça nous a fait sourire parce que de Gaulle, la France, on a fait un jeu de mots tout de suite là dessus. Et de Gaulle, les pêcheurs à la ligne avaient 2 gaules . On est retournés à Paris tout de suite, enfin en juillet, on est rentrés à Paris. Mon père avait été évacué jusqu’à Bordeaux pour aller au Maroc, mais il n’est pas parti. Alors les gendarmes ont été acceptés par les Allemands, la gendarmerie, la police, pour assurer le maintien de l’ordre, pour la sécurité des personnes et des biens. Ils étaient tolérés, c’est tout. Donc il est revenu à Paris, à la brigade des recherches, boulevard Exelmans dans le 16° arrondissement.
Et vous, vous étiez étudiant ?
Je n’étais pas encore étudiant, à 16 ans je terminais mes études au lycée Jean-Baptiste Say, le bac maths-elem, et ensuite maths-sup pour préparer physique-chimie. Mais ma mère m’a demandé de travailler puisqu’on n’ avait que la solde de gendarme. Elle faisait bien sûr des ménages, mais mon frère était aveugle, donc il avait eu des opérations. il fallait les payer, il n’y avait pas de sécurité sociale. Ma sœur avait eu aussi de grosses opérations. J’étais le seul valide, pratiquement. Donc ma mère m’a dit : « plutôt que d’entrer à l’école de chimie –où j’avais été reçu–, va à travailler ». L’inspection d’académie m’a pris comme instituteur suppléant. Instituteur suppléant dans le 17e arrondissement, rue Laugier. Là, ils m’ont pris tout de suite, j’avais mes bacs, bien sûr, tout simplement parce que les instituteurs, étaient prisonniers en Allemagne. Il y avait 1 800 000 prisonniers. Les forces vives de la nation étaient là-bas. Dans les camps de prisonniers, les offlag, les stalag. J’ai donc gagné un peu ma croûte, mais tout en étant à la faculté. J’ai fait des bêtises. J’ai demandé au professeur dans le Grand amphi une minute de silence pour les copains qui étaient tombés en Cyrénaïque ! On a fait la minute de silence et après, comme je savais encore chanter, j’ai entonné la Marseillaise. Tout le monde s’est levé et a entonné la Marseillaise, alors j’ai été repéré. Derrière le prof, je voyais les rideaux qui s’écartaient et puis quelqu’un qui pointait, qui essayait de trouver… Les copains et les copines m’ont envoyé des petits mots en me
disant : « tu es repéré ». Alors, à la sortie de la fac, j’ai cavalé ! J’étais poursuivi mais comme je courais vite, j’ai pris le métro à Odéon, je suis descendu à Invalides, je suis allé à Duroc, je suis allé à l’institution des jeunes aveugles me planquer auprès de mon frère pendant quelques heures. J’ai rendu compte au capitaine de mon père, il m’a dit : « il faut foutre le camp, vous étés repéré ». Terminé. Alors l’éducation nationale m’a trouvé… J’ai dit : « je ne peux plus rester à Paris »… « Ah eh bien, on a une solution pour vous ! » Sans parler de résistance… rien du tout. Ils avaient compris. Il ne peut plus rester à Paris ce jeune, mais on a besoin de lui. Parce que les enfants parisiens et de la banlieue étaient évacués en province, pour les mettre à l’abri des bombardements. Ça bombardait dans toute la région parisienne. Alors j’ai été désigné pour venir là, pas très loin, à Polincourt, pour m’occuper des enfants, enfin tout au moins voir dans les familles d’accueil… Ce qui fait que j’ai commencé à grenouiller. C’est le mot qui va très bien, à grenouiller, et après, j’ai été en liaison avec un groupe de résistants, le groupe la Marseillaise. Voilà.
Il y a eu une affaire avec ce groupe la Marseillaise.
Le groupe la Marseillaise… ils étaient bien organisés, ils étaient une quinzaine. Ils m’avaient contacté dans le village d’à côté, à Saponcourt. Le chef de ce groupe m’avait contacté et il m’avait dit de me méfier d’un gars de son village, que j’avais côtoyé comme ça, mais je n’avais jamais parlé de résistance. J’ai compris que… Ensuite ils m’ont demandé d’effectuer une opération avec eux sur une écluse, dans les Vosges. Bon, eh bien comme je savais nager… J’ai posé la bombe. Et puis ça a marché. Ce qui s’est passé c’est ils ont voulu aller chercher de l’armement. Ils n’en avaient pas beaucoup. Ils ont voulu aller chercher de l’armement dans le Jura et ils sont allés à Dole. ils ont eu quelques armes qui avaient été parachutées dans ce coin-là. Ils ont mis leur armement dans des caisses et ils ont pris l’autobus à Dole puis ils sont passés à Besançon et à Besançon la police allemande était là… Elle a fouillé le truc et ils en ont piqué deux. Ils en ont piqué deux et ils les ont torturés… Ils en ont ensuite arrêté une dizaine, les uns après les autres. Ils devaient avoir les mêmes consignes que celles que j’avais, moi ! C’est que quand l’un d’entre nous est arrêté, au bout de 48 heures il faut totalement disparaître. Or ils sont restés là, Moi oi j’étais inconnu dans le coin parce que je n’étais pas du pays, alors je m’en suis sorti très facilement. Enfin tout au moins je n’ai pas été inquiété par cette affaire- là.
Donc vous n’étiez pas un gars du coin…
Non pas du tout. Je n’avais pas de famille dans le secteur. Je ne connaissais pas la Haute-Saône quand je suis arrivé.
Et alors, comment vous est venue l’idée du maquis ?
Le maquis ? Je n’ai pas eu l’idée, c’est venu tout à fait naturellement. Comme je me baladais dans tout le secteur ici, j’avais quand même une quinzaine de villages à visiter à bicyclette et un jour on m’a dit : « il y a deux gars qui se planquent». Bon. alors on m’a indiqué où ils étaient, je suis allé les voir, c’était deux gars du STO10 qui se planquaient dans les bois. Ils avaient faim, bien sûr. Avec un de mes camarades dont j’avais fait la connaissance à Polincourt, René Acart, on a réussi à trouver du pain, du gruyère, etc. que je leur ai porté. Ces gars-là, après, je les ai mis en contact avec un maquis qui se trouvait à la limite des Vosges, le maquis du Morillon. ils sont partis au grand maquis du Morillon. Ça a commencé comme ça. Après, le maquis du Morillon a été dispersé, je les récupérés et j’ai récupéré d’autres gars qui ne voulaient pas partir au STO… J’ai regroupé… ét é n février j’avais déjà une dizaine de gars que j’avais regroupés à Demangevelle, dans la forêt de Demangevelle. Et après, moi aussi, en mars, je suis parti dans les bois. Alors j’avais mes gars, on s’est déplacés, on est allés loin, à 30 km , dans la forêt de Cherlieu. Et puis, comme ça, on s’est déplacés souvent. Mais comme je voulais revenir dans ce secteur, comme j’avais déjà des petits contacts, et qu’un autre groupe avait été liquidé, je suis revenu dans le secteur de Demangevelle. Au mois de mars on était bien une trentaine, une quarantaine. On était une section dans le bois et on s’est organisés. j’avais un gars qui était bûcheron, j’en avais un autre, Pierrot, qui était boucher. Alors quand on a commencé par piller les wagons de marchandises qui stationnaient, on a eu des bœufs, on a eu des meules de gruyère qui étaient énormes, ce qui fait qu’on n’a pas crevé de faim tout de suite. Au fur et à mesure on s’est organisés, on vivait un peu comme des sangliers au départ. C’était un peu ça. Dès le mois de mai, j’ai eu un contact avec un groupe à Venisey. J’ai eu un contact avec un officier russe, soviétique, qui était un officier évadé du fort de Queuleu à Metz. il commandait une section d’évadés qui faisaient escale à Venisey avant de redescendre dans le midi de la France. Mais ils se sont retrouvés bloqués là. Ils n’avaient plus de filière après et ils ont pris contact avec moi. Ils voulaient venir à mon maquis mais je n’ai pas voulu les prendre. Vous vous rendez compte, c’était des gars qui avaient 24-25 ans. C’était des vieux. De plus ils étaient lieutenants ou capitaines!
Pourquoi dites-vous dites « des vieux » ?
Parce que nous on avait 18 ans, 19 ans, 20 ans. Pour nous un gars qui avait 24 ou 25 ans, généralement il était marié, il avait des gosses. Du moment où un type n’était plus célibataire, ça devenait un vieux. Il était ligoté par une femme, il était ligoté par ses enfants. Pour nous on les appelait les vieux. Et donc, moi j’en avais, peut-être 1ou 2 qui étaient mariés mais les autres étaient célibataires. Le plus vieux avait 25 ans mais il était célibataire. Il habitait ici. Il avait fait son service militaire dans l’aviation, il était pilote.
Et vous, quand vous prenez la tête du maquis, quel âge aviez-vous ?
J’avais 19 ans. 19 ans, oui en 43. Et le vrai maquis, là, j’avais 20 ans.
Donc 19 ans en 43, c’était un maquis de combien d’hommes ?
Jusqu’en fin 43 on ne peut pas parler à proprement de maquis, on peut parler d’un groupe. C’est-à-dire que j’avais 7-8 types. À peu près. Et après, dès le mois de janvier, dès la fin du mois de janvier, c’était déjà un maquis.
