Gisèle Guillemot (1922-2013)
Interview de Gisèle Guillemot (FTP, déportée NN) réalisée en 2008, par Vincent Goubet, pour son film Faire quelque chose, sorti en 2013.
Comment je suis entrée dans la Résistance et pourquoi je suis entrée dans la Résistance ? Eh bien en fait parce que j’habitais… mon père était comptable dans une usine entourée d’une grande cité ouvrière, une usine de 6000 ouvriers et, dans la cité ouvrière, il y avait des différences sociales qui m’ont choquée très vite, alors que j’étais encore très jeune. J’ai été absolument choquée que des gens aient tout le confort dans leur logement, tous ceux qui avaient des grades dans l’usine, enfin ceux qui avaient des emplois un peu privilégiés, des appartements avec douche, avec des jardins convenables, avec tout le confort, et que ceux qui travaillaient si fort pour faire fonctionner cette usine habitaient dans des… pas des taudis, on ne peut pas dire cela, mais dans des maisons réduites à leur plus simple expression : deux pièces pour six personnes ou sept personnes, pas de douche, l’eau courante oui, mais des waters au dehors de l’appartement ! Et tout ça, ça m’a choquée ! On peut dire que c’est ce qui m’a incitée à réfléchir. Je me suis demandé pourquoi les choses étaient comme ça et pas égales pour tout le monde. C’est parti de là. Alors, évidemment, j’ai cherché des contacts pour comprendre et je les ai trouvés ! J’étais adolescente juste au moment du Front populaire, c’était un moment où les choses ont changé en France puisque ça a amené les congés payés pour tout le monde, le droit aux soins, alors qu’avant les gens quand ils étaient malades n’avaient pas les moyens de bien se soigner, ils mouraient. Tandis qu’à partir de cette période du Front populaire on a eu droit aux soins, pas gratuits, mais à des possibilités de soins qu’on n’avait pas avant. Et moi j’ai été adolescente en pleine effervescence. En plein dans cette effervescence et ça m’a passionnée. Donc, je me suis intéressée à des groupes qui étaient un peu politisés. Qu’est-ce qui était politisé à l’époque ? Les gens de gauche, bien évidemment, les gens de droite l’étaient d’une façon différente… Et mon parcours a commencé là, à peu près au moment du Front populaire. De plus, il y a eu la guerre d’Espagne qui a provoqué des réactions en France pour aider les Espagnols, surtout pour aider tous les réfugiés, tous ceux qui fuyaient le franquisme et l’Espagne en guerre. Et puis il y a eu les premières vacances qui ont été absolument extraordinaires ! En 36, quand les gens ont eu leurs premiers douze jours de vacances, ça a été une fête pas possible ! Les congés payés ! J’habitais au bord de la mer, à 4 km de la mer. Alors on a vu arriver de Paris, du centre de la France, les gens à vélo, à tandem, dans de vieux camions… C’était une fête extraordinaire ! Alors moi, j’étais là, presque gamine encore au moment du Front populaire, j’avais 13 ans. Mais j’ai commencé à m’intéresser, à me passionner. A partir de là, ça s’est enclenché comme ça, au fur et à mesure des événements. Et puis il y a eu la guerre, bien sûr, et puis la défaite. Et après, tout de suite après la défaite, il y a eu très vite l’appel du général De Gaulle. Et comme on habitait le bord de la mer avec mes copains –on était six dans cette cité ouvrière, on était six jeunes qui nous intéressions à la politique et qui nous retrouvions dans toutes les manifestations, dans toute cette agitation–, on s’est dit : « on va partir en Angleterre . Et comme on habitait au bord de mer, on avait des barques sous la main, autant qu’on voulait… mais personne n’avait vraiment le pied marin ! On attendait, on attendait et, un beau jour, un copain nous a dit, en décembre 40 : « c’est pas la peine de partir, on peut rester là, on peut se battre dans notre pays et on va commencer aujourd’hui ». Il nous a donné des tracts à distribuer, aux paysans en particulier. Parce que, quand les Allemands sont arrivés, ils ont acheté tout ce qu’ils pouvaient en France. Et, en pleine Normandie, il n’y avait plus de beurre, il n’y avait plus de crème, il n’y avait plus rien ! Donc on a fait des tracts pour demander aux paysans d’avoir l’esprit civique, de penser que la guerre ne durerait pas toujours et qu’ils auraient, peut-être un jour, des comptes à rendre. Ça a commencé comme ça. Tout doucement. Cela, c’était en décembre 40. Et, un peu plus tard, au mois d’août 41, un garçon de mon petit groupe, un des six, a été arrêté et il a été condamné à dix ans de travaux forcés. Arrêté en distribuant des tracts, il a été condamné à dix ans de travaux forcés mais, dans l’intervalle, il y a eu un ou deux attentats. Un attentat à Nantes, un attentat à Bordeaux : deux résistants ont tué deux officiers allemands. Voilà, c’était les premiers attentats. Alors ils ont décidé de faire des représailles et, le 15 décembre 41, les Allemands ont exécuté, ont fusillé, une centaine de détenus. En réalité ils avaient dit 100 et on en a recensé 99. Et parmi eux mon camarade a été fusillé alors qu’il était seulement condamné à dix ans de travaux forcés ! Alors, à la suite de cette arrestation, notre groupe s’est dissous parce que comme on n’était pas très prudents, que tout le monde nous connaissait, les gendarmes sont venus faire des enquêtes sur les uns et les autres. Pas sur moi parce que les filles ça m’intéressait personne. Donc on s’est dispersés et moi j’ai été récupérée, toujours dans le Calvados, par un groupe de résistants adultes. Des adultes.
Vous, vous étiez des gamins en fait ?
Oui. Moi, j’étais la plus jeune, les autres avaient 20 ans. Moi j’en avais 18, j’étais très jeune. J’ai eu 19 ans en 41 et je suis devenue une petite main de la Résistance. Comme j’étais jeune, que j’avais un vélo, que j’avais l’air d’une gamine, j’étais utilisée à porter des messages ou du matériel. Je suis devenue une petite main de la Résistance et ça a duré longtemps ! Mais j’appartenais à un groupe qui a fait pas mal… qui avait du punch. Ils ont fait dérailler trois trains. Un qui a raté, et deux qui ont parfaitement réussi, où il y a eu chaque fois une trentaine de morts allemands. Alors évidemment, les représailles ont été à la hauteur des attentats. On a commencé par arrêter plein de gens qui n’y étaient pour rien, naturellement, dans le Calvados, des gens qui étaient politiquement connus avant-guerre pour être socialistes, communistes, syndicalistes. Ils en ont arrêté un certain nombre et les ont déportés à Auschwitz1, en juillet 42. Ils en ont déporté 85, je crois. Et puis, au fur et à mesure que le temps passait, la Résistance devenait de plus en plus dure, parce qu’il y avait non seulement la Gestapo, mais ils avaient fait venir les « brigades spéciales » de la police française. C’était les brigades spéciales qui sévissaient à Roue, dans notre région. …On ne pouvait plus faire de déraillements comme les tout premiers, parce que les Allemands avaient imaginé de faire surveiller les voies par des gens des villages, depuis Cherbourg jusqu’à Maastricht. Tous les cent mètres il y avait un garde, un garde voie, qui était désigné à l’avance. Par exemple, mon beau-père savait que tous les mois, tel jour, il fallait qu’il soit à tel endroit. On ne pouvait donc plus faire de déraillements, alors on faisait des petites interventions, ce qu’on appelait du titillement, pour embêter la circulation, pour un petit peu la perturber. Les gardes voie étaient obligés de donner l’alerte, de dire qu’il y avait une intervention de résistants à tel endroit. Naturellement on s’arrangeait avec les gardes voie pour qu’ils nous donnent le temps de partir. Mais ça perturbait. Pendant un certain temps au moins, les trains ne pouvaient pas rouler. On faisait ça plusieurs nuits par semaine, donc c’était une perturbation importante et qui les embêtait beaucoup. Mais finalement, une fois, au cours de ces interventions, un de nos camarades a été arrêté et de fil en aiguille les Allemands ont pénétré… ou plutôt les Français, c’était la police française,. Elle a pénétré notre système et a arrêté, entre décembre 42 et avril 43, 25 personnes. Et je faisais partie de ces 25 -là
Comment ont-ils pénétré ?
Eh bien quand ils ont arrêté le garçon qui venait d’intervenir sur la voie, ils ne savaient pas du tout qu’il était un des résistants qui étaient sur la voie, mais ice garçon avait un vélo qui n’était pas à son nom. Parce que, sur les vélos il y avait des plaques avec le nom et l’adresse du propriétaire, c’était obligatoire. Le vélo n’était pas à lui, c’est un vélo qu’il avait emprunté… Ils sont allés chez le propriétaire du vélo, qui n’était pas dans le coup, et qui a donné des indications de telle sorte qu’on a pu arrêter un des résistants… qui a beaucoup parlé. Alors de fil en aiguille on a été arrêtés, à 23.
Parce qu’un des résistants avait parlé…
Parce que un des résistants arrêtés a donné… mais oui, vous savez, c’est pas très simple. Il y en a un qui est été arrêté, il parle un peu, il donne quelques informations, un tout petit tuyau de rien du tout, pas grand-chose, mais ça met la main dans l’engrenage et, de fil en aiguille, entre décembre 42 et avril 43, ils ont arrêté 23 personnes. Alors…
Et cette personne qui a parlé elle a parlé parce que…. parce qu’elle a eu peur !
Elle a parlé sous la torture ?
Non ! On a été battus sévèrement. Moi j’ai eu une fracture du rocher, un autre camarade ils lui ont tapé sur les testicules, il a été un peu abîmé. On a été assez frappés, mais pas torturés vraiment. On n’a pas connu la baignoire, non, non, rien de ça. Non, on est tombés sur un gestaltistes sympas. Ils ne nous ont pas fait trop mal.
