Josette Dumeix, née Cothias. 1919-2008. Militante communiste depuis 1936, elle participe à la fondation de l’Union des jeunes filles de France (UJFF) aux côtés de Danielle Casanova. Résistante, agent de liaison puis responsable des Comités féminins de la zone nord, elle est arrêtée en novembre 1942. Libérée en août 1944, elle reprend la lutte. De 1945 à 1947 elle est membre suppléante du comité central du PCF, puis journaliste à l’Humanité. Elle devient ensuite bibliothécaire puis responsable de la Maicon de la Culture de Seine-Saint-Denis. Elle participe à la création du Musée de la Résistance Nationale.
Interview réalisée par Vincent Goubet en 2008, —quelques semaines avant la mort de Josette Cothias-Dumeix— pour son film « Faire quelque chose », sorti en 2013.
– Madame Dumeix, quel âge avez-vous ?
– 87, je suis dans ma 88e année.
– De quel milieu êtes-vous issue?
– Milieu ouvrier.
– Et en 39 qu’elle est votre situation?
– En 39 je gardais les enfants d’une colonie : accueil. Et quand je suis rentrée à la maison, mes parents sont venus à la gare et m’ont dit : « devine qui vient chez nous ». Je savais que la seule personne qu’ils connaissaient c’était Danielle Casanova 1. Alors j’ai dit: « c’est Daniele. ». Je suis donc allée à la maison et elle était là et elle me dit : « tu es gentille avec tes parents parce que demain matin tu viens avec nous ». Voyez, j’ai pas été longtemps avec mes parents comme ça. J’en suis pas morte
– Alors vous avez suivi Danielle Casanova…
– Oui, ensuite je suis allée faire des liaisons avec les soldats du front aussi, enfin j’ai un petit peu tout fait. J’ai traversé la France de gauche à droite, de haut en bas. Moi ça me semble très normal.Donc vous connaissiez bien Danielle Casanova.
– Pouvez-vous nous la décrire ?
– Oh, pour moi c’était, comment dirais-je, c’était pas une amie, c’était une personne à suivre. Parce que j’étais plus jeune, d’abord, et ensuite je suis devenu tout à fait son amie. Pas au début évidemment. Il y avait une grande différence d’âge, une dizaine d’années… mais quand on a 20 ans ça fait une grandes différences.
– Et qu’est-ce que vous aimiez chez elle ?
– Son allant, son courage. C’était une grande sœur, elle était extrêmement gentille.
– Vous l’admiriez?
– Oui bien sûr.
– Et en 1939, quand la guerre a éclaté, est-ce qu’on admettait que les femmes aient un rôle politique à jouer ?
– J’en sais rien, moi. Quand la guerre a été déclarée j’étais avec une colonie de vacances… mais je pense que le rôle des femmes a été reconnu surtout à la Libération. À cause de ce qu’elles ont fait pendant l’Occupation. C’est pas plus compliqué que ça. Les pauvres femmes elles ont fait beaucoup.
– Pendant l’Occupation, qu’elle étaient vos activités.
– J’en ai eu plusieurs. D’abord, je faisais la liaison zone sud-zone nord. Je faisais même l’est et l’ouest. J’étais l’agent de liaison « volant ». Vous savez, y a rien qui me gênait moi, j’avais 20 ans et je trouvais ça normal.
– Et avec le pacte germano-soviétique; on dit souvent qu’il y a eu, au début de l’Occupation, un flottement entre les militants la direction du parti…- Pas moi, pas moi.
– Vous avez été active tout de suite?
– Oui tout de suite.
– Et vous avez tout de suite lutté contre l’Occupation?
– Oui, bien sûr!
– Sous quelle forme ?
– Je vous l’ai dit, j’étais agent de liaison, un peu partout, j’ai même été en Suisse.
– Vous nous avez dit que vous ne faisiez pas que cela, vous faisiez d’autres choses aussi, de la propagande?
– Après j’ai fait des journaux. J’ai tout fait. C’est tellement bien quand on a 20 ans
– On peut tout faire?
– Oh oui c’est sûr.. On peut tout faire, surtout quand on sait que c’est utile.
– Pourquoi est-ce que l’action des femmes était si importante dans la Résistance ?
– Eh bien parce qu’il y avait 2 millions de prisonniers de guerre. Alors qu’est-ce qui restait : les femmes. Et en plus dans quelles situations la France étai! On crevait de faim. Au marché, c’était les femmes qui essayaient de nourrir la famille, chez elles c’était une fonction. C’est pas plus difficile que ça. Moi, après, je suis devenue une dirigeante mais je me suis fait arrêter en 42, fin 42
– Mais, sur les marchés, il n’y avait plus rien.