Vous étiez combien à ce moment-là?
Là on était une dizaine, fin janvier 43. En février on était déjà un peu plus nombreux, j’avais récupéré le Morillon. Depuis mars on était une trentaine. Alors là ça devenait un maquis, vraiment maquis, c’était stable.
Et à la fin, c’est-à-dire à la Libération vous étiez combien ?
150, 150 avec 80 prisonniers ! Et il fallait nourrir tous ces gens-là. Ça posait des problèmes.
Est-ce que vous, à votre échelle, vous avez senti l’influence du STO, est-ce que ça a considérablement grossi vos rangs ?
Alors les gars du STO voulaient, beaucoup, voulaient se planquer se cacher. Bon alors, venir à mon maquis pour se cacher, il n’en était pas question. On venait au maquis pour se battre, c’est-à-dire combattre. Il n’était pas question de faire du feu, de se réunir, de faire du camping ou de s’installer dans des fermes isolées, ça il n’en était pas question!. Ici c’était pour se battre. Nous ne nous sommes jamais installés dans des fermes isolées par exemple. Nous, c’était le bois. Parce que les termes isolées, sur les cartes d’état-major elles étaient marquées et les Allemands le savaient. Ils savaient que les gars se cachaient dans des fermes. Il y avait une literie, etc. Et puis ils avaient chaud, et puis ils faisaient leur nourriture… Beaucoup de maquis ont disparu à cause de ça, parce que les gars étaient figés dans des résidences, tout au moins des chalets, même de pâtures. C’était sur les cartes d’état-major, alors les Allemands arrivaient là-dessus et puis… Alors que dans le bois c’était autre chose.
Comment viviez-vous dans le bois ?
Comme des sangliers ! C’est-à-dire qu’au départ ont s’enroule dans un imperméable, sur des feuilles mortes, sur des branchages qu’on coupe. Après eh bien on fait une petite baraque, on tend un cordage entre deux arbres et on met des bâches. Des bâches on en trouvait surtout sur les péniches, parce que les péniches étaient coincées avec le canal de l’Est qui était fermé. On « empruntait » aux mariniers des bâches. Il y avait un bal itinérant aussi et je lui avais fauché toutes ses tâches.. Enfin je lui avais fauché… sur réquisition, ce qui fait qu’on arrivait assez facilement à se mettre à l’abri. À l’abri de la pluie.
Mais dans cette région, en Haute Saône, vous aviez de la neige l’hiver !
Ah, l’hiver oui ! il y a eu de la neige oui, jusque fin janvier on a eu de la neige en 44. Mais l’hiver 44-45 a été encore beaucoup plus dur, il y avait 1 m de neige si ce n’est pas 2 mètres. Mais là, l’hiver 43-44 a été… pas très froid. On a eu de la neige, je vous dis, en janvier, quand je me déplaçais j’avais de la neige jusqu’à mi-jambe, c’est tout. Et ça n’a pas duré longtemps, c’était plutôt de la gadouille qu’autre chose. Alors on pataugeait dans la gadouille. Là l’absence de neige une partie de l’hiver nous a rendu service parce que pour se déplacer on laisse des traces dans la neige. Là ça n’a pas duré, donc ça nous a rendu service, ça nous a facilité les déplacements.
Quand votre maquis est devenu un maquis important, quand vous étiez à la tête de 150 hommes, comment est-ce que les hommes plus vieux acceptaient votre autorité ?
Les plus vieux, il n’y en avait pas beaucoup. Les gars avaient à peu près mon âge. Les deux plus jeunes avaient 16 ans, mais les autres avaient mon âge. C’était des classes 43-44. Et il y en avait peut-être deux ou trois de 21, c’est-à-dire qui avaient 23-24 ans, il y en avait un qui avait 25 ans, mais autrement non, ils acceptaient très facilement mon autorité. Mon autorité, je ne sais pas comment elle venait, d’abord j’avais fait beaucoup de sport, ensuite j’étais capitaine d’équipe, des fois je faisais des arbitrages, j’avais vécu dans des casernes de gendarmerie depuis ma naissance…Donc j’avais le sens de la hiérarchie, l’autorité était naturelle je suppose. et puis comme je n’étais pas du pays, je ne traînais pas derrière moi une famille connue, avec ses belles choses et ses mauvaises choses, c’est-à-dire que j’étais un gars qui venait de Paris, un petit peu… parfois ils avaient l’impression que j’étais venu spécialement pour eux de Paris, que J’avais une mission. Je n’avais pas de mission du tout. mais alors mon autorité était facile, naturelle, j’ai jamais eu de problème d’autorité, enfin je n’exerçais pas ce qu’on appelle l’autorité. Je donnais des instructions, je donnais très rarement des ordres. Par exemple quand on préparait une opération il y avait des gars qui avaient été en reconnaissance, on avait des schémas, je réunissais deux ou trois sections et je demandais aux chefs de sections des volontaires. Il fallait 20 ou 30 ou 50 volontaires. Il y avait sections qui m’en donnaient 10, d’autres qui m’en donnaient 20. Et quand il y en avait trop, eh bien on épurait. Alors j’ expliquas aux gars ce que nous allions faire, ce que nous allions faire. c’est-à-dire on va faire une embuscade à tel endroit. Voilà le schéma. On va faire dérailler le train, on va couper la voie, le train va s’arrêter là et on va lui sauter dessus… Enfin ils étaient dans le coup tout de suite. Autrement dit, je ne les emmenais pas : suivez- moi et puis… Ils étaient complices. Alors je demandais que l’ouverture du feu ce soit moi qui la fasse, que personne ne tire avant moi. On a eu une fois, au-dessus de Vauvillers, un gars qui a tiré trop tôt, eh bien j’ai eu des blessés graves et un tué.. Alors je ne voulais pas que ça recommence.
Justement, les actions que vous meniez avec vos hommes, quels types d’actions était-ce ?
Les premières actions ça a été de couper les voies ferrées et en suite, quand on a eu l’ordre de Londres de faire la guérilla totale, alors là j’ai attaqué les convois, les convois sur route… La question des voies ferrées a été réglée dès le 7, dans la nuit du 7 au 8 juin la question des voies ferrées entre Paris, Belfort, Mulhouse, l’Allemagne, était réglée. C’était bloqué ici, dans ce secteur. Alors on s’est remis sur la route, on a attaqué des convois et puis on a cassé les voies ferrées entre… en direction d’Épinal, en direction d’ Aivillers. c’était des voies secondaires mais qu’il était stratégiques pour eux.
Et qu’est-ce que vous appelez la guérilla totale ?
La guérilla totale, c’était l’ordre de Londres. « Les tomates sont rouges », qu’on avait reçu le 5 juin, c’est à dire au moment du Débarquement. Guérilla totale et entrave à toute la circulation. En même temps un autre message : « Le trèfle a 4 feuilles », tout ça c’est arrivé le 5 juin au soir. La guérilla totale c’est-à-dire « vous attaquez tout ce que vous pouvez attaquer ». ça c’était « guérilla totale ». Ne soyez pas timorés, allez-y comme vous voulez. Ici, c’était la sous région D2, la région de Lyon. Ils ont donné comme instructions, comme les maquis n’étaient pas en état de se battre, ils avaient diffusé par les agents de liaison l’information suivante : « n’appliquez pas la guérilla totale », parce que les maquis étaient été incapables de le faire. Mais moi j’avais reçu, par le BOA11 — je savais car BOA m’avait donné les codes—, que je n’avais pas de contrordre. Et si j’avais eu un contrordre, le contrordre il passait, hein… Alors on a attaqué tout ce qu’on pouvait attaquer, je veux dire en fonction de ce que je moi , moi et puis mes copains, on estimait pouvoir faire. Dès fois on est tombés sur des os un peu trop forts.
Vous vouliez vraiment vous battre !
Eh bien on venait au maquis pour ça ! Le maquis, c’était fait pour ça, pas pour aller au café, discutailler, écouter la TSF, non, c’était pour se battre! C’était pas se planquer non plus. C’était pour être utile à ceux qui débarquaient ou qui allaient débarquer. Il fallait démoraliser l’adversaire. L’adversaire c’était la Wehrmacht. Il fallait la démoraliser. cette guérilla les obligeait à prendre des précautions. Alors ils mettaient des gars sur les garde-boues des camions, ils mettaient des motos en reconnaissance, ils roulaient lentement… Ensuite les trains ne pouvant pas passer, ils étaient obligés de faire des détours épouvantables. Ça les gênait considérablement. Ils n’étaient pas maîtres de leur mouvements. Et puis ils risquaient à tout moment… D’ailleurs, ils ont été étonnés, puisque un général, un général allemand m’a dit, avant de mourir, « pourquoi as-tu fait ça mon fils ». Pourquoi as-tu fait cela mon fils ! C’était la surprise totale pour eux, que des jeunes garnements de 20 ans puissent se permettre d’attaquer un état-major de division, c’était un état- major de division de la Wehrmacht!
Comment est-ce que vous qualifieriez votre maquis ? Plutôt gaulliste, plutôt communiste ?