Il y en avait de sympas ?
Oui, plus ou moins. Ils auraient pu nous torturer tous. On n’a pas été torturés, on a été un peu abîmés, disons. Des trucs sous les ongles, et tout le bazar., ça on n’a pas connu. Donc on est arrêtés à 22. Et parmi ces 23- là, il y a notre chef. Notre responsable du Calvados. C’était un fonctionnement triangulaire. Théoriquement, on ne devait pas se connaître à plus de trois. Mais comme on n’était pas nombreux… Par exemple, moi qui étais petite main de la Résistance, je connaissais tout le monde parce qu’avec mon vélo je portais des messages aux uns et aux autres.
Vous faisiez les liaisons ?
C’est ça ! Avec tous les groupes, dans le Calvados et même dans les départements à côté, dans le département de la Manche par exemple. Donc il y en a un qui parle, et de fil en aiguille, il y en a deux autres qui sont arrêtés, vraiment bêtement. C’était comme ça, il y avait des dérapages, des circonstances qui faisaient qu’un groupe s’effondrait et c’est le cas du nôtre.
Les choses n’étaient pas aussi cloisonnées qu’elles auraient dû l’être ?
Qu’elles auraient dû, non ! On n’était pas assez nombreux. Tout le monde a été résistant à partir du 6 juin 44, quand les Alliés ont débarqué, tout le département était résistant, mais dans les mois d’avant, dans les années d’avant, en 41-42, jusqu’à mon arrestation, on n’était pas nombreux
Et donc vous connaissiez tout le monde !
On se connaissait tous ! Mais il y avait plusieurs groupes quand même. Je parle du Calvados. Le groupe auquel j’appartenais était issu du parti communiste et des syndicats… et on n’était pas très nombreux, bien sûr. Mais les autres non plus! C’est à partir du Débarquement que les groupes de résistants se sont gonflés et qu’il y à eu je ne sais pas combien de résistants dans le Calvados. Mais seulement à partir du Débarquement! Donc, on est arrêtés, et mon chef est gravement blessé au moment de son arrestation. Il est à l’hôpital, on l’a raccommodé, c’était très grave, il avait la vessie perforée, des drains partout,. Mais, quand il est un peu réparé, il s’évade. Il était gardé par un Allemand et, à côté de lui il y avait, heureusement, une bouteille d’eau minérale sur sa table de nuit. Quand l’Allemand qui le gardait a somnolé, il l’a assommé et il s’est évadé. A la suite de cette évasion les Allemands ont pensé que notre camarade ne s’était pas évadé tout seul. C‘est vrai qu’elle était insensée cette évasion… Alors comment a-t-il pu réussir ? Parce tout le personnel français de l’hôpital a fait le black-out sur son passage dans les couloirs ! Et donc il s’évade. Les Allemands ont logiquement pensé que c’était un groupe qui l’avait fait évader, que ce n’était pas lui tout seul. Donc l’évasion de ce copain-là ça nous vaut d’être transférés aussitôt, à toute vitesse, à Fresnes. À Fresnes on est tous mis dans des cellules, au secret, un par cellule, et on va attendre jusqu’en juillet 43. On est le 8 mai à ce moment-là, et on va attendre jusqu’à la première semaine de juillet 43 où on va être jugés. On est 16 condamnés à mort. 14 garçons et deux filles. Moi, d’ailleurs et une institutrice qui a été arrêtée à peu près en même temps que moi qui, elle aussi, est condamnée à mort. Donc il y a 16 condamnés à mort, et les autres à des peines diverses. Il y en a qui ont eu seulement un an, d’autres six mois, il y en a qui sont restés en France, mais les 14 garçons sont fusillés le 14 août 1943. Et nous deux, on ne nous exécute pas parce qu’on n’exécutait pas les femmes en France. On est expédiées en Allemagne avec ceux qui sont condamnés à des peines de prison. Donc on part le 4 octobre 43, on quitte Fresnes et, dans le train qui nous conduit en Allemagne, nos convoyeurs sont deux officiers SS. Un de nos convoyeurs nous dit qu’à Lubeck il y a une prison de femmes. Une Prison de femmes condamnées. Beaucoup de résistants arrêtés étaient souvent expédiés directement dans des camps sans être jugés. Mais il y avait aussi des gens jugés, comme nous, qui allaient d’abord dans les prisons. Heureusement, parce que c’était beaucoup moins dur que les camps, et comme j’y suis restée longtemps…
Vous avez fait beaucoup de prison ?
J’ai fait beaucoup de prison oui ! Je n’ai fait que huit mois de camp et tout le reste c’était de la prison. On nous a dit qu’on on allait à Lubeck, mais pour aller à Lubeck, on a mis 89 jours ! On est passés par la Tchécoslovaquie, par Cracovie, par Danzig, au lieu d’aller comme ça sur Lubeck.
Les Allemands avaient besoin de femmes pour travailler ?
Oui c’est ça. Mais n était beaucoup moins nombreuses dans les commandos. C’était beaucoup plus facile de s’organiser, de construire une espèce de résistance passive. Bien sûr, il ne s’agissait pas de tuer des Allemands, mais on faisait un petit sabotage là où on travaillait. Enfin on s’arrangeait pour ne pas trop se fatiguer. On essayait de survivre, on voulait pas être trop rentables ! On faisait tout ce qu’on pouvait pour en faire le moins possible. Et quand même, les prisons ce n’était pas le camp, c’était plus facile de survivre dans les prisons qu’à Ravensbrück ou à Mauthausen, c’est sûr !
Vous avez été prise dans un cadre politique. Ça a influencé votre vie par rapport à votre environnement familial ? ça s’est passé comment ?
Mal bien sûr ! Ma mère était issue de la paysannerie normande, tout ce qu’il y a de plus traditionnel et conservatrice. Mon beau-père était protestant et il était un petit peu plus large d’esprit, mais c’était un homme timoré qui ne se serait jamais mouillé à faire de la Résistance. Donc, tout le temps où ma résistance a été clandestine, dans ma famille il n’est rien arrivé de spécial. On a raconté des salades. Ma mère croyait que je courais les garçons ! Donc elle me menaçait de me mettre en maison de correction, comme elle disait. Ça existait !
Pour les mauvaises filles ?
Pour les mauvaises filles, oui ! Donc je l’ai laissée croire ce qu’elle voulait et j’ai continué ma petite vie de résistante passionnante. Moi je m’amusais beaucoup… Sauf, naturellement, l quand on arrêtait un de nos copains, quand on apprenait qu’avait été fusillé ! Alors ça c’était vraiment terrible. Mais autrement, je trouvais que c’était très amusant d’être une résistante. Enfin, ce qu’on a appelé plus tard une résistante, et que moi à l’époque je qualifiais de rebelle. J’étais une rebelle. J’étais une rebelle à la société telle qu’elle était déjà et encore davantage pendant l’Occupation.
Et votre mère, elle croyait que vous courriez après les garçons ? Mais la vie de résistante que vous avez eue ne laissait peut-être pas le temps de courir les garçons ?
Je n’avais pas le temps ! D’autant plus que j’avais un amoureux. Depuis que j’avais l’âge de neuf ans, on ne se quittait pas, on était devenus de gauche ensemble, on s’était politisés ensemble, on faisait de la résistance ensemble… et, avant mon arrestation, il a été tué par la Gestapo. Non même pas la Gestapo, la police allemande de la Werhmacht. On avait rendez-vous quelque part sur la côte, lui il était avec d’autres copains et le rendez-vous a été dénoncé par quelqu’un. La police est arrivée et il a été gravement blessé. On a pu le récupérer âcre qu’ils ne l’ont pas arrêté. Alors on a pu le soustraire à l’arrestation, les camarades l’ont pris en charge, l’ont caché. Heureusement il passait une voiture, et heureusement c’était le médecin de ce petit village où il se trouvait en bord de mer qui l’a ramassé, mais il était gravement blessé. Ça se passait au mois de juin et il est mort au mois janvier suivant, parce qu’il était blessé à la tête, au bulbe rachidien, et on n’opère pas, on ne peut pas ouvrir le bulbe rachidien. Il est mort des suites de ses blessures, en quelques mois. Donc je me retrouve, enfin… plus fiancée, mais la vie continue ! Et je continue la Résistance, et comme on n’était pas nombreux, quoi que l’on dise aujourd’hui, on était chargés de responsabilités : trouver des planques pour tous ceux qui étaient poursuivis, les illégaux. Parce que tous les militants de gauche d’avant- guerre étaient pourchassés, menacés d’arrestation et souvent arrêtés. Ils devaient donc rentrer dans l’illégalité. Mais il fallait les faire vivre, tous ces gens-là, leur trouver des planques, c’est-à-dire un accueil. Il fallait bien qu’ils logent quelque part, et puis aussi qu’ils survivent avec des tickets d’alimentation. . Alors il fallait en trouver, des tickets d’alimentation, et moi je me suis fait embaucher au ravitaillement général. J’ai quitté l’école et je me suis fait embaucher au ravitaillement général. Là, j’ai volé des tickets d’alimentation, des tickets de vêtements, de chaussures, pour les clandestins, pour tous ceux qui étaient illégaux, qui ne touchaient plus de tickets d’alimentation.
Ils ne pouvaient pas se nourrir ?
Oui c’est ça. Il y avait toute une organisation, un système mis en place. Ça se faisait tranquillement, doucement. Ce n’était pas des grands actes. La Résistance c’était quelque chose, comment dire, de très ordinaire. C’est au jour le jour, pour faire front aux problèmes qui se posent, et presque heure après heure. Il ne faut pas croire que c’était comme on voit dans les films.
C’était un peu dans l’improvisation.
C’était complètement dans l’improvisation ! Tout le temps.
Vous aviez grandi avec votre mère et votre beau-père. Pourquoi ?
