Mercredi 10 mars 2015, Mairie du 20e, 6 place Gambetta, salle du conseil
Mercredi 10 mars 2015, l‘ADVR avait, dans le cadre du 70e anniversaire de la libération des camps, invité un survivant d’Auschwitz, résistant dans ce camp, à venir témoigner. Dans la salle du Conseil de la Mairie du 20° arrondissement, une trentaine de personnes avaient répondu à l’invitation de notre association. Nous vous livrons ci-dessous un compte rendu du témoignage de Jean-Louis Steinberg.
Né en 1922, Jean-Louis Steinberg est issu d’une famille juive non pratiquante d’origine ukrainienne arrivée en France dans les années 1880 pour fuir les pogroms. Son père combattit pendant toute la guerre de 1914-1918, fut blessé et décoré de la Croix de guerre et perdit au combat trois de ses frères. C’est pourquoi, lorsque les juifs durent se déclarer aux se autorités de Vichy, il n’imagina pas un seul instant les conséquences de cette obligation. Révolté par la situation générale et en particulier par la situation faite aux juifs, Jean-Louis Steinberg s’engagea dans la résistance communiste en 1941. Il fut arrêté par la police française avec ,sa famille : son père, sa mère et son frère Claude, dix jours après le débarquement du 6 juin 1944. ,Le seul membre de la famille qui échappa à l’arrestation fut son jeune frère Michel, car il était caché dans une ferme en Normandie. Tous furent transférés à Drancy, avant la déportation vers Auschwitz.
Le transfert se fit dans des conditions épouvantables. Ils furent entassés à plus de 100 par wagon, des wagons à bestiaux, sans eau, sans air,, sans pouvoir s’allonger, dans la puanteur des tinettes qui débordèrent rapidement, étouffant à case de la chaleur. À l’arrivée, après 5 jours d’horreur, tous les vieillards et tous les bébés étaient morts.
Débarqués sur la rampe, avec les autres survivants, en rangs par 5, les Steinberg subirent alors la sélection et furent déclarés aptes au travail, mais séparés les uns des autres.
Envoyé dans un Kommando de travail de force, Jean-Louis Steinberg était condamné à une mort ,rapide. Cependant il fut un jour contacté par un Français qui lui demanda ce qu’il avait fait avant d’être arrêté. Comme il répondit qu’il avait été résistant, ce camarade, Alfred, lui proposa d’entrer dans l’Organisation de résistance du camp. Pour cela il posa quelques conditions : il fallait que Jean-Louis ne parle plus jamais de nourriture alors qu’il « crevait de faim », qu’il reste propre alors qu’il n’y avait pas de savon, souvent pas d’eau, et pas de linge de rechange, qu’il reste digne, c’est-à-dire qu’il reste un homme alors que l’objectif des nazis était de les déshumaniser,…ils n’avaient plus de nom, seulement un numéro. Celui de Jean-Louis était A 16 878. Rester debout était déjà un acte de résistance.
Au bout de quelques semaines pendant lesquelles il remplit les conditions exigées, Alfred lui annonça qu’il était digne d’entrer dans l’Organisation de résistance du camp. Cela lui permit d’obtenir un poste de travail moins dur, ce qui lui sauva la vie, de bénéficier de temps à autre d’une ration supplémentaire de soupe prise parmi les rations des morts de l’infirmerie que les résistants détournaient pour les plus faibles de leurs camarades. Faire partie de l’Organisation lui permit aussi de bénéficier des informations glanées par la résistance du camp au contact des résistants polonais qui écoutaient la radio de Moscou ou la radio de Londres, ce qui évitait de donner foi aux rumeurs les plus folles qui circulaient dans le camp. Cela encourageait les détenus à tenir puisqu’ils apprenaient ainsi la progression des troupes soviétiques.
Au camp, Jean-Louis Steinberg rencontra son père une fois. Il n’apprit que plus tard la mort de sa mère, mais lorsqu’il vit son père, émacié, à bout de forces, celui-ci était heureux car les SS lui avaient annoncé qu’il irait dans un centre de repos pour se refaire un santé ! Et il le croyait ! Jean-Louis, lui, savait qu’il ne reverrait jamais son père. bien sûr il n’a rien dit …
Le 18 janvier1944, lorsque les SS évacuèrent le camp, à l’approche de l’Armée rouge, Jean-Louis Steinberg participa aux marches de la mort. Tous ceux qui faiblissaient étaient abattus.
Puis, transportés vers l’Ouest dans des wagons découverts, par -15 à – 20°, la plupart des déportés moururent. Les survivants arrivèrent dans un état épouvantable à Buchenwald où Jean- Louis Steinberg apprit que son frère Claude venait de mourir quelques heures auparavant dans un baraquement voisin du sien.
Seul survivant des quatre, il ne dut d’être sauvé qu’à l’aide d’un médecin français qui le soigna pour une mastoïdite… qu’il n’avait peut-être pas mais cela lui permit de rester à l’abri, couché, et de récupérer quelques forces. C’était de la part de ce médecin un acte de résistance qui lui a sauvé ,la vie.
De nombreux détenus moururent après la libération du camp par les Américains car ces derniers leur donnèrent de la nourriture qu’ils mangèrent bien souvent en trop grande quantité. Jean-Louis
ne dut sa survie qu’au fait que, scientifique, il sut se nourrir très progressivement.
A son retour en France, (il pesait alors 35 kg) il voulut raconter son calvaire. Mais quand on lui dit : « vous savez, nous aussi on a eu faim et on a souffert » il se dit que personne n’était prêt à entendre
ce qu’il avait à dire et il se tut… jusqu’en 1994. ll retrouva son frère Michel, seul rescapé avec lui de cette famille assassinée. Il épousa une Anglaise qui, elle, avait passé toute la période de l’Occupation dans un camp, en France, puisque
Anglaise, elle était une ennemie de la France pétainiste….
Jean-Louis Steinberg fit ensuite une brillante carrière d’astrophysicien reconnu pour ses travaux à l’École normale supérieure où il conservera jusqu’à ces dernières années son laboratoire. Cependant, depuis 1994, il témoigne sans relâche car il considère que c’est pour lui et pour les siens un devoir. Il rencontre 200 à 300 classes chaque année! Le témoignage de Jean-Louis Steinberg nous montre que, même dans une situation où tout espoir disparaît, certains hommes et certaines femmes parviennent à résister, à rester debout. C’est un exemple qui ne peut que nous faire réfléchir.
Y Blondeau