C’était un maquis français ! Tout simplement. Communiste, non, je n’en avais pas. La plupart de mes gars étaient chrétiens, les autres, il y en avait peut-être deux ou trois qui étaient protestants. Il y avait beaucoup de protestants dans le secteur. Et puis ils avaient pour la plupart leur certificat d’études. Ils avaient été élevés et instruits dans leurs villages, par les instituteurs des villages. C’était bon ça ! C’était formidable ! Et puis beaucoup étaient dans la culture. Bien sûr, j’ai récupéré des gendarmes, j’ai récupéré des sous-officiers, j’ai récupéré des gars comme ça, dont des déserteurs de l’armée de l’armistice qui m’ont bien aidé, mais ils étaient tous volontaires pour se battre. Et puis alors des gars du STO qui voulait se battre.. Ils ne voulaient pas aller en Allemagne, mais en plus ils voulaient se battre.
Vous dépendiez d’une hiérarchie ou vous étiez autonome ?
Ma hiérarchie je ne l’ai pas sentie, elle n’existait pas. Elle existait surtout à la fin. La Libération était proche, j’ai une de mes agents de liaison qui était en liaison avec l’état-major du groupement, c’est-à-dire du département. Le patron c’était le commandant Bertin dit Bermont. C’était un officier d’active, et par eux, moi, je n’ai rien eu, jusqu’à la fin. Par contre ils ont pris en compte les actions, les actions que nous avions faites. La seule liaison que j’avais avec une organisation responsable, c’était le BOA qui m’avait préparé des parachutages. Mais le BOA était loin, c’était Labiche, il était vraiment presque au sud du département, à Lavoncourt. C’est lui qui m’a préparé les parachutages. Ensuite j’ai eu des liaisons avec le BCRA, mais vers les Vosges, autrement dit, dans ma hiérarchie, ce que j’ai découvert à la Libération, c’était la Haute- Saône, la Franche-Comté et la région de Lyon. Mais ça, c’est après. Pendant, la seule chose qu’ils m’ont demandé, c’est de faire un déraillement, enfin de couper la voie ferrée entre Dijon et Belfort, qui passait par Vesoul. C’était hors de mon champ d’action habituel, mais c’est parce qu’ils ne l’avaient pas fait dans leur secteur. L’agent de liaison m’a demandé si je pouvais le faire, alors je suis allé faire un déraillement dans un tunnel. C’était un bataillon d’Ukrainiens qui descendait en renfort, au moment du débarquement en Provence, c’est-à-dire que c’était après le 15 août 1944. C’est la seule, la seule instruction que j’ai pu avoir. Tout ce que je savais sur les codes, etc., je l’avais eu par le BOA et le BCRA. C’est tout. Autrement dit, ma vraie hiérarchie, qui aurait dû exister, je ne l’ai pas sentie.
Vous étiez livré à vous-même !
Ah, j’étais livré à moi-même oui, totalement ! Tout ce que j’ai fait, c’était uniquement sur mon initiative ! Et puis, à la veille du Débarquement, quand il y a eu l’ordre de guérilla totale, je suis passé à la guérilla totale. Je n’ai pas attendu qu’on me donne le contre-ordre. Les autres, dans le département, ils sont passés à la guérilla totale… au mois d’août je pense. Ils ont attendu que leur hiérarchie, bien organisée, militaire, donne le feu vert.
Peut-on dire que les militaires, à ce moment-là, n’ont pas été à la hauteur ?
Le capitaine Bertin était un gars de l’armée de l’armistice, eh bien c’est le seul que j’ai connu, comme militaire de l’armée de l’armistice, qui soit passé dans la Résistance active. Les autres, ils attendaient. Voilà l’état d’esprit. Ma femme, enfin celle qui est devenue ma femme, l’agent de liaison, avait un de ses oncles qui était capitaine d’artillerie, il était en réserve, toujours l’armée de l’armistice, il n’était pas très loin d’ici. les maquis du coin lui ont demandé de passer au maquis, eh bien il n’est jamais passé au maquis ! Il a attendu la Libération pour dire : « voilà je suis toujours vivant » : Alors je n’ai pas une très bonne opinion de cet état d’esprit, de cette armée de l’armistice. Maintenant, on était en zone occupée, en zone libre je ne sais pas comment ça s’est passé, est-ce que des chefs ont réussi à secouer la fibre militaire, la fibre combattante plutôt ? Parce qu’on peut être militaire sans être combattant ! Il suffit de porter un costume et puis des bottes. J’en ai connu. Autrement dit, moi je ne peux pas porter un jugement, mais les fois où j’ai essayé, ça n’a pas marché. Sauf un type très bien, le capitaine Bertin, qui a fini général. Alors là, c’était un gars bien ! Il a écrit des livres, d’ailleurs…où il m’encense ! (rire).
Les problèmes quotidiens du maquis, c’était quoi ? se vêtir, se nourrir…
Le problème c’était d’abord de soutenir le moral. C’était le moral. Avoir connaissance de ce qui se passait à l’extérieur. Il ne fallait surtout pas rester inactif. ça c’était… alors la liaison, la reconnaissance, le ravitaillement, construire ceci… Il fallait les occuper. Constamment. C’était ma préoccupation essentielle. C’est-à-dire inventer un truc pour pas les laisser à bavarder, à déconner les uns les autres.
Est-ce que parfois le désœuvrement c’est quelque chose que vous ressentiez ?
C’était un danger, oui, à tous les coups, le désœuvrement. Les gars risquaient de vouloir boire, fumer, des choses qui étaient interdites à mon maquis, et jouer aux cartes… ils risquaient de s’enquiquinent, pour éviter une autre expression! Alors que là, arriver au maquis c’était une ambiance formidable! Vous arrivez… Moi, quand j’arrivais dans le maquis, après avoir fait des liaisons soit à Vesoul, soit même à Paris, quelquefois, quand j’arrivais au maquis, je sentais, que j’étais libre. J’arrivais dans une zone de liberté. On avait une arme, on pouvait se défendre. Je me sentais libre ! Eh bien eux c’était pareil, ils se sentaient dans un truc de liberté. Ils n’avaient pas à se retourner pour voir s’ils étaient suivis, ou observer le coin des rues pour voir si… Et puis quand ils dormaient, ils dormaient normalement. Bien sûr, c’était sur du feuillage, ça ne sentait pas bon. Mais, chez eux, planqués, c’était pas sûr. Alors ils étaient bien là. Mais il fallait les occuper. Alors on partait en mission, il y avait des liaisons, il y avait à rechercher du ravitaillement, des armes qu’il fallait récupérer, des munitions. Et après, quand on a eu des voitures, on faisait ce que j’appelais des raids longues distances avec quatre ou cinq véhicules, fusil-mitrailleurs sortant des trucs, mitrailleuses quand on en a eu ! eh bien on allait dans les Vosges, on passait dans les villages comme ça. On se montrait. On était à l’affût. Des fois on s’est heurtés à des motocyclistes allemands, bon on les foutait en l’air. Des fois, à des convois allemands, ça m’est arrivé. J’ai perdu toutes mes voitures un jour. On en avait une dizaine, on partait en renfort dans les Vosges, j’avais appris qu’un maquis était encerclé, alors on allait essayer de faire une diversion derrière, et puis entre Vauvillers et ici, on s’est trouvés à un moment devant des automitrailleuses,… que je prenais pour des voitures de fourrage… elles avaient la couleur du fourrage, parce que c’était des véhicules qui venaient d’Afrique, je suppose. Ils nous ont alignés, le premier obus a traversé ma voiture, au milieu, entre le chauffeur et moi, et puis derrière. Mon chauffeur a été un peu blessé et puis on a éjecté et ils ont aligné tout le restant, toutes les voitures qui étaient derrière… On faisait des raids comme ça. Dans les s villages on avait un accueil formidable. Vous vous rendez compte ? Des résistants ! Avec un drapeau français ! Et des gars bien armés ! On nous tendait un fusil, on disait : « tiens on a un fusil », on nous tendait… une fois une dame me dit : « attendez, j’ai un de mes fils qui a été arrêté, il est à la prison d’Épinal, et j’ai encore un fusil-mitrailleur, ne partez pas ! » je vais vous le chercher. Elle m’a donné un fusil-mitrailleur. Toujours en vie cette dame !
Vous aviez de bons rapports avec la population ?
Oui, oui, surtout après le Débarquement ! Avant ils nous boudaient un peu parce qu’ils ne savaient pas comment ça allait virer, mais au moment du Débarquement, alors là ça a changé!
Si vous deviez faire une estimation de la population et de ses opinions, comment est-ce que vous le feriez ?
Écoutez, nous, combattants,, résistants-combattants, j’estime, je ne suis pas le seul d’ailleurs, nous estimons qu’on représentait à peu près 2 % du potentiel possible. Possible pour faire la guerre, la guérilla totale. 2 %. Le restant c’était des planqués, c’était des gars qui ne voulaient pas bouger, etc.. 2 %. Parmi ceux-là il y avait des maquis qui étaient à tendance communiste, parce que après l’invasion de l’Union soviétique12, c’est-à-dire que le pacte Germano-soviétique a volé en éclats, les staliniens sont devenus des patriotes français. Enfin tout au moins une partie.
Ils ne l’étaient pas déjà, avant ?