Mon père était italien et il s’est séparé de ma mère quand j’étais très petite. Enfin, j’ai connu mon père mais il s’était séparé de ma mère qui s’était remariée avec quelqu’un d’autre, donc j’avais un beau-père. J’ai été gâté. J’avais une mère un père et un beau-père. C’était vraiment le pied !
Et vous aviez de l’amour dans votre famille ?
Oh je n’en sais rien, je ne sais pas. Mais c’est des choses dont je n’ai pas envie de parler.
Revenons aux déraillements.
Moi j’ai été, avant la guerre, dans une mouvance de gauche. J’e n’étais pas communiste, je ne savais même pas ce que c’était vraiment. On n’était pas classé comme ça à l’époque quand on avait 16 ans, on était à gauche, voilà. Nos parents, enfin les gens de l’usine, avant 36, n’avaient pas de vacances. La vie était difficile et les gens travaillaient 52 heures dans le pire des cas, 48 heures dans le meilleur. Et il n’y avait pas de samedi. Puis, brusquement, le Front populaire nous amène… eh bien des améliorations, oui de grandes améliorations ! Donc, forcément, quand on a 16 ans, 17 ans, on est séduit, parce qu’on se dit que s’il n’y avait pas eu ça on n’aurait pas une vie marrante. Donc moi j’adhère à tout ce qui est à gauche. Je fais partie de tout, de toutes les manifs qui ont lieu. Encore que dans le Calvados, qui est un département extrêmement réactionnaire… Et encore bien plus à l’époque! Aujourd’hui ça c’est arrangé, mais à l’époque c’était vraiment… Donc je suis enthousiasmée par le projet d’une vie meilleure, et je marche. Et je cours même !
Mais entre marcher, courir et, après, décider de tuer des Allemands…
Mais moi j’ai pas tué d’Allemands !
Mais quand vous participiez aux déraillements ?
Ah ! Eh bien tant pis, ils n’avaient qu’à pas être là .
Mais à ce moment-là vous participiez ?
Moi je ne participais pas aux déraillements.
Vous étiez là pour surveiller, pour faire le guet ?
Non pas du tout ! Je n’ai jamais été sur les lieux des déraillements. C’était les garçons qui faisaient ça. Par contre je pouvais leur porter des tire-fond pour mettre sur les voies, leur transmettre les… on avait des responsables qui décidaient de tout, alors je leur portais les heures de rendez-vous aux garçons, puisqu’il n’y avait pas de filles. On était deux filles quand même! J’allais dire aux garçons : « il faut se trouver à tel endroit tel jour à telle heure ». Voilà c’est tout. J’étais une porteuse de messages, si on peut dire.
Et de matériel.
Oui et de matériel.
Et ces trains, quand ils ont déraillé, il y avait des Allemands dedans !
Ah oui ! On n’allait pas faire dérailler des trains de voyageurs parisiens !
Mais ça aurait pu être juste du transport de matériel…
Ah non ! C’était méchant la Résistance ! C’était méchant la guerre !
Oui c’est sûr, il fallait faire du mal.
Mais c’était pas seulement des ennemis, c’était des fascistes ! On savait ce qui s’était passé en Allemagne, en Italie, on était au courant de ce qu’ils avaient fait aux juifs dans leur pays, parce qu’avant l’Occupation on avait vu arriver tous ces gens, les communistes, les juifs, persécutés qui s’étaient réfugiés en France, on les avait vus arriver, on savait !
Ils avaient parlé, ils avaient raconté ce qu’ils avaient vécu.
Oui c’est sûr ! Et puis il y avait des clandestins qui allaient, on a eu dans un journal qui s’appelait « Regards » en 38, avant la guerre un reportage sur le premier camp qui s’est ouvert en Allemagne, le camp de Dachau. Donc on a eu, avant la guerre, des renseignements sur des camps qui s’ouvraient en Allemagne, et on savait qu’on y mettait d’une par les juifs, mais au aussi les opposants, les communistes, les socialistes, tous les gens suspectés d’être antinazis bien sûr.. Donc, il n’y avait pas autant d’informations qu’aujourd’hui, parce qu’il y avait pas la télé, mais il y avait quand même suffisamment d’informations pour qu’on sache qu’il s’y passait des choses atroces.
C’est un cap de passer à l’action comme ça, de se dire qu’on va tuer. C’est un cap ?
Non, non, parce que vous ne pouvez pas vous mettre dans l’état d’esprit. Vous posez des questions qui sont adaptées à l’époque d’aujourd’hui. Décider aujourd’hui qu’on va tuer… Mais à l’époque, l’Allemand c’était un occupant qui nous imposait sa loi et donc on commence à lutterc ontre lui, on ne le tue pas d’abord, on fait des petites actions comme ça. Et eux réagissent d’une façon violente. Donc la Résistance devient plus concrète, plus violente…
La situation se durcit.
Oui ! Il y à une prise de conscience plus grande du danger du fasciste en France. Et puis même, il y a plein de lois, de décrets qui paraissent : interdiction de ceci, interdiction de cela. Donc il y a une colère, et cette colère, les résistants décident de l’exploiter. Au début elle ne va pas très loin cette colère, il faudra quand même attendre le Débarquement pour que dans le Calvados, au lieu d’avoir une cinquantaine de résistants on se retrouve à la tête de quelques milliers de… de gens qui sont venus tard. Ça ne les empêchera pas quelquefois de perdre la vie, parce que parmi les gens qui se sont battus au moment du Débarquement, il y a eu quand même des victimes. Mais, longtemps, on n’a pas été nombreux. Assez longtemps oui. En passant toutes ces étapes, d’abord en distribuant des tracts, puis en devenant agent de liaison, en transportant du matériel, en transportant des armes, parfois vous aviez… En faisant le guet parfois, pendant que mes copains font une action. J’ai fait ça aussi, mais ça je n’aimais pas trop, parce que je n’aimais pas avoir un revolver dans les mains.
Ce revolver s’est eux qui vous le passaient ?
Mais on n’en avait qu’un ! Alors évidemment ! Je ne sais même pas s’il marchait en plus, c’est pas évident…
Vous n’avez pas eu à vous en servir ?
Non !
Si vous aviez dû le faire vous vous en seriez servie ?
Je n’en sais rien ! Vous me posez des questions! Peut-être que je me serais affolée. Peut-être que je l’aurais fichu en l’air et que je me serais sauvé, je ne sais pas du tout. En tout cas, à chaque fois que j’ai eu ce revolver dans les mains, j’étais morte de peur, je me disais : « je ne vais pas savoir m’en servir ». Heureusement je n’en ai pas eu l’occasion.
Il y a des résistants qui disent qu’ils n’ont jamais peur. Vous pensez qu’on peut ne jamais avoir peur ?
Bien sûr que si; on a peur ! Par exemple, je me souviens d’une fois, j’avais distribué des tracts dans la soirée dans cette cité ouvrière et puis j’étais entrée chez moi, chez ma mère. Et, à peine étais-je rentrée, on habitait le premier étage, il y avait une porte en bas pour accéder à l’étage, qu’on entend un grand bruit et des tas de coups, on tape à la porte, violemment. Ma mère se précipite et qu’est-ce qu’on voit arriver ? Quelques Allemands, un groupe qui faisait une patrouille ! Alors évidemment j’ai eu très peur, je me suis dit ; « ça y est ils m’ont suivie, ils m’ont vu distribuer des tracts ». Non. c’était parce qu’il y avait un filet de lumière qui passait à la fenêtre. Il ne fallait pas qu’on voie du tout de lumière… et il y avait un filet de lumière aux carreaux. Et c’était pour ça ! Vous savez, moi j’étais très jeune, donc j’avais peur parfois, bien sûr. Par exemple, si j’avais les sacoches de mon vélo pleines de matériel de sabotage ou des tracts…Evidemment, j’avais une combine, je mettais les tracts en dessous et dessus je mettais du beurre, du fromage, de la viande, enfin ce que je trouvais dans la campagne, et donc… mais plusieurs fois je me suis fait arrêter, ils ont fouillé les sacoches. Alors ils s’amusaient les boches ils disaient : « ah marché noir, marché noir ». Parfois ils me prenaient un peu du beurre que j’avais, ou du lait, ou n’importe quoi. Mais, à chaque fois, c’était une peur assez… enfin j’avais peur ! Bien sûr ! On a peur quand on est adulte, alors quand on a 18 ans on a peur encore davantage je pense ! Oui; j’avais peur. Parfois non, parce qu’il y a aussi une espèce d’inconscience de la jeunesse. Parfois c’était un peu un jeu. Donc; avec mes copains on s’amusait un peu à faire des trucs. Et là on n’avait pas peur, c’était selon le travail qu’on faisait et puis selon aussi les menaces. Quand j’avais les sacoches de vélo pleines de matériel, qu’il y avait un barrage et qu’ils fouillaient tout le monde, j’avais peur ! J’avais l’avantage d’avoir 18 ans; d’être jeune, d’être mignonne… alors ça les amusait.
Vous jouiez un peu de votre charme ?
Voilà c’est ça ! Je leur disais que je faisais du marché noir pour ma mère, enfin je racontai n’importe quoi. Comme ils ne parlaient la moitié du temps pas Français… Seulement ils voyaient bien que j’avais ce beurre, ce fromage et parfois ils m’en piquaient bien sûr ! Donc, je repartais avec un paquet de beurre ou un fromage ou une bouteille de lait en moins. C’était plus facile qu’à Paris, je suppose, parce que comme on habitait la campagne il y avait ces possibilités de « plaquage », tandis qu’à Paris je ne sais pas comment ils faisaient, ça devait être plus dur.
Oui on nous explique souvent que ce n’était pas facile, qu’on souffrait de la faim en plus.