– Il y avait plus rien. Alors ça commençait à rouspéter, sur les marché, même en zone sud. On crevait plus de faim en zone nord qu’en zone sud parce qu’en zone nord il y avait les Allemands qui pillaient tout.
-Qu’est-ce que vous leur disiez à ces femmes ?
– C’était pas difficile. On va manifester parce qu’on veut des pommes de terre, des trucs comme ça, c’était aussi simple que ça.
– Ça vous permettait aussi de les éduquer idéologiquement?
– On parlait pas trop d’idéologie à ce moment-là
– Ça n’allait pas jusque-là?
– Je ne sais pas. Ça allait de soi.
– Et juste pour terminer sur les femmes, les manifestations de femmes réussissaient là où celle des hommes par exemple…
– Il n’y avait pas de manifestations d’hommes il n’y avait que des manifestations de femmes.
– Et on osait envoyer des gendarmes contre les femmes?
– Oui, oui, mais au début ça les a quand même surpris que des femmes manifestent. Ce n’était pas courant à l’époque…
– Donc, pour en venir à votre arrestation fin 42, à partir de quand est-ce que vous vous êtes sentie exposée à la répression nazie?
– Mais tout de suite! A partir de 40 !
– Derrière cette répression nazie, ces arrestations, vous saviez qu’il y avait souvent la torture, la déportation, la mort aussi.
– Oui, on savait.
– Dès le début?
– Oui on savait, mais peut-être pas la mort, ni la déportation… sûrement pas, parce qu’on n’en parlait pas à ce moment-là. Enfin surtout au moment où j’ai été arrêtée. Alors les arrestations, ça sûrement, les coups oui, d’accord. C’est par période, dès que vous êtes arrêtée. Encore que moi j’ai été prise pour une autre, alors ils ont eu plein de respect pour moi parce qu’ils m’ont prise pour la femmes du préfet. Mais comme je ne savais rien, je ne disais rien.
– Vous vous êtes fait passer pour une autre?
– Non je ne me suis pas fait passer pour une autre, ils m’ont prise pour une autre. Moi je me suis prise pour rien du tout.
– Vous disiez que, quand on a 20 ans, on n’a peur de rien…
– Et puis on est agile, et tout. « Moi à 20 ans j’aurais décroché la lune si tu me demandais » (chanson). C’est vrai!
– Et, consciemment, vous étiez prêts à donner votre vie pour vos idées?
– Je ne sais pas, mais consciemment je me suis engagée, ça c’est sûr. Tout de suite!
– Vous vous battiez pour vos idées ou pour libérer la France, ou pour les deux?
– Au début pour militer, forcément, parce que qu’est-ce qui était… c’était les communistes qui étaient poursuivis, et puis après pour les deux.
– En étant communiste vous étiez internationaliste?
– Oui, mais ça se posait moins quand même, à ce moment-là, avec l’Occupation.
– Parce qu’on pouvait être internationaliste et patriote en même temps?
– Pourquoi pas? pourquoi pas?
– Moi je ne vois pas pourquoi ça n’aurait pas été possible.
– Et pour être prêt à faire ces sacrifices, quelle qualité, qu’elle force de caractère il fallait avoir?
– J’en sais rien. Il fallait le faire, c’est tout. C’est pas particulièrement parce qu’on avait la force de le faire, il fallait le faire! Vous savez, les plus courageux ne sont pas ceux qu’on pense, ceux à qui on pensait.. Il fallait pas mal de choses…
– Des choses comme quoi?
– Du courage, sûrement, de la rapidité d’esprit, d’initiative.. Parce que là il fallait tout réinventer. Mais ça me semblait normal à moi. Je pense que ça semblait normal à tous mes copains. C’était comme ça, la guerre était engagée, mais pas seulement la guerre. D’abord au début il y a eu la lutte contre les communistes, et moi j’étais communiste. Voilà
– Vos beaux-parents aussi étaient communistes ?
– Oh ma pauvre mère… Mon père oui, mais enfin c’était un tout petit petit militant, militant de quartier mon père. Moi je suis une fille de la rue de Montreuil2. Vous savez, en en 36, toutes la rue de Montreuil était communiste. Les faubourgs aussi, parce dans le fond la rue de Montreuil ce n’est que le parallèle au faubourg.
– Et votre incarcération, comment avez-vous enduré cette période?