Ah, non, pas du tout, puisque en 39 ils prêchaient la désertion ! Staline s’était acoquiné avec Hitler, le parti communiste avait été dissous13, il était interdit en France. Il y a eu des camps d’internement organisés par la France pour les communistes qui ne voulaient pas rejoindre leurs unités, etc.. Par contre, il y en a qui ont rejoint leurs unités. C’était ce que j’appelle, moi, de vrais communistes. Les staliniens suivaient Staline. Je faisais la distinction entre communistes et staliniens. Les staliniens sont devenus un peu patriotes après l’invasion de la Russie. Mais de vrais communistes… J’ai connu, dans le 19e, un gars qui était formidable, qui était communiste, il l’est resté. Il a été mobilisé, il est parti à la guerre, il a été blessé, il a eu deux citations dans des commandos, en Alsace. Charlie, c’était son nom, on était bien copains tous les deux, on n’avait pas les mêmes idées puisque moi je n’en avais pas et lui en avait… Charlie c’était un vrai communiste. Lui il a fait la guerre de 39-40 mais les staliniens ne l’ont pas faite. Ils ne voulaient pas la faire, c’est la distinction que je fais. On peut discuter là-dessus…
Pour revenir un peu à votre estimation, dans la population, quel pourcentage de collabos ? Quel pourcentage d’attentistes ? Quel pourcentage de résistants ?
C’est difficile à dire. Je vais vous citer des faits. Il y avait à Jussey ce qu’on appelait un intendant allemand qui était chargé de tout le ravitaillement, c’est-à-dire de ponctionner tous ce qui était dans le secteur de l’agriculture, les vaches, les cochons, tout ça, pour alimenter l’armée allemande qui était en campagne à droite et à gauche et aussi la population allemande. Parce qu’ici c’était généreux, il y avait du blé, il y avait… l’agriculture était florissante. alors je me suis décidé, sur demande d’ailleurs de l’inspecteur des impôts de Jussey, qui deviendra, à la Libération, le président du comité de libération… Il me dit: « il faudrait peut-être aller voir ce qui se passe au château de la Rinvourt, il faudrait essayer de piquer l’ingénieur ». -D’accord ! » Eh bien on est allés là-bas. Facile. La garde était simple, avec deux mecs qui étaient là on les a cravatés et puis on les a relâchés. Ils avaient chacun une mitraillette, on a récupéré les mitraillettes… et puis dans son bureau on a fouillé les archives. Et en fouillant les archives, j’ai trouvé, on a trouvé, 150 lettres de dénonciation signées ! De dénonciation signées !. Avec les auteurs !. Alors c’était : « un tel à tué un veau et il en a vendu des morceaux », etc. un autre c’était une vache, l’autre n’avait pas donné tout ce qu’il aurait dû donner comme pommes de terre… Enfin, je vous dis 150 lettres de ce genre là ! Pire: « Monsieur, un tel à Jussey, Rèche, est communiste. Ce gars-là fait du terrorisme, etc. » Le type a été arrêté, il a été déporté et il est mort en déportation ! Voilà un cas. Et puis d’autres. : « Je pense que untel est gaulliste parce qu’il écoute la radio de Londres ».. Quand j’ai eu toutes ces lettres-là, mes gars voulaient en avoir, c’était leur secteur, ils connaissaient sûrement les gars. alors je les ai cravatées, j’ai coupé ça en 3, une partie à l’instituteur de Magny-les-Jussey, une partie à mon agent de liaison à Demangevelle, l’institutrice, et puis le restant je l’ai gardé au maquis. Je l’ai enterré quelque part par là. je les ai récupérées depuis… Il y en avait à peu près une cinquantaine. Mes gars ont quand même réussi à en piquer une… ils ont fait une maladresse qui a failli me coûter cher. A la Libération j’ai fait un tri et je me suis interrogé, j’ai voulu savoir pourquoi ces déninciations ? Pourquoi c’était signé ? C’était quand même
anormal ! On dénonce, d’habitude les Français sont plutôt, sont réputés pour moucharder. Ils mouchardent, mais c’est anonyme… Tandis que là c’était signé ! Alors j’en ai interrogé quelques-uns, comme ça, discrètement et je leur ai dit : « écoutez moi, j’ai récupéré une de vos lettres. C’est quand même malheureux, vous avez signé votre lettre, vous risquez gros ». Alors il m’ont dit « oui, mais c’était avant le Débarquement ». Je leur ait dit « oui avant le débarquement, mais c’était quand même en territoire occupé ». Ils m’ont dit : « oui mais on croyait en la victoire de l’Allemagne » . Voilà! Pour ménager la suite, voilà ce qu’ils faisaient. Autrement dit, c’est de la collaboration sans être de la collaboration… mais enfin ce n’était pas bien! Moralement ce n’était pas bien ! Alors j’ai fait savoir que j’avais récupéré les lettres et, bien sûr, personne n’est venu me trouver en me disant « est-ce que vous avez récupéré ma lettre » ? Et le restant, eh bien on en a détruit pas mal. Il doit en rester une cinquantaine, je ne sais pas où elles sont d’ailleurs…. C’est pour la postérité. Vous comprenez, c’est des trucs, il y a des enfants, il y a des petits-enfants. C’est pas des trucs à ressortir. Mais je vous donne un cas concret de l’ambiance. Beaucoup croyaient… On avait reçu une raclée magistrale et on avait 1 800 000 prisonniers. Alors on communiquait avec les prisonniers, on leur envoyait de la nourriture, on leur faisait des colis. Ils étaient bien traités, paraît-il, enfin selon la Convention de Genève. C’était l’ambiance. Des vrais combattants, des gars qui voulaient se battre, il y en il y avait pas bézef !. On n’était pas nombreux. Des gars qui voulaient se planquer, il y en avait. Des gars qui trafiquaient, il y en avait beaucoup, marché noir, etc. Je n’étais pas très fier de mon pays. Après, quand on réfléchit à ça, je ne vais pas fusiller quelqu’un qui a dénoncé le copain qui a tué un veau. Mais ça, dans certaines régions, ça a pu se passer. Voilà la mentalité. On ne peut que se baser sur des faits. Voilà un fait. On peut dire cela, mais maintenant faire des statistiques en disant tel pourcentage de ceci, de cela, je ne peux pas, ça je ne peux pas. De toute façon, les statistiques on leur fait dire absolument ce qu’on veut. Mais je dis, moi, la seule statistique que je retiens c’est qu’il y a à peu près 2 % de la population, du potentiel disponible, de jeunes, d’officiers, etc., des gars qui étaient capables de se battre, ça représente 2 %, voilà.
Combien d’hommes avez-vous eu lors de la période la plus active? Combien de prisonniers avez-vous eu, et dans quelles conditions vivaient-ils ?
J’ai eu, à la fin, à peu près 150 hommes. J’ai eu un gros paquet qui est arrivé au mois d’août, au moment du Débarquement de Provence. Mais mon effectif c’était la centaine, quatre sections et un groupe qui organisait la nourriture, etc. qui s’occupait du garage. J’ai eu jusqu’à 50 véhicules. Et comme prisonniers, j’ai eu jusqu’à 80 prisonniers. je n’en ai pas eu 82, c’était le numéro de mon maquis mais c’était tangent, j’en ai eu 80. Quand même 80 ! C’était dans une, non pas une clairière, mais alors on a mis un de fil de fer symbolique, un fil de fer barbelé symbolique. Il y avait quatre mecs qui assuraient la surveillance, il y avait un responsable des prisonniers, qui était un Feldwebel. Je n’avais que des gars valides. Les blessés par exemple on ne les faisait pas prisonniers, on les laissait sur place dans les attaques. Je faisais un tri des prisonniers. Très souvent je laissais des gars que j’aurais pu emmener au maquis, je les laissais sur place pour aider, soigner un peu les blessés, etc.. Et comme ça ils pouvaient expliquer ce qui s’était passé, rendre compte en disant : « chef, voilà, on s’est fait assassiner, on ne sait pas « pourquoi il a fait ça mon fils… » (rire), ce qui fait que, dans les villages, jamais de représailles! Pas de représailles! Est-ce qu’on a eu affaire, dans ce secteur-là, à de vrais soldats, de vrais combattants qui connaissaient la Convention de Genève comme je la connaissais? Je l’appliquais. Ce n’est pas la peine de donner des leçons de morale aux autres, d’aller dire « ce sont des nazis, ce sont des criminels », et d’en faire autant. Achever les blessés d’une balle dans la tête, ça n’est pas normal mais ça a existé. Je vais vous citer un exemple. C’était à l’Institut des hautes études de Défense nationale. C’est la crème de la nation, des préfets, des ceci, des cela… J’y ai trouvé un collègue, ancien résistant, Pierre. Il avait le même âge que moi. Et, quand j’ai sorti mon premier livre « pourquoi as-tu fait cela à mon fils », je lui en ai donné un. Et un jour, on était en réunion de travail, il vient me taper sur l’épaule en me disant « quoi tu faisais des prisonniers toi?».Jedis« oui».ildit«ahnous,uneballesdanslatête,legars était bousillé ». Je lui dis « mais où étais-tu ? » Il me dit « j’étais dans la Creuse, c’était un maquis un peu particulier parce que tous les matins on envoyait le drapeau rouge en haut du mât et puis on chantait l’Internationale ». Lui était pas tout à fait de ce camp-là, mais il était entré dans un maquis… Alors eux, ils ne faisaient pas de prisonniers. Voilà un gars…devant tous les copains, il y a encore des vivants, il m’a dut « tu faisais des prisonniers » ? Il était étonné, parce que dans cette région-là, et même un peu plus bas, j’ai compris après, enfin je crois, je crois avoir compris que c’était des réminiscences de la guerre d’Espagne. Les Républicains espagnols s’étaient battus, bravement bien sûr, mais ils ne faisaient pas de quartier. Ni d’un côté ni de l’autre. Ils achevaient les blessés. Alors bien sûr, avec les résistants les Allemands ont fait la même chose voilà un cas précis
Vous pensez qu’il y a beaucoup de résistants qui ont eu les mains sales comme ça ?