Ah oui, dans le Calvados aussi on a souffert de la faim la première année, parce que les paysans ont vendu toutes leurs marchandises à des prix exorbitants aux Allemands au début de l’Occupation, en 40 et de l’hiver qui a suivi, l’hiver 40-41. C’est là qu’on a commencé à distribuer le premier tract pour leur dire qu’il fallait quand même penser à l’avenir! Mais après, dans le Calvados, personne n’est mort de faim. Tous les gens venaient de Paris, enfin tous, beaucoup de gens venaient de Paris chercher du ravitaillement. On ne peut pas dire que, dans le Calvados, on ait souffert beaucoup des restrictions. Probablement quelques personnes, les plus modestes, ceux qui n’avaient pas trop de moyens, parce que, au marché noir, ça coûtait cher. Alors ceux-là, sans doute, ont souffert. Comme à Paris, d’ailleurs, ceux qui n’avaient pas d’argent mangeaient ce qu’on leur donnait officiellement, tandis que si on avait des sous, le marché noir ça fonctionnait à plein tube! C’était une période exaltante pour quelqu’un de jeune comme ça ! On était convaincus qu’on était en train de sauver la France. Donc c’était vraiment très, oui très exaltant. On était fiers d’être des résistants !
Vous sentiez vraiment que vous alliez sauver la France, en 41 vous avez cette impression déjà ?
Absolument, on en était sûrs ! Dans un premier temps, on a eu un grand désespoir, au moment où la France a été occupée. Il y a eu la déclaration de Pétain, ça a été le grand désespoir. Mais le 18 juin 40, il y a eu l’appel du général de Gaulle. Moi j’étais, ce jour du 18 juin, avec des copains. Je rentre chez ma mère et elle me dit : « il y a un militaire français, un officier », elle ne savait pas trop le grade, mais elle dit : « il y a un officier qui est à Londres et qui a fait un appel, qui a dit que la guerre n’était pas finie, et qu’on ont allait la continuer avec les Anglais, etc. ». Alors notre désespoir tout de suite s’est envolé et m’a mère nous a dit : « il y a fait un appel pour que les jeunes rejoignent l’Angleterre quand c’est possible ». Alors on s’est dit : « on part en Angleterre tout de suite ». Donc dans les jours suivants, comme on habitait à 4 km du port de Ouistreham, on est allés sur le port, on a repéré des bateaux. Seulement voilà, on n’avait pas le pied marin, pas de boussole, ont s’est dit : « où est-ce qu’on va atterrir » ? On a donc attendu un peu en disant : « on va tâcher de trouver une boussole, on va tâcher de trouver quelqu’un qui s’y connaisse un peu pour venir avec nous ». On tergiverse de jour en jour et puis voilà que, en décembre… on a quand même attendu un bon bout de temps puisque ça n’est qu’en décembre, ou en novembre, en fin d’année, qu’un de nos copains, vient nous dire : « c’est pas la peine d’aller en Angleterre ». Il était communiste, lui. C’était le seul de notre bande. Non ils étaient deux ! On était six, il y avait deux communistes. Alors un de ces deux-là vient nous dire : « eh bien on peut se battre en France, on peut faire de la Résistance en France ». Alors on était ravis, on aimait mieux rester en France que de tenter l’aventure anglaise. Et c’est comme ça que ça a commencé… et le premier tract a été distribué , en décembre 40 aux paysans, pour leur demander d’avoir un peu d’esprit social
Votre groupe a fait dérailler plusieurs trains et apparemment il y en a un qui est resté en bord de voie et qui a servi pour le film « la Bataille du rail ».
Oui c’est ça, le dernier qui a déraillé, il est resté.
Quand vous avez été arrêté il y a eu un procès important.
Oui, quand on a été arrêtés on a été jugés à 22. ça a duré une semaine.
Ça n’était pas habituel.
Non, il y en a eu quelques-uns, mais pour ce qui nous concerne ça n’est pas les SS, c’était la Werhmacht. Moi j’ai été jugé par la Werhmacht.
C’est un tribunal militaire?
Oui, de Lubeck ! C’est pour ça que j’ai été envoyée à la prison de Lubeck. Parce que c’était un tribunal de Lubeck. Je crois bien que c’était le seul qui sévissait à Paris. C’était de vrais juges, des juges militaires, mais c’était des juges. On a même eu des avocats. On était 22, il y en a eu deux ou trois qui ont été acquittés, d’autres qui ont été condamnés à de la prison, mais on a eu 6 avocats pour les 22. L’ennui c’est qu’ils ne parlaient pas très bien français.
C’était des avocats allemands ?
Oui, qui ont plaidé d’ailleurs ! Ils ont dit que, pour la plupart, on était jeunes, inconscients, que c’était du romantisme. Et avec l’interprète, il y a un épisode assez rigolo, que je raconte dans mon livre, d’ailleurs2. L’interprète était vraiment très sympa avec nous, il était correct, il disait qu’on était des héros dévoyés, qu’on avait choisi l’Angleterre, de soutenir l’Angleterre qui avait brûlé Jeanne d’Arc, mais que les vrais frères c’était l’Allemagne et la France ! Enfin tout un laïus comme ça. Et puis à un moment il nous a dit que le tribunal était obligé de sévir strictement, compte tenu qu’il y avait eu beaucoup d’Allemands tués, ce qui était vrai. Et il insistait beaucoup, il nous disait : « vraiment, vraiment, le tribunal est embêté, parce que vous êtes des gens sincères, vous êtes dévoyés, mais vous êtes quand même des gens sincères, c’est dommage que vous ne soyez pas avec nous, mais le tribunal ne peut pas faire autrement ». Alors dans son élan il nous dit : « il n’y a vraiment rien à tortiller ». Alors ça a fait un silence dans la salle et puis on a été pris d’un fou rire, d’un fou rire irrépressible. On ne pouvait plus s’arrêter, à telpoint que le tribunal s’est levé, ils ont fait évacuer la salle, ils nous on envoyés dans une petite pièce à côté, et après ils sont revenus nous demander pourquoi on avait ri comme ça. Et même les types qui avaient parlé, qui étaient morts de peur, eh bien même eux riaient, tellement c’était drôle dans toute cette austérité, cette solennité. Le type qui nous dit « il n’y a rien à tortiller ! »… Un fou rire ! Comme ça ils ont envoyé un type, un des avocats nous demander pourquoi on avait ri comme ça, et ma copine, celle qui est morte dans le train qui la ramenait, leur a répondu : « on vous dira ça quand vous aurez perdu la guerre ! » Alors ils n’étaient pas contents !
Ils en ont exécuté combien ?
14, au Mont-Valérien.
Et il y en a combien qui sont morts en déportation ?
Donc on était 22, on est revenus à deux, il en est mort vingt. Au total il en est mort six en déportation.
Donc 20 morts, et deux qui sont revenus.
On était 26 au départ, et les autres ne sont pas allés en Allemagne. Il y en a une qui a fait un an de prison en France, à Troyes, puis elle a été libérée, une autre bonne femme qui a été libérée le jour du jugement, à la fin du procès, et puis deux ou trois qui n’ont pas été en Allemagne, qui sont restés en France et qui n’ont pas été libérés tout de suite. On est partis en Allemagne seulement à huit.
Et vous être venus à deux ?
Et on est revenus à deux, moi et un homme. Il était plus vieux lui, il avait la quarantaine, il est mort depuis longtemps. C’était un marchand de poisson de Lisieux, d’un pays qui s’appelle Saint-Jacques de Lisieux, dans le Calvados. On était tous du Calvados, bien sûr.
Quand vous étiez en attente de jugement vous avez rencontré un soldat allemand…
Oh je l’ai rencontré ! Enfin c’est une façon de parler, on habitait tous les deux, on habitait à l’angle de la prison. Il y avait plusieurs couloirs et nous, nos fenêtres étaient en angle, donc on se voyait. On n’avait pas le droit d’ouvrir les fenêtres bien sûr, ouvrir les fenêtres c’était toute une combine, surtout pour moi parce qu’avec mon mètre cinquante ! Elles étaient hautes et il fallait que je fasse une drôle de gymnastique pour arriver à ouvrir la fenêtre. Mais enfin j’avais pu l’ouvrir, et lui, peut être que comme il était Allemand, peut-être qu’il avait droit à ouvrir sa fenêtre. Bref, sa fenêtre était ouverte. Alors on ouvrait les fenêtres et puis on s’envoyait des bisous, on se faisait des sourires… Il me demandait si ça allait bien, il ne parlait pas bien bien français, et moi je baragouinais 3 ou 4 mots allemands, lui 3 ou 4 mots français, ce qui fait qu’on se parlait.
Pourquoi avait-il été arrêté ?
Parce qu’il était déserteur. il avait déserté. C’était un officier, ce n’était pas un soldat, et donc ils l’ont exécuté. A la prison de Caen il y a eu plusieurs Allemands exécutés. Et donc ils ont exécuté ce garçon. Il m’a appelé le matin de l’exécution : « fraulein, fraulein », alors j’ai ouvert ma fenêtre et puis je l’ai vu dans son uniforme, et il m’a dit qu’il allait mourir. Voilà ! Le pauvre !
Vous savez pourquoi il avait déserté ?
Ah non, on ne pouvait pas tenir des conversations comme ça, parce qu’ il ne parlait pas français, moi pas allemand, ce n’était pas facile. Saufs 3 ou 4 mots « est-ce que ça va, est-ce que tu as faim », comme ça, mais c’est tout, on ne pouvait vraiment pas… et puis je suppose qu’il m’aurait pas dit des choses, par la fenêtre. C’était quand même dangereux. Il a été tué, le pauvre…
Quand vous avez été déportée, vous aviez le statut NN.
Oui NN, Nacht und Nebel, ça veut dire « nuit et brouillard » en français, ça, c’est les gens qui étaient destinés à ne pas revenir et qui étaient privés de tous les droits normaux de prisonniers. On n’avait pas droit aux colis, on n’avait pas droit aux lettres. Tandis qu’il y avait des Français qui n’étaient pas NN au camp de concentration, qui recevaient des colis et des lettres. Nous ce n’était pas notre cas. On était quand même un certain nombre de NN, à tel point qu’on nous avait réservé un block, les blocks c’était des endroits où on habitait, les espèces de cabanes, des baraques, on appelait ça des blocks. Il y avait le block des NN, c’était le block 32. il n’y avait que des NN. On était quand même un certain nombre de NN, pas loin de 1000, on était environ 900.