– La période de l’incarcération. je l’ai vécu sa ou traverser les frontières. C’est à dire sans être déportée. J’ai raconté à mes copines tous les livres que j’avais lus, tous les films que j’avais vus. Alors j’ai fait l’amuseur public. Bien sûr c’est pas le mot exact. J’étais là pour Leur faire passer le temps… Enfin, c’est pas si simple. Mais Quand on a 20 ans tout est simple, tout est simple. C’est moins vrai à 87 ans.
– Vous, en prison, vous disiez que vous n’aviez rien à perdre, que vous n’aviez pas d’attaches, que vous n’aviez pas d’enfants, que vous n’étiez pas mariée. Il y avait d’autres femmes qui, elles, étaient plus engagées dans la vie
– Oui, celles qui avaient des gosses, c’était plus compliqué pour elles, forcément. Moi, je n’’engageais que moi. Mais pour celles qui avaient laissé des gosses à la maison, c’était pas drôle.
-Il y en avait qui craquaient?
– Non, non. Non, on était fortes.
– Vous étiez solidaires?
– J’étais pas seulement solidaire, j’étais un peu meneuse.
– Qu’est-ce qui est important dans le fait de témoigner?
– Parce qu’on est presque plus! Donc c’est pour ça que je témoigne. Si on était très nombreux, j’enverrais les gens ailleurs. Mais je ne sais pas pourquoi je ne suis pas morte. Alors puisque je ne suis pas morte je dois témoigner.
– Pour tous ceux qui sont morts?
– Oui. On en a perdu quelques-uns, surtout dans le onzième. On a eu les rafles et tout. le pauvre onzième, qu’est-ce qu’il a trinqué !
– Vous avez perdu beaucoup de gens vous connaissiez?
– Tous mes amis 3.. Enfin bref. C’est difficile à expliquer. La vie était tellement différente, surtout quand on a 20 ans, on était capables d’aller décrocher la lune, c’est vrai.
– Que pensez-vous des jeunes d’ aujourd’hui?
– Oh, moi je ne pense rien, je leur fais confiance. Écoutez, on nous a bien fait confiance à nous, il n’y a pas de raison de ne pas leur faire confiance.
– Vous leur faites confiance pourquoi?
– Parce que la jeunesse est magnifique! Elle est magnifique, la jeunesse. On Peut toujours tirer quelque chose et puis le jeune, en général, il est moins attaché aux choses. Le jeune est toujours prêt à se dévouer.
– Comme vous l’aviez été ?
– Oui, mais moi j’étais spéciale. J’étais une militante d’avant-guerre.. Même quand j’étais toute jeune.
– Vous étiez formés à la lutte…
– Oui, oui, mais on était, vous comprenez, la rue de Montreuil, le 11e le faubourg Saint-Antoine, tout ça c’était notre coin.. Donc marche ou crève.
– Que pensez-vous aujourd’hui des Allemands, de l’Europe?
– Fallait bien que ça arrive un jour. Qu’On se casse pas toujours la gueule ! C’est quand même bien. Mais enfin maintenant c’est plus l’Europe qui est en jeu. C’est le tiers-monde.
– Existe-t-il encore des raisons de résister ?
– Il reste toujours des raisons de résister ! Il y a toujours des raisons de
– Pendant l’Occupation vous disiez que dans vos actions vous n’aviez pas peur. Et aujourd’hui est-ce que vous avez peur de la mort ?
– Oh j’ai pas peur de la mort. Vous savez je suis assez vieil pour faire un mort.
– Vous avez envie de mourir?
– Non, non, c’est surtout parce que ça ferait du mal à mes enfants. Mais autrement, personnellement, si je pars, je pars.
1 – Vincentella Perini, 1909-1943. Devenue Danielle, puis Danielle Casanova par son mariage avec Laurent Casanova, secrétaire de Maurice Thorez, elle est responsable des Jeunesses communistes et fonde l’Union des jeunes filles de France. Résistante de la première heure, elle est arrêtée en février 1942 et déportée à Auschwitz en janvier 1943. C’est le seul convoi de femmes non juives que est envoyé àAuschwitz. Danielle Casanova et ses camarades entrent dans le camp en chantant « la Marseillaise ». Elle meurt du typhus en mai 1943 .
2 – Paris 11ème. Josette Dumeix est la coordonatrice d’un très beau livre-mémorial collectif sur l’Occupation dans le 11° arrondissement de Paris: « Raflés, internés, déporté, fusillés et résistants du XI° », publié par la Comité de libération du 11° en 1994..
3 – Parmi eux on peut citer Maurice Gardette, Jean-Pierre Timbaud, Léon Frot, tous fusillés…