Ah oui ,oui, parce que j’ai commandé la gendarmerie de Dole dans le Jura. C’était juste à la limite de la zone libre et de la zone occupée. Un jour je parlais avec Edgar Faure14 qui était président du Conseil, on m’appelle au téléphone et on me dit « on a trouvé une jambe qui restait accrochée dans un arbre, une botte d’un Allemand qui est resté accrochée dans les arbres au bout d’un cordage », et on ajoute « il y a des cadavres qui sont enterrés ». J’ai dit à Edgar Faure :« je vais voir parce qu’il y a un problème ». Je suis arrivé, c’était un maquis qui avait accroché les prisonniers comme ça, par les pieds, pour les faire souffrir pendant quatre ou cinq jours, comme ça. Et un des chefs du maquis m’a dit :« on les faisait crever comme ça ! » Voilà. J’étais écœuré. Ce n’est pas normal pour des hommes dits civilisés. Alors à côté de ça, ils pouvaient critiquer la déportation, ceci, cela… Mais ils ne pouvaient pas donner de leçons aux autres. Voilà ce que je ressens… et je le pense profondément. Je ne pouvais pas, je n’aurais jamais pu faire ça ! Et si j’avais été dans un maquis comme ça, je serais parti. Mon éducation, ma formation, mes croyances, non, ce n’était pas possible !
Donc les Résistants ne portent pas une auréole ?
Ah si ! Il faut voir, d’abord ils ont quand même fait des choses, les attaques de convois, ils ont créé l’insécurité sur les arrières, ils ont fait aussi des déraillements, il n’y a pas que moi, je n’étais pas tout seul ! Et puis il faut voir ce qu’a dit le général Eisenhower, que sans la Résistance le Débarquement n’aurait pas réussi ! C’était à deux doigts, à deux doigts, de ne pas réussir ! Parce que le Débarquement, au bout de six jours, il flottait drôlement. Si les Allemands qui étaient en route… eh bien au lieu de mettre huit jours pour monter, ils en ont mis 15, pour monter du sud, du centre de la France… Quand ils ont dégarni la frontière espagnole pour monter sur la zone du Débarquement, ils ont mis du temps !
Oui la division Das reich…
Oui c’est ça ! Ils ont été constamment embêtés, c’était des piqûres de guêpes, mais c’est embêtant sur un convoi .Eh bien ils sont arrivés en retard et les généraux britanniques et américains ont parfaitement analysé la situation. Ils sont très lucides, ils ont dit « sans la Résistance on foirait ». Ça c’est sûr. Tous les tacticiens, les stratèges, les vrais militaires, ne peuvent pas dire le contraire. C’est sûr.
Et pour en revenir aux prisonniers, vous les nourrissiez comme vous ?
Oui, exactement.
Est-ce qu’ils avaient des tâches, ?est-ce qu’ils travaillaient pour vous ?
Non, ils ne faisaient rien ! Ah si on leur faisait creuser des tranchées, puis enterrer des munitions, par groupes de quatre à cinq, bien sûr, des pioches, des pelles, on les a fait bosser, et puis aménager les cabanes, tout ça c’était… on les a utilisés comme ça.
Vous n’avez jamais eu de problèmes avec certains de vos hommes qui auraient tenté d’en descendre ?
Non, pas du tout. Non. La consigne était qu’ils étaient prisonniers. J’en avais laissé un, mais il était blessé, c’était un major allemand que j’avais laissé entre les mains du médecin qui était maire du village de Magny- les-Jussey. Je l’avais laissé là, il était soigné par le médecin et j’avais laissé aussi un de mes gars du maquis qui était blessé. Alors ça, ça m’a rendu service. Ça, il fallait qu’ils le sachent à l’extérieur. Ça m’a rendu service…
Ça a protégée de maquis ?
Oui, ah oui ! A mon avis, c’était un des éléments, un des paramètres. Les Allemands sachant qu’il y avait des prisonniers, qu’il y avait leurs camarades qui étaient prisonniers dans un maquis et que le maquis n’assassinait pas les blessés, je ne sais pas moi, mais c’était des éléments …ça les obligeait à réfléchir avant de s’attaquer à la population. Ils ont pris des otages dans tous les villages, bien sûr, mais ils ne les ont pas bousillés. Ils ne les ont pas bousillés parce que, je pense qu’ils se sont dit : « les gars appliquent la Convention de Genève, on va l’appliquer aussi ». Mais si j’avais bousillé les mecs avec une balle dans la tête, ça se voit très bien … qu’est-ce qui se serait passé? Il y aurait eu des représailles, c’est sûr U exemple: à Faverney on était prêts à être fait prisonniers, tout au moins… et on a été dégagés par la section Bolly. On a repris le terrain, on a repris la place de la gare, et sur la place de la gare on avait aligné, moi j’en avais alignés deux, des gars qui venaient à l’assaut de la gare. Je m’as proche d’un gars qui avait un fusil, qui était blessé, il avait beaucoup d’impacts, j’ai voulu lui prendre son fusil et il a retenu son fusil. Il n’a pas voulu le lâcher. Il s’attendait à avoir une balle dans la tête, je suppose! C’est ce qu’on avait dû lui dire avant. Je lui ai laissé son fusil, j’ai retiré culasse et je lui ai fait un pansement. J’avais des pansements. Je l’ai regardé, c’était un « vieux » qui devait avoir une trentaine d’années ! C’était un vieux, quoi ! Je lui ai tapé sur l’épaule en lui disant : « bon soldat » gut soldat. Il faut analyser ça… C’est complètement con, c’est taré, c’est tout ce que vous voudrez, ou c’est beau, ou c’est pas beau… et j’ai appris, longtemps après… il y avait des témoins, il y avait mon garagiste, qui s’occupe de ma voiture, l’agence Citroën de Faverney, qui un jour me dit : « ah, mon général, je vais vous poser une question. C’est bien vous qui étiez à là. ils ont pris en otages, ils ont été mis à genoux, on les a agenouillés sur le pont, les mains dans le dos, prêts à être fusillés. Ils étaient une dizaine de jeunes, comme ça, prêts à être fusillés… et les Allemands les ont finalement relâchés quand vous êtes repartis ». Quand tout a été fini, on est en effet repartis, mais à pied, parce qu’ils avaient bousillé toutes nos voitures, incendié nos voitures… On est repartis à pied… et un de mes gars avait pris le troupeau qui était dans les wagons, il était reparti en poussant le troupeau de bovins qu’il a mis dans des pâtures, pour le maquis et, pour les habitants qui ont apprécié ! Et puis ce geste de libérer des gars ! Si on avait achevé les blessés, eh bien les mecs y passaient ! ça à tous les coups ! Les Allemands se seraient vengés si leurs copains avaient été tués avec une balle dans la tête… mettez-vous à leur place ! Voilà un exemple concret, en plein village. C’était tout à fait inopiné. Je n’avais pas prévu ça… Pourquoi est-ce que j’ai fait ce geste-là, je ne sais pas, ça m’est sorti naturellement. J’ai trouvé que ce gars, grièvement blessé, qui a dû survivre parce qu’il est parti à l’hôpital après, qui ne veut pas lâcher son arme… son arme c’est quelque chose, l’arme d’un gars ! ‘Pour mes gars, leurs armes, au maquis, c’était quelque chose de précieux. Parce qu’une arme ça a une âme, aussi. On n’a commis que des anomalies. Ce n’est pas ce qu’on sait de la Résistance. C’est pour ça qu’on est restés un peu en dehors de toutes ces fêtes pendant 39 ans…
Vous voulez dire par là que ça avait une dimension humaine plus importante que…
Ah oui ! Nous, on est restés, je ne sais pas… on n’a pas de regrets. On ne peut pas dire : « tiens le brave type que j’ai achevé… » Remarquez, ceux qui l’ ont fait ils n’ont pas de remords. Sûrement. Parce qu’il faut déjà le faire !
Et parmi ces prisonniers allemands, il y en a que vous avez revus ?