Comment avez-vous fait pour survivre à Ravensbrück ?
Ah, comment on a fait ? Il n’y a pas de réponse, c’est la chance ! D’abord la chance de ne pas être fusillée, parce que les petites SOE, les héroïnes du film qui fait tellement parler, « Les femmes de l’ombre », elles étaient quatre, elles ont été fusillées. Et il y a eu quelques autres exécutées en Allemagne dont France Bloch-Sérazin (3) qui avait fait sauter le Rex plein d’Allemands en 41-42, je ne sais plus. Elle avait été arrêtée,et elle a été décapitée avec une autre qui s’appelle Suzanne Masson4. Ils ont exécuté ces deux femmes-là, mais c’est les deux seules qui ont été exécutées en Allemagne, avec les quatre petites jeunes femmes qui avaient été parachutés en France, qui avaient fait leurs classes en Angleterre. Les fameuses petites SOE, celles qui ont servi de modèle au film tellement contesté. Celles-là elles ont été exécutées.
Pourquoi est-il contesté ce film ?
Il est contesté parce qu’il est plein d’erreurs et de fantaisie. D’abord le fait d’avoir pris pour héroïne une délinquante condamnée à mort. Au lieu de l’exécuter, les Anglais l’envoient en action en France. C’est absolument faux.
Ce sont des volontaires qui ont été parachutées ?
Ah oui, absolument ! Des volontaires ! Tandis que dans le film c’est une délinquante condamnée à mort qu’ils transforment en résistante !
Pensez-vous que la place des femmes dans la Résistance a été suffisamment valorisée ?
Ah ça c’est un autre problème! Évidemment non ! dans la Résistance d’abord on a toujours été considérées comme les servantes de nos compagnons, on faisait les tâches les moins valorisantes. Et aussi, souvent, les plus dangereuses ! On a été un peu… de toute façon il y a beaucoup de femmes résistantes qui ne se sont pas fait reconnaître, qui sont restés anonymes. On en a recensé un certain nombre, mais il y en a beaucoup qui ne se sont pas faits connaître. Alors celles qui ont été arrêtées et déportées, obligatoirement, on à été recensées. Et on a eu des pensions de guerre. Donc on a été à peu près toutes recensées, les déportées. Comme les hommes, d’ailleurs. On sait qu’on était environ 8500 déportées. Il en est revenu à peu près la moitié. Les hommes sont revenus, eux, un peu moins de la moitié. Mais les femmes on est revenues à peu près une sur deux. Tandis que les juifs sont partis à
75 000 et sont revenus seulement à 2500, donc il y a quand même une différences de traitement.
Vous avez là un chandelier juif. Vous êtes …
Je ne suis pas juive, non, non, je ne suis pas juive du tout, non. Je suis Italo-française, d’origine chrétienne. Mais il y a longtemps que je me suis séparée de la religion, même si je suis, si j’ai été baptisée. Je suis catho quoi, d’origine.
C’est une amie, des amis, qui vous l’on offert ?
Non c’est parce que j’aime ! En fin oui, c’est une amie qui me l’a offert, parce que j’aimais ça… Un jour je me baladais avec elle au marché aux puces, etj’aidit:« j’aimeça».Ellem’adit:«çanevapas,c’estjuif!» Elle était juive, elle. Mais je lui ai dit : « je trouve ça beau ». Alors elle m’a dit : « je te l’offre ». C’est comme ça que j’ai un chandelier juif.
Quand vous étiez dans la Résistance, est-ce que vous avez eu l’envie de lutter par rapport à cette situation qui menaçait les juifs ?
Les juifs, ah oui ça faisait partie de… Quoi que, quand en 42 on les a touts arrêtés, on a su qu’on les arrêtait ! Ce qu’on en faisait, on ne savait pas, parce qu’on ne savait pas l’existence des camps . On ne savait pas non plus ce qui se passait à l’est, mais rien que le fait de les arrêter, de les mettre au Vel’ d’Hiv’, ça choquait beaucoup de gens ! On sait qu’aujourd’hui s’il y en a eu si peu en France, beaucoup moins que dans les autres pays, c’est parce qu’ils ont rencontré une certaine solidarité dans la population française qui les a un peu aidés. À Chambon-sur- Lignon on a caché des enfants. Dans le sud de la France, avec un Américain (5),C’est vrai que dans ce cas-là, il s’agissait surtout de personnalités juives. Mais quand même, s’il n’y avait pas eu cette solidarité de la population et cette organisation, ils auraient été certainement déportés et exterminés.I l y a eu des gens qui se sont organisés pour sauver les enfants aussi, pour les cacher. oui il y a eu quand même un grand mouvement. Il fallait le faire !
C’était des Justes.
Oui on les a appelés, après, les Justes. Les Justes sont ceux qui ont directement caché les gens qui étaient menacés. Mais il y eut quand même un mouvement plus collectif, d’entraide. Enfin, on ne peut pas dire que ça a été extraordinaire, mais il faut quand même le signaler. D’ailleurs eux-mêmes, les juifs, disent que la France est le pays où ils se sentaient le moins persécutés. Il y en a quand même eu 75 000 exterminés.
Il y en a eu 75 000 déportés ou 75 000 exterminés ?
75 000 déportés, mais ils sont revenus à 2500… donc c’est pas tout à fait 75 000, mais presque. Ils sont revenus à 2500. Tandis que nous, on est revenus à un sur deux, hommes et femmes confondus. Il faut dire que chez les juifs il y avait aussi les enfants. Il y eut aussi 11 000 enfants déportés de France exterminés ! Ça compte un tel chiffre.
Parce que l’État français avait insisté pour que les enfants…
Pas l’État. Un seul ! Laval a insisté sous prétexte d humanité pour que les enfants partent avec les parents.
Et vous, après la déportation, dans la France l’après-guerre, ça s’est passé comment ?
Pas très très bien. C’était pas très facile. Personnellement, j’ai eu des histoires familiales avec ma mère. Je voulais reprendre des études, je voulais, oui, retourner à l’école, repasser des examens, mais je n’’ai pas pu parce que je me suis vraiment très mal entendue avec ma mère et que j’ai dû subvenir à mes besoins toute seule. Et, comme on n’a pas eu d’aide du gouvernement tout de suite, je suis restée à me reposer quelques mois. J’avais touché un peu d’argent, donc je me suis reposée jusqu’en janvier 46. Je suis revenue en avril 45. je me suis reposée jusqu’à la fin de l’année, enfin reposée, oui, je n’ai pas travaillé.
Vous étiez très affaiblie ?
J’ai été trois mois en Suisse, je me suis trimbalée dans un sana j’étais pas tuberculeuse, mais j’étais très affaiblie. D’abord, comme tout le monde, très maigre… mais le poids, on l’a retrouvé vite, mais pas le tonus! En plus, moi je ne dormais pas. Mais on était beaucoup comme ça, on avait des insomnies pas possibles. Il a fallu qu’on se retape, qu’on se remette. C’était une épreuve. D’abord, certaines avaient beaucoup maigri, moi pas trop, j’ai eu de la chance.
Vous vous rappelez combien vous faisiez ?
Oui, moi je n’avais pas beaucoup maigri, je faisais une quarantaine de kilos, 44-45 kilos, et avec mon mètre cinquante… je n’ai pas beaucoup maigri, je ne sais pas pourquoi, c’est comme ça. Donc je tenais le coup, mais j’étais très fatiguée. Par exemple, tous les soirs, j’avais 39 de fièvre, chaque soir, pendant des mois. Alors on a cherché, on m’a hospitalisée, on m’a fait pas mal d’examens pour savoir pourquoi j’avais cette température. Finalement on n’a jamais trouvé. C’était, je ne sais pas… un phénomène physique ! Le matin je n’avais pas de fièvre et le soir j’avais 39. Alors, après ce petit séjour en Suisse et dans des maisons de repos en France aussi, en janvier 46, il a fallu que je travaille. Comme je voulais être journaliste et que j’étais devenue communiste pendant la Résistance, j’ai eu la chance d’être embauchée dans une revue communiste qui s’appelait « Regards », qui existe toujours d’ailleurs. Mais j’ai eu des mots, parce que j’avais entendu parler du goulag au camp de concentration, par une russe, et quand je suis revenue, le parti communiste auquel j’avais adhéré pendant la clandestinité, pendant la Résistance, eh bien je leur ai demandé des comptes là-dessus ! Je leur ai dit : « j’ai entendu dire qu’il y avait le goulag en Russie ». Alors ça s’est très mal passé, ‘ai eu des ennuis, beaucoup d’ennuis au parti communiste. j’y suis restée pendant très longtemps, jusqu’en 89, mais ils m’ont viré de « Regards » ! Du coup, je n’ai pas travaillé chez eux, il a fallu que je trouve du travail ailleurs. Je me suis inscrite à des cours, dans le bâtiment. J’ai travaillé dans le bâtiment où j’ai gagné beaucoup d’argent. C’était très bien
C’était un secteur porteur, sûrement !
Oui, après la guerre, oui !
Vous êtes retournée à Caen ?
Ah non! Je suis resté à Paris. J’ai quitté Caen à la fin du mois de mai 45, et e n’y suis revenue qu’en visite. Je ne suis plus revenue du tout vivre à Caen. En plus, Caen c’était une ville réactionnaire, anticommuniste, et puis c’est tout juste si il n’était pas dangereux de dire qu’on avait été résistante !
C’était mal vu d’être résistante ?
Ah oui! Et comment ! Oui !
Quand est-ce que vous avez rencontré votre mari ? Après ?
Tout de suite en rentrant du camp. Je suis revenue, je suis rentrée avant lui parce que lui, il était resté. Il faisait partie d’un groupe qui avait… dont la plupart des membres ont été exterminés dans un lieu qui s’appelle Gardelegen. Et lui il avait échappé à cette tuerie de Gardelegen ou 1300 personnes ont été exterminées par les flammes, en se glissant dans un ravin. Ils ont été une quinzaine de rescapés. Donc ça l’a choqué beaucoup ces trucs-là. Voir brûler tous ses copains, quand on est caché dans un petit coin, c’est assez perturbant. Donc, il est venu mal en point. Il est resté sur place pour enterrer tous ses copains. D’ailleurs j’ai des photos qui sont intéressantes. Là, devant le cimetière où il y a ses 1 300 copains.
Votre mari c’est celui qui est sur la droite ? complètement sur la droite ?
Oui c’est le plus jeune. Et donc là, ils se sont cachés dans un ravin à une quinzaine et ils ont été récupérés par le bourgmestre qui devait avoir une santé à se refaire…
Le bourgmestre c’est le maire ?
Oui, Qui les a trouvés là, dans le ravin et qui les a nourris pendant quelques jours, le temps que l’armée américaine arrive. il devait avoir un passé à occulter, ce qui fait que… Le voilà avec trois copains. Vous rendez compte, le nombre de tombes! 1300! C’est énorme !
Aujourd’hui dans la société actuelle, vous…
Quand je suis revenue et que j’ai adhéré au parti communiste, j’ai rencontré un de mes anciens responsables de la Résistance, celui qui avait été blessé et qui s’était évadé, et il m’a dit : « maintenant c’est fini, tu ne va pas jouer les anciens combattants. Tu adhères au parti, et puis tu ne parles plus ni du camp ni de la Résistance. » Alors je lui ai dit : « tu as sûrement raison. » Et c’est ce que j’ai fait. Je n’ai pas tout de suite adhéré aux organisations d’anciens résistants, ou plutôt je me suis fait inscrire mais je n’ai pas milité du tout. Je n’avais pas envie de ressasser comme ces trucs et puis j’avais une grande admiration pour mon copain, pour mon responsable, donc j’ai fait ce qu’il me disait, il m’avait dit : « surtout tu ne deviens pas ancien combattant ». En plus quand on a 25 ans,. on n’a pas envie d’être ancien combattan. Donc ça me convenait assez bien. Alors j’ai milité au parti communiste, mais j’ai eu beaucoup d’histoires, justement parce que j’ai parlé du goulag. Mais à l’époque personne ne savait ce que c’était que les goulag. Donc,, j’ai eu un peu des mots… et je ne me suis pas trop investi au parti communiste. J’étais adhérente, j’allais aux réunions de cellule, mais je n’ai pas pris de responsabilités. D’abord parce qu’on m’en a pas donné, compte tenu que… j’ai posé des questions embarrassantes.
Et aujourd’hui, dans la société actuelle vous vous sentez comment ?
Très bien, ça va, merci. J’ai plein de pognon, ça va… Enfin quand je dis que j’ai plein de pognon, j’ai pu constituer une retraite confortable, j’ai une pension de guerre et, comme vous voyez j’habite un appartement agréable. t A part ça je suis toujours une militante. Je ne suis pas sarkozyste, évidemment!
Qu’est ce que vous souhaitez transmettre aux jeunes ?
Ah, mais c’est un discours d’ancien combattant, ça, absolument. Qu’est- ce que j’ai envie de leur laisser ? Surtout, j’ai envie de leur donner le goût de se battre , de pas être passifs, de réagir. C’est ce qu’ils font, d’ailleurs, les jeunes . Il y a des manifs sans arrêt quand les choses ne vont pas bien.
Vous pensez que les jeunes bougent encore ?
On le voit bien , dans les collèges , dans les lycées ! Ils bougent moins qu’on bougeait nous, sans doute ! J’ai un petit-fils, un musicien, mais je ne lui ai pas donné le goût de la chose politique… Mes enfants non plus d’ailleurs. Ça a dû leur casser les pieds que je me sois investie comme ça. La vie militante, c’est quelque fois au détriment de la famille. Oui, ça a dû les embêter, parce qu’aucune des deux filles ne s’investit. Elles vont dans le sens de ma pensée, mais c’est tout; Elles s’investissent autrement.
Elles ont de l’admiration pour vous ?
Ah ça c’est certain qu’elles sont fières de leur mère ! Bien sûr, ça serait embêtant d’avoir fait tout ça si mes filles me disaient : « tu aurais mieux fait de rester tranquille ». Non c’est pas le cas.
Vous écrivez aussi, vous êtres auteure
Oui, j’ai écrit des bricoles, un bouquin qui s’appelle «Entre parenthèses », qui a eu le prix de l’Académie française en 2002. D’ailleurs c’est curieux parce que j’ai eu le prix de science et d’histoire, je pensais que j’aurais eu le prix de littérature… Mais j’en ai eu deux prix, j’ai eu aussi un prix de littérature , d’une organisation de résistance et puis, ce qui est le plus important c’est le prix de l’Académie française. C’est pas pour ça que j’en ai vendu des tonnes ! Il ne faut pas croire… ça n’a pas dépassé les 2200 ou 2300 exemplaires, depuis 2002,.mais peut être que les éditions l’Harmattan trichent un peu, pour me donner moins de droits d’auteur, parce que des droits d’auteur, je n’en ai pas touché beaucoup.
Vous écrivez des poèmes aussi ?
Oh c’est fini, je n’écris plus de poèmes . Mais j’en ai écrit , oui,.
Sur la Résistance ?
Oh sur la Résistance, pas exactement… Oui, sur le camp. Le denier poème que j’ai écrit c’est sur les petits enfants juifs. Il y avait eu une cérémonie en hommage aux petits enfants déportés, il y a bien 25 ou 30 ans, alors j’ai écrit ce poème. et puis il a eu beaucoup de succès. On le récite encore comme ça quand il y a des manifestations …
Dans les écoles ?
Oui, on a mis des plaques. Il y a une organisation6 qui s’est employée à recenser tous les enfants déportés en Allemagne et qui ne sont pas revenus. Il y en a eu quand même 11000 !
Tous les enfants français ?
Enfin, Français ou pas Français, mais partis de France. Dans les écoles on les a recensés, ça a été un gros boulot. Ils se sont donné beaucoup de mal les copains qui ont lancé ça.
Voudriez-vous nous lire ce poème ?
Le poème ! Oh non. Je ne veux pas vous le lire mon poème ! Vous n’avez qu’à le lire, vous, mon poème.
Lecture par Caroline :
Aux petits enfants de Pitchipoï
Ils disent aujourd’hui que ce n’était pas vrai,
Que nul ne respira sous les cieux d’Auschwitz, ou ceux de Treblinka
Le Zyklon qui tuait
Mais que sont devenus, poursuivis par la mort, tous ces enfants perdus
Qui s’en allaient en pleurs,
Une médaille d’or accrochée sur le cœur
Parfois, en cauchemar, je les vois s’avancer
Leurs menottes crispées par l’angoisse et la peur
Ivres de désespoir, et regardant blafards
Jaillir du crématoire la sinistre lueur.
Mais où ont-ils disparu, ces petits enfants juifs et ces enfants tziganes
Que nul n’a plus revu ?
Vous qui dites aujourd’hui que ce n’était pas vrai, dites, mais dites- nous. que sont-ils devenus ?
Vous l’avez écrit quand ce poème?
Je sais plus. Je l’ai écrit il y a… peut être 30 ou 40 ans, mais c’est après la guerre, après mon retour. J’en avais écrit beaucoup à Fresnes. Et puis ce fameux poème, « A ma mère », que tout le monde récite partout.
Et Caroline va le lire !
A ma mère
Ecoute Maman, je vais te raconter,
Ecoute, il faut que tu comprennes Lui et moi on n’a pas supporté
Les livres qu’on brûlait
Les gens qu’on humiliait
Et les bombes lancées sur les enfants d’Espagne Alors on a rêvé
De fraternité
Ecoute maman, je vais te raconter
Ecoute, il faut que tu comprennes
Lui et mi on n’a pas supporté
Les prisons et les camps
Ces gens qu’on torturait et ceux qu’on fusillait
Et les petits enfants entassée dans les tains, Alors on a rêvé
De liberté
Ecoute maman , je vais te raconter
Ecoute, il faut que tu comprennes
Lui et moi on n’a pas supporté,
Alors on s’est battus
Alors on a perdu
Ecoute maman, il faut que tu comprennes, Ecoute, ne pleure pas
Demain, sans doute, ils vont nous tuer
C’est dur de mourir à 20 ans
Mais sous la neige germe le blé
Et les pommiers déjà bourgeonnent
Ne pleure pas
Demain il fera si beau !
Et celui là vous l’ avez écrit quand ?
Je ne sais pas. Dans… au camp, sans doute. J’avais un petit carnet jaune, que j’ai encore , d’ailleurs, un petit carnet sur lequel j’écrivais deschoses comme ça…
Vous avez écrit ça à Ravensbrück ?
Oui, ou à Mauthausen, je n’en sais rien… Je suis revenue avec un paquet de petits poèmes. J’en avais beaucoup plus que ça, mais j’en ai fichu en l’air… Et puis il y en avait qui étaient pleurnichards, qui ne valaient rien.
Vous étiez dure dans la sélection ?