Je ne les ai pas relâchés, je les ai remis à la Première armée, au PC du général Sudre, qui a été mon chef, après, dans l’ arme blindée- cavalerie. Mais j’en ai gardé des prisonniers allemands, j’en ai gardé qui m’ont accompagné jusqu’en Allemagne. quatre. C’était des gars qui étaient dans l’intendance et, dans le civil, ils devaient être costumiers, etc.. Alors ils m’ont fait, c’était des tailleurs de métier, des uniformes! OUi, parce que,, à la Libération, on a été incorporés, on a créé un régiment, le 60e régiment d’infanterie et on est partis en Allemagne. On a traversé le Rhin à Kiel, et j’avais ces gars-là, déguisés en soldats français. Je les ai libérés en Allemagne. Il y a des situations pénibles … par exemple le lieutenant que j’avais descendu, la famille est venue ici. La famille est venue sur les lieux de l’endroit où il avait été tué. C’était l’époque, quelques années après, les villageois ne savaient pas où j’étais, j’étais peut être en Indochine, enfin bref…. li n’ont pas dit à la famille où ils auraient pu me trouver. Et comme c’est moi qui l’ avais tué, ç’aurait été un peu gênant aussi. Mais enfin, il a commis une maladresse en tant que chef. Seulement il paraît que ce n’était pas un lieutenant d’infanterie, que c’était un lieutenant d’aviation . On peut pas tout savoir…
La journée type se déroulait comment au maquis?
Oh , c’est pas une journée ! c’était 24 heures sur 24. ! Vous savez, le jour et la nuit nous on ne savait pas. On se reposait quand on pouvait se reposer. Les marches de nuit… par exemple il y a la forêt de Cherlieu qui est à 30 km d’ici, eh bien on y allait à pied. On faisait la marche, et on essayait de cravater des gars sur les ponts. J’allais au ravitaillement très loin, très loin …et puis, la cour martiale par exemple ça s’est passé là- bas, à 30 km. J’y suis allé tout seul à pied et je suis revenu à pied aussi.
Il y avait un lever des couleurs le matin, il y avait des exercices physiques ?
On levait des couleurs tous les matins mais il n’y avait pas de sonneries de clairon. Le jour où les Allemands se sont préparés à nous attaquer, on a rassemblé toute la compagnie, sauf les guetteurs bien sûr, on a envoyé les couleurs devant le commando britannique qui était là, et puis j’ai demandé un ancien bat d’Af qui savait sonner du clairon, je lui ai
dit : « tu envoie de l’air ! ». Alors il a fait les sonneries réglementaires pour l’envoi des couleurs. Après, j’ai dit :« Eh bien voilà les gars, les allemands vont nous attaquer, ils nous ont encerclés. on se défend ! Telle section avec untel, telle autre, etc. on se bagarre, personne n’ ouvre le feu avant moi. Interdiction. Le premier qui ouvre le feu il sera abattu ! » (rire) C’était symbolique. Ils savaient très bien que je ne l’aurais pas fait ! Puis: « prenez position »… Le commando Jedbutg est descendu avec moi. Il y avait un lieutenant français à côté de moi et un capitaine britannique, un commando qui avait été parachuté ! c’est bon ça aussi pour les prisonniers allemands, c’est bon qu’ils sachent !
Et c’est quoi les meilleurs et les pires souvenirs que vous ayez ?
Les meilleurs souvenirs… ça dépend sur quel plan on se place.. Les bons souvenirs c’est l’ambiance avec des gars, et la Libération, quand on a rejoint la Première armée. Et les bons souvenirs c’est par exemple quand on a fichu l’avion en l’air… l’attaque du convoi, formidable! Les déraillements, la tranchée de Bauley, c’était, vous savez on arrivait à une dizaine de mecs, et on foutait tout ça en l’air… ça c’était un bon truc. Quand on est rentrés j’ai dit aux gars :« voilà ce qu’on a fait ! ». Plus tard, j’ai appris la nouvelle qu’ils étaient en train de déblayer, je n’étais pas au maquis j’étais en liaison en bas de Magny-les-Jussey. Jeanne vient me trouver en me disant : « dis-donc René –elle connaissait mon prénom–, ils sont en train de déblayer la tranchée de Bauley avec la grue de Nancy ». C’était textuellement sa phrase. alors j’ai dit : » nom de Dieu ». J’ai pris la voiture de Notareau. . Notareau c’était le fromager, J’’ai pris cinq ou six types avec moi, on avait l’armement, et puis Georges avait le fusil-mitrailleur . Je dis «hop, tout le monde dans la voiture, on fout le camp ». on y va. On est arrivés là-bas. Quand on est revenus, qu’on a expliqué ça aux gars, ils nous ont embrassés en nous disant : « vous êtes des gars formidables ! » Tout ça ça fait partie de la renommée, ça fait partie du prestige, de l’aura des gars qui font ça. Ils m’avaient vu plusieurs fois me jeter des locomotives, quand je lançais des locomotives… Là, j’ai ramassé des gamelles, et je n’en ai pas lancé qu’une ! Par exemple, sur la ligne d’Épinal j’ai ramassé une bonne gamelle aussi. Et, quand ils voient un gars qui fait ces trucs-là, ils se disent : « eh bien il est gonflé », ou « chapeau », où n’importe quoi… Il y a une sorte de, pas de respect, mais enfin de considération qui s’installe progressivement, et puis ils se racontent ça entre eux, ce qui fait que moi je n’ai jamais eu de problème de commandement. Il fallait qu’ils aient de l’admiration pour vous ? Ah mais je ne cherchais pas ça moi ! (rire)
Vous preniez certains risques pour montrer à vos gars que vous étiez…
AAh mais non, c’était pas pour leur montrer ! Je ne leur montrais rien du tout ! Je faisais ce que je devais faire, mais je ne cherchais pas à me mettre en vedette. Vous savez, monter sur une loco, la tirer et puis se jeter ce n’est pas marrant ! Mais il fallait le faire ! Je ne pouvais pas demander à un gars ! « tu vas monter sur une loco, tu vas tirer le régulateur et puis tu sauteras »… Et que le type aille se tuer… Non mais! Et moi qu’est-ce que je faisais, je le regardais ? Ce n’était pas possible ! Je n’aurais pas été respecté à ce moment-là. ! Parce s’il y a un cadavre, un grand blessé, etc. Moi j’étais très sportif à l’époque, pour moi c’était pas un gros problème… Mais quand même, deux fois j’ai ramassé des pelles. Et puis une fois devant une jeune fille, Marianne, qui était un bon agent de liaison avec l’état-major de Bertin. Je me suis étalé presque devant elle . A Aizé-et-Richecourt, c’est une gare qui n’est pas très loin. On avait déboulonné la voie et on avait coupé… J’ai lancé une loco toute seule mais ils ont eu vite fait de réparer. C’est la, après, que j’ai eu le train blindé, semi- blindé.
Là ce sont de bons souvenirs, mais les pires souvenirs c’est quoi ?
C’est un de mes gars qui… Le mauvais souvenir, le pire souvenir c’est un de mes gars, qui est mort d’ailleurs, que je suis allé voir, qui était grièvement blessé yeux, il était devenu aveugle… C’était son chef direct qui l’avait envoyé faire une connerie dans un patelin à côté, chercher du sel. Il avait envoyé deux gars chercher du sel et ils se sont trouvés face à face avec deux feldgendarmes. Et ils se sont battus contre les feldgendarmes. Les feldgendarmes ont lancé une grenade… il a eu ça dans la figure et son copain a eu un éclat dans le dos. Il a été transpercé dans le dos. Alors l’un est mort et l’autre été grièvement blessé. on a réussi à l’envoyer à l’hôpital à Vesoul. Je suis allé le voir, à la Libération. Il était mourant. Et là il était désespéré parce que son frère avait été tué entre-temps, il avait été tué à Vauvillers. Son frère s’est jeté sur une voiture allemande pour le venger, lui, qui avait été grièvement blessé et il a été tué. Donc les deux frères. J’aurais voulu qu’on aille au cimetière ; là bas, parce que li y a eu trois frères de la même famille tués ! trois frères ! Il reste une fille, qui tous les ans, vient au maquis. Les parents sont morts de chagrin. Mais les trois frères, morts ! Trois garçons d’une même famille morts ! Ils sont au cimetière de Passavant, à l’entrée. Il y a une stèle, les trois frangins, 20 ans, 21 ans et 18 ans. Manque de pot ! Alors là, mon mauvais souvenir, c’est Claudet en train de mourir, les yeux bandés, les infirmières à côté de lui, me disant… il m’a appelé par mon prénom ( sanglot) en me disant : « il faut tuer celui qui a donné l’instruction d’aller chercher du sel ».. C’était des braves gars, ils étaient gentils ces garçons .(visage très ému).. ça c’est un mauvais souvenir. Et puis aussi quand vous apprenez 30 ans après, que le gars qui avait perdu ses tripes, qui avait été grièvement blessé, n’a pas déclaré sa blessure parce que on ne l’aurait pas pris à la SNCF, avec un rein en moins ! Vous vous rendez compte ! Ça ça vous met en rage. En rage contre un système, contre une société. Bon ça passe, mais enfin c’est des mauvais souvenir, des souvenirs qui passent difficilement.
Vous pensez que vous et vos gars avez obtenu une certaine forme de reconnaissance, que peut-être vous n’attendiez pas, mais que l’après- guerre vous a reconnus?