Oui. J’ai un beau petit carnet, là… que j’avais au camp. Dans les choses qu’ils volaient aux juifs, à travers toute l’Europe, et qu’ils mettaient dans des grands halls, j’avais trouvé un sac à marin et comme j’étais petite et mince et que j’avais un grand manteau, mon sac à marin je l’attachais autour de moi sous le manteau, ça me faisait un petit peu de ventre, mais bon ! Il faut dire que j’ai eu une chance pas possible ! Je crois que je la dois à ma petite taille, parce que, au lieu de rester sur les bords, quand … On était toujours fünf to fünf, cinq par cinq, et au lieu de rester en bordure, je me mettais toujours dans le milieu, ce qui a fait que quand ils cognaient ça me passait toujours au dessus de la tête, et puis j’étais pas fouillée. Et j’ai pu ramener mon carnet. J’ai trouvé ce carnet en déblayant, un arrivage, un wagon qui arrivait plein de marchandises, et j’ai trouvé le carnet. Alors j’ai écrit au fur et à mesure de … mes pensées, des adresses de mes copines.
Vous l’avez trouvé quand vous étiez à Ravensbrück ?
Oui, à Ravensbrück, oui il vient de Ravensbrück celui-ci. J’ai aussi l’adresse de camarades et puis des poèmes, des réflexions, des trucs.
Que vous aviez écrit à l’époque ?
Oui, les poèmes, je les ai récupérés après, mais ce que j’avais écrit là c’est pas trop récupérable, c’est des pensées comme ça, fugaces. Là, c’est un poème, mais ce n’est pas moi qui l’ai écrit, c’est un poème dont je me suis souvenue, qui s’appelle « Rappelle-toi ». J’ai copié ce poème, parce que c’était une façon de s’occuper la tête, de se rappeler… Quand j’étais en prison, je faisais ça, beaucoup. J’avais trouvé un crayon dans un coin de la prison. Une mine, pas un crayon mais une mine, alors sur les murs j’écrivais des poèmes. C’est fou comme on oublie les poèmes qu’on a appris à l’école, au lycée… Alors je mettais une phrase et puis la nuit ou à un moment donné, il m’en revenait un petit morceau et je reconstituais les poèmes . J’ai fait pareil sur le carnet.
Et ce poème, « Rappelle-toi », il parle de quoi ?
Il est très triste, ce poème-là. Il dit :
Rappelle-toi
Rappelle-toi
Quand, sous la froide pierre
Mon cœur brisé à jamais dormira
Rappelle-toi,
Quand la fleur solitaire
Sur mon tombeau doucement s’ouvrira
Je ne serai plus là
Mais mon âme immortelle viendra près de toi
Comme une sœur fidèle
Ecoute dans la nuit une voix qui gémit.
Rappelle-toi.
Lorsque les destinées m’auront de toi à jamais séparé
Rappelle toi
Lorsque l’heure, l’exil et les années
Auront brisé ce cœur désespéré
Songe à mon triste amour
Songe à l’adieu suprême
L’espace et le temps ne sont rien quand on s’aime
Ecoute dans la nuit une voix qui gémit
Rappelle-toi
C’était un peu la situation que vous viviez ; vous aviez perdu votre fiancé….
Oui il était déjà mort. Et il y a d’autres poèmes bien connus, par exemple:
Des nuits plus douces que des jours ont enchanté
Des yeux sans nombre,
Les étoiles brillent toujours
et les yeux se sont remplis d’ombre
C’est un beau poème aussi ça.
Ah qu’ils aient perdu le regard
Non, non cela n’est pas possible.
Ils sont tombés quelque part vers ce qu’on nomme l’invisible
Comme les astres penchant vous quittent mais au ciel demeurent les prunelles ont leur couchant * mais il n’est pas vrai qu’elles meurent
Bleus ou noirs, tous ces … tous beaux
Tournés vers quelque immense horreur
Du côté du tombeau
C’est de qui ?
Je ne sais pas ! absolument, je ne sais pas.
Mais celui-là, « les yeux », j’aime bien
Des yeux sans nombre ont vu le jour Ils dorment au fond du tombeau…On essayait, on faisait des choses pour notre mémoire, par exemple un texte qu’on avait lu on essayait de se le rappeler. Et ça donnait tout ça. Des grandes tirades… des pièces de théâtre… Vous savez, dans le temps, dans les écoles , on apprenait beaucoup de poèmes… Donc on faisait ça, on écrivait ça. C’était surtout le dimanche parce que le dimanche quand même c’était le jour du seigneur alors on ne travaillait pas, enfin pas toujours. Parfois ils nous cassaient les pieds le dimanche et ils nous faisaient faire des tas de corvées, ou bien l’appel, ou la recherche des poux. La recherche des poux c’est … on se range dans la cour en face du block, on enlève toutes nos fringues, on est nues comme des vers et puis on fait voir aux filles qui, ou à nos SS ou à nos kapos qu’on n’a pas de poux. Et si on a des poux on est battues, bien sûr, alors faut qu’on les tue. Pas les kapos, hélas, mais nos poux.
Qu’est-ce que la peur, pour vous ?
La peur, c’est toujours la peur. Comment expliquer la peur ? Quand on a peur c’est une espèce d’angoisse, brusquement on n’est pas tranquille. Comment expliquer la peur ? C’est drôle comme question . C’est quoi la peur ? La peur c’est l’angoisse de ce qui va arriver tout de suite après. Par exemple, je suis condamnée à mort. Dans le camp on sait que quatre filles qui étaient condamnées à mort aussi ont été exécutées, elles ont été fusillées. On a ramené leurs cadavres, on sait comment elles s’appellent. D’ailleurs j’ai fait un article pour un journal rappelant leur histoire, à propos du film « les femmes de l’ombre ». Donc je suis condamnée à mort et on m’appelle. On me dit, alors qu’on a un numéro, qu’on ne nous appelle jamais par notre nom, on nous appelle toujours par notre numéro qu’ on doit savoir par cœur, et là il y a une voix dans le block qui m’appelle, moi, Gisèle Guillemot, et qui me demande de me rendre au bureau numéro tant. Déjà c’est inquiétant ça. Pourquoi faire ? surtout que quelques jours avant il y a eu des filles fusillées et que je suis condamnée à mort par jugement , par le tribunal militaire de Lubeck, à Fresnes. On a été jugés à Paris. Donc je suis condamnée à mort, on m’appelle et j’ai peur, bien sûr. Pourquoi ils m’appellent ? Surtout au bureau … Alors j’arrive là, une fille me dit « assieds-toi ». Je m’assois et j’attends, j’attends. Et rien n’arrive. Finalement il y a une SS qui me dit « qu’est-ce que tu fais là, retourne à ton block ! » Bon, mais j’ai eu très peur, parce que c’est comme ça que ça se passait, on appelait les gens et puis on les exécutait , on ne les voyait plus. C’est arrivé deux fois, ça. Et j’ai jamais su pourquoi on m’avait appelée, bien entendu. Donc je ne sais pas. Est-ce pour un complément d’interrogatoire ? Je ne sais pas. Alors c’est quoi la peur ? Eh bien la peur c’est d’avoir une angoisse pour ce qui va arriver bientôt, de penser qu’on va être tuée, et d’avoir froid partout, et d’avoir un petit peu des frissons. Parce que, même quand on est courageuse, décidée à être une héroïne, ça n’empêche pas que on aime bien la vie et la peur c’est un sentiment tout ce qu’il y a de plus humain. Donc voilà, j’ai eu peur ! C’est sûr que j’ai eu peur, à plusieurs reprises.
Et le courage c’est quoi ?
Le courage c’est de vaincre cette peur-là et de ne pas la communiquer aux autres , de rester sereine, et d’attendre paisiblement que les choses arrivent. C’est ça le courage. Le courage c’est aussi… ah pas seulement, c’est une partie du courage ça, mais le courage c’est, au camp, faire des choses défendues, par exemple aller récupérer la soupe au bock des malades. On a une amie qui est infirmière en chef d’ailleurs, d’un bock de typhiques, d’un bock où on a le typhus. Alors c’est un block dont on n’a pas le droit de s’approcher, il est protégé par des fils, par des barbelés, on n’a pas le droit de s’approcher du block. Et donc, ma copine, elle vole. Non, elle ne vole pas , elles déclare les mortes avec un temps de retard. Comme ça elle touche la soupe. Et moi cette soupe, dans des grands bidons, je vais la chercher, pour la donner à la solidarité du block qui la partage entre les malades. Et, un jour, une kapo me poursuit et je perd le, je ne perds pas le contenant , parce que ça aurait été dramatique, on aurait retrouvé d’où il venait,. pour la fille qui me l’avait donné ça aurait été tragique. Mais je perds le contenu, le bidon tombe et toute la soupe tombe par terre . Bon ,c’est assez déprimant mais à chaque fois que je vais chercher cette soupe, tous les matins, je suis en péril. Donc j’ai peur, c’est ça la peur. J’allais pas là paisiblement chercher mon pot de lait comme Perrette et le pot au lait, pas du tout. J’y vais sans peur, parce que j’ai rien dans les mains, mais quand je reviens j’ai peur, forcément . C’est ça la peur ! La peur aussi, justement, lorsque j’ai été appelée au bureau par mon nom alors que on n’a plus qu’un numéro, et que je reste là des heures, et que jene sais pas ce qui va arriver, alors que je sais que quelque temps avant des filles ont été exécutées, des condamnées à mort, donc j’ai peur, c’est ça la peur. La peur c’est aussi quand un SS est pris de fureur, qu’on est à un travail quelconque et qu’il se met à frapper à tort et à travers, comme ça, et qu’il arrive sur vous. Vous vous dites « ça y est il va me tuer ». La peur, elle est diverse et assez constante. On n’a pas tout le temps peur, ça c’est vrai. En plus, on est assez inconscientes, on est un peu dingues, toutes ces bonnes femmes de la Résistance, là on a pas dû réaliser ce qu’on risquait, comme ça, parce que peut être bien qu’on ne l’aurait pas fait … C’est ça la peur. Et c’est quoi le courage ? Va savoir ? Le courage eh bien c’est de vaincre la peur, de continuer , de faire comme si on… C’est quoi le courage? C’est quoi la peur ? Le courage c’est de n’avoir pas peur, et de faire des choses défendues, comme d’aller chercher cette soupe clandestinement, c’est comme de cacher une camarade malade pendant le travail et puis de faire le boulot à sa place. C’est quoi le courage ? Le courage c’est de remonter le moral à une copine qui se laisse aller, qui est malade ou qui désespère et qui ne se lave plus… C’est de lui dire « eh bien si tu fais pas un effort tu va pas rentrer pense à ta mère, pense à ta fille, pense à ton mari ». La fille disait « mais mon mari il en a peut être trouvé une autre !» Ce qui était vrai une fois sur deux. Mais bon, on lui remonte le moral. Alors c’est quoi l’espoir ? Eh bien on n’ a vécu que de ça, d’espoir ! Que l’ Allemagne soit vaincue, que les SS perdent et qu’on rentre bientôt. On est rentrées une sur deux, c’est déjà pas si mal. Alors c’est quoi l’amour ? ça c’est autre chose. Moi j’ai pas connu. J’ai connu juste un couple d’homosexuelles dans mon groupe. Mais elles étaient homosexuelles déjà avant la guerre, c’était un couple qui avait été dans la Résistance ensemble et qui évidement a continué d’être un couple. Sauf qu’une des deux est morte. Alors l’autre a été veuve , bien sûr. C’est quoi le courage? C’est quoi le peur? C’est quoi l’amour ? Justement, c’est ça l’amour, c’est de continuer à s’aimer au camp. Non c’est pas seulement ça l’amour, c’est l’espoir, l’amour, c’est la joie, c’est continuer d’aimer quand même, malgré toutes les horreurs qu’on est en train de vivre, c’est continuer d’y croire! Et puis l’amour c’est aimer ses copines pour ce qu’elles sont, on a toutes des défauts , on a toutes plein de qualités C’est s’apprécier les une les autres, parce que j’ai peu connu d’amours parallèles . Il n’y en avait pas beaucoup. Peut être chez les droits communs, mais en tout cas pas chez les politiques.
C’est votre enfance difficile qui a fait de vous une résistante?
C’est vrai que mon enfance difficile a fait sans doute que j’aurais pu devenir, comment dire, soumise, peureuse, … moi mon enfance m’a rendue un peu révoltée. Oui, c’est çà
Avez-vous eu envie de tuer ?
Ah oui, ça m’est arrivé d’avoir envie de tuer, mais pas seulement les SS, parfois une copine !
Parfois un homme ?
Ah on n’envoyait pas, hélas ! Depuis oui, sûrement.
Est-ce qu’aujourd’hui avec la mondialisation et les corporatismes qui se développent, la Résistance n’est pas tout aussi nécessaire qu’alors ?
Moi je suis de gauche, par conséquent je voudrais une politique de gauche, ça ne veut pas dire que j’approuve… le parti communiste est quasi inexistant et maintenant qu’est-ce que ça veut dire être communiste ? le parti socialiste a les faiblesses qu’on connaît, mais néanmoins j’aimerais mieux que ce soit la gauche qui soit au pouvoir que M. Sarko. Donc qu’est ce que ça représente ? ça représente un combat continuel pour essayer de convaincre les gens qu’on a quand même des possibilités d’améliorer la situation, d’obtenir des statuts pour les travailleurs qui soient plus porteurs de facilités, de bonheur qu’aujourd’hui, une juste répartition des biens de ce monde … par exemple au niveau du logement. On sait qu’il y a plein de gens mal logés, mais que pourtant c’est possible de loger les gens. Donc mon combat aujourd’hui… quand je dis que je suis de gauche c’est parce que je souhaite toutes ces améliorations. Et malheureusement avec M Sarko, c’est la république des riches, donc on n’a pas fini de se battre.
Mais à un moment, les gens de droite et les gens de gauche se sont retrouvés dans un même combat, dans la Résistance…
Ah oui ça c’est certain. Ça a créé une République un petit peu plus sociale… Un très très grand progrès a été d’ouvrir l’école à tout le monde. Avant la guerre, à moins d’être un bourgeois, et d’avoir des professions où on gagnait bien sa vie, les enfants n’allaient pas au lycéen, c’était payant. Alors on allait à l’école primaire jusqu’ 11 ans, au certificat d’études, et après on allait, si on avait les moyens de payer le lycée, on allait au lycée. Mais personne dans la classe ouvrière n’avait les moyens de payer le lycée, c’était très cher.
Et le droit de vote des femmes ?
Ah le droit de vote des femmes, c’est nous qui l’avons arraché, parce qu’ il n’y avait pas le droit de vote avant la guerre. C’est le seul pays. Même en Turquie elles avaient le droit de vote et nous on ne l’avait pas! Donc ça c’est une conquête. On l’a obtenue… Elles ont voté avant qu’on rentre des camps, les premières.
Donc il y a eu un héritage social de la Résistance.
C’est évident ! le CNR avait établi un programme, le Conseil National de la Résistance, qui a débuté avec jean Moulin.
Dans le CNR il y avait des gens de droite, des gens de gauche…
Oui il y avait un mélange assez, oui assez positif dans le fond. Enfin c’était quand même un peu a gauche, plus à gauche qu’à droite. A mon avis, le gain le plus essentiel, la conquête la plus extraordinaire, enfin extraordinaire, non pas extraordinaire, je trouve au contraire que c’était bien normal, mais la plus grande conquête, ça a été le droit à l’école pour tout le monde , le droit au lycée, à la fac, pour tous; alors que ce n’était pas le cas.
Cet héritage et ces acquis…
Ils sont toujours en péril, ils sont menacés et ce sera probablement de plus en plus difficile.
ll y a de moins en moins de témoins…
Oui on va tomber dans l’histoire c’est évident ! Jusqu’à maintenant on allait dans les écoles pour témoigner, beaucoup. Est-ce que c’est normal, on rentre dans l’histoire. Maintenant on fait partie … il y a l’histoire de la guerre et de la Déportation dans les livres d’école.
Les Allemands ont fait un gros travail de r réflexion sur le nazisme.
Oui, mais par exemple en ce moment, dans un des cimetières allemands, dans un des plus grands cimetières allemands, à Berlin ou à Hambourg ou je sais plus trop où, ils sont en train de restaurer toutes les tombes des SS… C’est quand même incroyable ça! Des tombes qui sont en train de se détériorer, ils s’emploient à les remettre en état. C’est pas supportable, ça ! On n’aurait même jamais dû permette qu’ils aient une tombe, les SS. On aurait du les récupérer et les foutre dans des trucs communs, des fosses communes. C’est pas possible ! Donc il faut être méfiant, faut être vigilant !
Comme il y a de moins en moins de témoins de cette période, vous ne pensez pas que ça va être un espèce de porte ouverte pour jouer avec l’histoire ?
C’est sûr ! C’est évident, c’est pour ça qu’on rue dans les brancards et qu’on espère…
On tente de réhabiliter ces gens-là.
Oui mais là c’est encore trop tôt pour réhabiliter les Waffen SS, elles ne sont pas toutes mortes leurs victimes…
Et tous ceux qui avaient un an ou deux, les petits enfants dont les parents ne sont pas revenus et qui maintenant sont des adultes déjà âgés, ils ont pas envie qu’on honore les SS ! Non, ce n’ est pas possible ! Même moi qui ai l’esprit large et qui n’en ai jamais voulu aux Allemands !
Vous n’en voulez pas aux Allemands ?
Je n’en veux pas aux Allemands, non pas vraiment . On ne peut pas dire que je leur en veux d’avoir été comme ça, de s’être laissé embarquer dans …Ce n’est pas par le fait d’avoir été des Allemands qui fait qu’il y a eu toutes ces horreurs, ces tueries, tout ça, parce que il n’y a qu’à voir, considérer ce qu’on a fait nous en Algérie. Je n’ai pas de haine envers les Allemands, mais je trouve que les SS c’est des assassins, c’est des bandits,
C’est bien ce que vous faites là, pour la paix puis pour le progrès, parce que il y a un proverbe qui dit « quand on n’analyse pas son passé, on est condamné à le revivre ».
Paris, 25 Mars 2008.
1 Convoi du 6 juillet 1942, dit ‘convoi des 45000’, composé de 1175 déportés politiques, essentiellement des communistes voués à l’extermination et pour cette raison envoyés à Auschwitz. A la Libération on ne comptera que 119 survivants. C’est parmi eux que l’on compte les créateurs du premier réseau français de résistance à Auschwitz. Voir le livre de Claudine Cardon-Hamet « Triangles rouges à Auschwitz »
2 Entre parenthéses, de Colombelles à Mauthaisen, ed l’Harmattan, paris 2001.
3 France Bloch-Sérazin est arrêtée en mai 1942 , condamnée à mort et guillotinée à Hambourg en février 1943.
4 Suzanne Masson , arrêtée en février 1942, condamnée à mort et décapitée à Hambourg en novembre 1943.
5 Varian Fry. 1907-1967. Journaliste américain mandaté par Eléanor Roosevelt qui, installé » à Marseille jusqu’en septembre 1941 a sauvé entre 2000 et 4000 personnes en leur permettant de rejoindre les Etats-Unis: des juifs, des politiques, des homosexuels, des artistes… André Breton, Chagall, Victor Serge, Lévy-Strauss, Anna Seghers, Arthur Koestler, Hannah Arendt, Max Ernst, entre autres lui doivent la vie.
6 Le Comité Ecole de la rue Tlemcn, créé en 1997 par des survivants du génocide, enfants cachés ou enfants déportés, qui a fait apposer des plaques sur toutes les écoles de Paris concernées par la déportation des enfants qui les fréquentaient, avec leurs noms, afin que leur mémoire ne disparaisse pas complètement. L’ADVR travaille d’ailleurs avec le « comité Tlemcen.
7 Les enfants qui attendaient leur départ vers l’inconnu, dans les camps de Drancy, de Pithiviers, de Beaune-la-Rolande, appelaient cet ailleurs mystérieux Pitchipoï.