À non. Il y eut la distribution des récompenses à la Libération. Nous, nous sommes partis, nous ne sommes pas restés ici. Il y a eu une distribution de médailles de la Résistance en Haute-Saône et c’est une catégorie d’individus qui les ont eues, je ne dis pas lesquels. Et nous on nous a oubliés. On n’était pas là… Finalement, dans ce maquis qui a fait le plus gros travail de toute la région, un travail énorme, il n’y a pas un seul gars qui a eu la médaille de la Résistance. ! Pas un seul ! Zéro. Alors les citations qu’ils ont obtenues, ils ont obtenu des citations pour… L’état-major a régularisé tout ce que nous avions fait, ils ont repris ça à leur compte ! Et ils sont fait des citations pour mes gars. Enfin c’est moi qui les ai rédigées. Et puis beaucoup de gars ont eu la Croix de guerre, la Croix de guerre 39-45. Et ils ont oublié après… ces citations étant des citations du commandement de la Résistance, il fallait les faire homologuer dans les années suivantes. Ils ont oublié de les faire homologuer, ce qui fait qu’ils ont été cités, mais pratiquement ça n’a pas la valeur de, d’une citation du régiment ou, de vrais militaires.
Et les FFI qu’on a dissous rapidement à la Libération, est-ce que vous pensez que ça été trop rapide, qu’on n’a pas voulu…
Les FFI ont été intégrés à l’armée. On a formé un régiment. Beaucoup de gars auraient voulu avoir un emploi, mais les prisonniers sont revenus, ils ont repris leurs trucs ,c’est-à-dire qu’il n’y avait pas de place pour ces gars-là. Alors beaucoup sont restés dans l’armée. beaucoup de mes gars qui son partis en Indochine, dans les régiments d’infanterie coloniale. Deux ont été tués : Triboulot et puis machin. Ils ont été tués en Indochine. Des braves gars, des types très bien qui étaient sergents parce que c’était des types de valeur. Beaucoup sont entrés dans la gendarmerie, ont fait gendarmes ou policiers, c’était des gars valables.
Vous êtes le seul officier, ancien FFI à être devenu général ?
Oh, je crois, oui… A mon avis, oui…
Ça a été surtout un atout dans votre carrière, ou…
Oh, ça ne m’a servi à rien ! J’ai été blessé deux fois, bon. La dernière fois c’était un peu plus loin, là. La première, c’était en bas, vous avez vu. la première c’était à la tête et puis la deuxième c’était dans le dos. j’avais donc des citations, j’ai été cité trois fois, pour tout ce que j’avais fait. j’avais donc deux blessures, normalement j’aurais dû avoir la Légion d’honneur, mais probablement que la Légion d’honneur se distribuait à des gens qui n’étaient pas aussi jeunes que moi, et puis les contingents étant limités, on a attendu que je rentre de l’Indochine, avec cinq citations supplémentaires. Voilà le travail ! enfin tout ça c’est… J’ai dit à ma femme quand tu feras l’annonce de ma mort , tu mettras : commandeur de ceci, etc., non médaillés de la résistance.
Non médaillé de la résistance. Ça c’est le pied de nez que… je ne sais pas ceux qui l’ont récolté dans le coin, sans avoir rien fait… Voilà.
Simoun c’est votre nom de guerre, on vous appelle encore Simoun ?
Ah oui ! Par exemple, quand je rencontre des gars dans la rue, il y en a deux ou trois qui m’appellent René, par mon prénom. « Mon général » c’est rare… Les anciens du maquis c’est rare qu’ils m’appellent « mon général », sauf quand il y a des autorités ici, au moment des cérémonies! Les gars viennent une fois de temps en temps avec leurs enfants, leurs petits-enfants, et ils disent : « j’étais à telle section, voilà ce qu’on a fait. Tu as vu les photos, là du déraillement, les photos de ceci… » Et puis il y a la liste, enfin tout au moins le bilan global. Quand dans un bilan vous avez 11 déraillements, non 12 déraillements, et 10 attentats, vous avez deux généraux allemands vous avez 80 prisonniers, une centaine de tués, quatre ou 500 blessés, c’est du bilan ça ! Les gars sont fiers:«j’yétais»!
Les valeurs pour lesquelles vous avez combattu, vous pensez qu’elles sont encore vivantes aujourd’hui ?
Oui alors ! Je vais dans les lycées et collèges… Le dernier lycée que j’ai fait à Paris, c’est le lycée La Fontaine à la porte d’Auteuil. alors là, j’ai retrouvé mon milieu, j’étais dans le secteur, j’ai fait toutes mes études dans le coin. Moi j’évalue les 2 % de combattants de résistants combattants, il y aurait le même potentiel maintenant. Dans les lycées et collèges je retrouve… par les questions qu’ils posent, par l’ambiance, par les écrits qu’ils m’envoient, ils font des cassettes, b’est-à-dire qu’il y a la même génération que moi, s’ils se trouvaient dans des conditions, des situations semblables, ils feraient la même chose. La même chose. Ils sont disponibles. Pourquoi ? Parce qu’ils ont été formés, bien formés, éduqués, instruits. Je le répète souvent, je leur dis parfois ma formule : « c’est CAS, la vie d’un homme c’est CAS. C’est notre… c’est : croire, aimer, souffrir. C’est ça la vie ! Avec des paramètres différents. Quel est le paramètre? Le paramètre c’est croire, c’est souffrir. Tous nous croyons, nous aimons et nous souffrons ou nous supportons la souffrance… Alors, quand je dis ça aux élèves,…c’était mon prof de philo qui m’avait indiqué ça, à Jean-Baptiste Say ! Eh bien ils m’ont envoyé des écrits et c’est : croire, aimer, souffrir. Des textes qui font 50 pages. Donc ça existe ! il y a le même coefficient, au minimum 2 %. Donc je ne suis pas désespéré. Dans la société il y a encore des gens comme nous. Vous entendez l’angélus, c’est midi! J’avais demandé, quand j’avais des prisonniers, qu’on ne sonne pas l’angélus, parce que les prisonniers pouvaient très bien se repérer. Ils ne savaient pas où ils étaient, en principe, mais ils pouvaient le savoir quand même avec cela… Alors j’avais arrêté les cloches du pays.
Et la stèle, quand est-ce qu ‘elle a été installée?
39 ans après! On a reconstitué le maquis avec les anciens qui sont venus aider les gendarmes, enfin des gardes que j’avais mis un escadron à la disposition, puis le génie avait mis aussi une compagnie, ce qui fait qu’on a reconstitué le maquis complètement avec les baraquements, les tranchées. Et on a inauguré le monument, avec le ministre. Les enfants des écoles, des lycées et collèges ont été accueillis par les anciens maquisards qui leur expliquaient : « moi j’étais à tel endroit, voilà ce que je faisais ». ce qui fait que c’était très vivant pendant plusieurs mois ici.!49
Et vous, vous étiez où à l’époque du maquis? Vous aviez une tente ?
L’avais une toile de tente. C’était tendu entre plusieurs arbres et on avait mis des piquets. Alors j’avais… tout ce que j’avais c’était une caisse, une caisse qui me servait de table. Et cette caisse a été vendue aux enchères , ça m’a été raconté! C’est une caisse cantine que j’avais récupérée de chez mes parents, qui me servait… je mettais mes documents, des bricoles, mon rasoir. C’est tout ce que j’avais. Je n’avais pas de table, je n’ avais pas de siège. Cette cantine a été vendue à Cheveigné au cours d’une vente de trucs historiques, etc. ça faisait partie, paraît-il, de l’histoire du coin. Plusieurs collectionneurs sont venus dans le maquis avec des poêles à frite, ils ont récolté… Formidable ! Il y en a un, un garagiste, c’est un collectionneur, il a des documents qui viennent du maquis, que j’ai reconnus et qu’il a retrouvés un peu partout, éparpillés.
Et pourquoi vous étiez le « Maquis 82 » ?
Pendant un moment, avec la compagnie la Marseillaise, on m’a dit que j’étais la deuxième section de la huitième compagnie d’un bataillon. Moi, pour simplifier, eh bien huit et deux, j’ai mis 82. Alors je n’étais plus la huitième compagnie, je n’étais plus la deuxième section, j’étais le Maquis 82, c’est tout, point.
Vous dormir sur le sol alors…
Oui, .à même le sol. On n’avait pas de literie. C’était le sol, avec des branchages. On mettait d’abord des branchages, ensuite des feuilles ce qui fait qu’on respirait les feuilles, on était imprégnés par l’odeur. L’odeur. On sentait mauvais, on sentait comme les sangliers, ce qui fait qu’il ne fallait pas se balader en ville!
Comment vous protégiez-vous du froid ?
On se protégeait surtout par le mépris. On s’en foutait. On n’y faisait pas attention. On était tout le temps en activité. Le froid, c’était surtout l’humidité. L’humidité c’était différent. Nos vêtements étaient humides, la pluie, et puis on n’avait pas de vêtements de rechange. Alors quand on pouvait se baigner, se laver, quand on pouvait… vous savez, c’était pas brillant. Vous savez on était habillés vraiment succinctement, les gars avaient peut-être un peu de rechange… Et puis ça s’use, et dans les attaques on se déchirait. Bref, on n’était pas beaux !
Vous mangiez à votre faim ?On mangeait à notre faim ? Non ! c’est-à-dire que très vite on n’avait pas faim. Ça bloquait. J’ai souvent raconté que pendant plus d’une semaine, 10 jours, on n’avait que des meules de gruyère et des mottes de beurre. .. Et comme dessert on avait des bonbons acidulés qu’on avait trouvés dans un train qu’on avait fait dérailler… et on n’avait pas pu avoir du pain ou du blé pour améliorer le ravitaillement. Tout ça, ça demandait beaucoup d’activité. Mais une activité qui n’était pas désordonnée. On ne sortait pas du camp. On ne sortait que sur ordre et autorisation. Et puis jamais tout seul, un gars ne sortait pas tout seul. Il fallait, pour sortir, être au moins à deux.
Vous vous serviez souvent des voitures?
C’est par là qu’on partait. c’était sympa, ont préparait des voitures pour nos raids longues distance. Les voitures, on découpait les toitures et ça nous faisait comme des Jeeps. Les voitures, même les tractions avant, étaient découpées et il y avait toujours une mitrailleuse ou un fusil- mitrailleur par voiture. On partait comme ça. On était fiers. On passait dans les villages, alors là, c’était la gloire ! C’était la gloire ! les filles nous regardaient ! Et les gens nous tendaient, mais là c’était le danger, des bouteilles de goutte. Je les cassais. En dehors des villages, bien sûr. Interdiction ! Et la nuit, quand on s’arrêtait, on s’arrêtait surtout à hauteur des lavoirs pour se laver, pour se laver ou laver un peu de linge, pu boire de l’eau à la fontaine. Les gens entendaient, regardaient à travers les rideaux, ils voyaient des gars avec des fusils, de l’armement. Alors ils nous acclamaient, sans sortir de chez eux… « Bravo les gars ! » Ça réconfortait ! On faisait des grands raids comme ça, soit à pied, soit en voiture. On allait dans les Vosges, je suis allé longtemps à Bourbonne les Bains. On allait très loin. Des fois on se heurtait à des convois allemands, alors là c’était à celui qui se débrouillait le mieux, on faisait demi-tour, etc. Et une fois de temps en temps on tombait sur deux motards qui étaient coincés, quoi ! Alors on prenait les motos, les gars on les relâchait après avoir pris leurs mitraillettes. Et très souvent dans les villages, on nous ravitaillait. On nous donnait des gâteaux. On était contents. On était fiers. A partir d’un moment, il a fallu qu’on porte des brassards, des brassards FFI. Alors on a fait confectionner les brassards à Demangevelle, et à Magny, à Saponcourt. les filles ont fait des brassards tricolores avec les lettres FFI, Forces françaises de l’intérieur, c’était obligatoire. À partir du Débarquement, les gars en opérations devaient porter justement ce sigle-là. C’était reconnu par la Convention de Genève. Il fallait un signe distinctif pour appartenir à une armée. bon
Et vos prisonniers?Maximum 80. 80 au maximum. On a démarré avec 5-6, et puis ça a gonflé au fur et à mesure. À mon avis 80 c’était trop. 50 c’était le bon chiffre pour être valables, pour peser quelque chose. A la Libération, quand on a apporté les prisonniers au PC du général Sudre, ça représentait quelque chose ! « bon, voilà des prisonniers, vous pouvez les interroger ».
Ces prisonniers vivaient dans quelles conditions ? Ils vivaient comme vous ?
Oui, oui, c’est à dire qu’on les couvrait. ils avaient le droit d’avoir des toiles de tente, mais il fallait qu’on puisse les voir constamment. Ils n’avaient pas de cloisons. il n’y avait pas de cloisonnement pour qu’ils soient constamment visibles. On pouvait tendre des toiles de tente à 2 m et les gars vivaient dessous, à l’abri et à même le sol, sur des branchages…
Et les toilettes ?
Ah oui ! Oui, on ne faisait pas n’importe où. C’était bien organisé parce que c’était une question d’hygiène. Et puis il fallait pouvoir se laver… Et l’eau de boissons on la prenait dans le ruisseau qui ne servait pas pour se laver. on se lavait à l’extérieur, c’est-à-dire qu’on se baignait dans la Saône ou dans une rivière quelconque, on se lavait dans les lavoirs, de nuit, on allait dans les villages où il y a toujours un lavoir, pour essayer d’être à peu près propres. Mais on ne se lavait pas souvent les dents, les brosses à dents c’était rare…
Vous ne vous laviez jamais dans le même ruisseau que là où vous preniez l’eau ?
A non ! C’était interdit, en bas. C’était réservé à l’eau de consommation. On n’avait pas le droit d’aller se baigner, de se laver les pieds. Il y a une chose qui m’a choqué, d’ailleurs. Moi je venais de Paris, je n’avais jamais mangé de grenouilles… et mes gars avaient l’habitude d’aller chercher des grenouilles, des sacs de grenouilles dans le ruisseau un peu plus bas et ils ont ramené ça. Ils se sont mis sur une plate-forme et ils ont commencé à tuer les grenouilles et à les couper en morceaux. Moi j’ai été choqué. Je n’ai as mangé ces grenouilles!
Vous n’avez pas fini par ranger des grenouilles ?
Ah non ! Pas de ça! J’ai gardé un mauvais souvenir, en tant que parigot. On ne mangeait pas de grenouilles à Paris. On ne pouvait pas couper les grenouilles en morceaux, vivantes…
Est-ce que vous mangiez des choses qui venaient de la forêt?
Eh bien les champignons… J’étais pas encore mycologue à l’époque mais les gars connaissent les champignons et on faisait des omelettes de temps en temps, mais pas ici. Il fallait aller dans le village, parce qu’on ne faisait pas de feu ici ! J’avais interdit le feu. La fumée ça reste collé aux arbres.
Même pour se chauffer ?
Ah il n’était pas question de se chauffer. Il n’était pas question de faire de la cuisine chaude ici ! Pas question. Pas de feu. Ça fait partie de la sécurité. Quand vous entrez dans une forêt où il y a eu du camping, vous sentez très bien s’il y a eu du feu. Ça se sent ça. Des fois on avait des plats chauds, quand on pouvait faire une lessiveuse de pommes de terre, chauffées dans la ferme à côté, ou dans le village voisin. On ramenait ça en voiture, des lessiveuses de nourriture chaude. On se régalait ! On avait aussi, beaucoup de troupeaux. Dans les trains qu’on faisait dérailler on récupérait beaucoup de troupeaux. On les mettait en pâture dans tous les villages des environs, les cultivateurs étaient contents. C’était des animaux qui partaient pour l’Allemagne, qu’on avait récupérés et qu’on mettait dans leurs pâtures. Alors une fois de temps en temps, j’avais des commis bouchers, on tuait une vache ou un veau qu’on donnait à cuire ailleurs.
Sur le film, on voit le général Omnès partir dans le forêt, seul, un bâton à la main…
1 Le 15 août 1944, les Alliés débarquent en Provence. 2 Département de la Haute-Saône, où était établi le manus du général Omnès.
2 Département de la Haute-Saône, où était établi le manus du général Omnès.
3 Equipes Jedburgh. Commandos formés de trois militaires alliés, Anglais, Américains et aussi Français , dont un opérateur radio,, parachutés pour aider, cordonner, équiper et entraîner les résistants, au moment et après les débarquements de Normandie et de Provence.
4 Stèle qui rappelle les combats du « Manuis 89 », le manuis du général Omnès.
5 Le 27 novembre 1942, l’amiral de Laborde (1879-1977), saborde la flotte française de Toulon, pour éviter qu’elle ne tombe aux mains des Allemands qui ont envahi la zone sud le 11 novembre. Ce sabordage empêche aussi la flotte française de rejoindre les Alliés. l’amiral de Laborde est condamné à mort à Libération, puis gracié et libéré en 1951 par Vincent Auriol.
6 Il s’agit des messages de Radio-Londres que tous pouvaient entendre mais que seuls pouvaient interpréter ceux qui en connaissaient le sens, qui avaient les codes.
7 Il s’agit du général Paul Weigel. L’attaque a eu lieu le 8 septembre 1944.
8 Jean Roger dit jean Sainteny (nom de guerre).1907-1978. Résistant dès 1940, arrêté par la Gestapo, il s’évade et entre au réseau Alliance. Commissaire de La République en 1946 au Tonkin et en Annam du nord, il négocie avec Hô Chi Minh un accord qui permet à l’Indochine de rester dans l’Union française, accord rendu caduc par la guerre. Compagnon de la Libération.
9 Bao Dai. 1913-1997. Dernier empereur du Vietnam qui gouverne, sans pouvoir, sous administration française. Il abdique en 1945, mais les Français le réinstallent comme chef de l’Etat (fantoche) en 1949. Il est renversé en 1955.
10 Service du travail obligatoire, créé en février 1943 par le gouvernement de Vichy, il prévoit d’envoyer les jeunes travailler en Allemagne. Pour y échapper de nombreux jeunes se cachent et cela contribue fortement à alimenter les maquis, faisant par-là même de la Résistance un mouvement de masse.
11 BOA, Bureau des opérations aériennes créé en avril 1943 par le BCRA pour assurer les liaisons avec la Résistance intérieure et pour organiser les parachutages d’armes.
12 Le 22 juin 1941 l’Allemagne envahit l’URSS, rompant le pacte germano-soviétique du 23 août 1939.
13 Après la signature du pacte germano-soviétique, l’Humanité est interdite le 26 août et le parti communiste français est dissous le 26 septembre.
14 Edgar Faure, 1898-1988. Ancien ministre et président du Conseil, académicien.