Histoire d’une trahison, de Sergio Zamora

Histoire d’une trahison,où quand la noirceur de la trahison rend plus sensible encore la « nostalgie de la lumière ».
Nul ne pourra dire après la lecture de ce livre, qui s’efforce de faire toute la lumière sur une des grandes tragédies de la deuxième partie du XXème siècle: le coup d’Etat du 11 septembre 1973 contre le président Salvador Allende, nul ne pourra plus dire qu’il ne savait pas.
Et, ce qui est paradoxal, c’est que nourri d’une abondante bibliographie ( une centaine de livres, bien plus de journaux, sans compter l’expérience directe de son auteur – à peine indiquée par ailleurs-), il se lit comme un roman dont on attend qu’un cinéaste, un grand homme de théâtre, d’opéra, offre à des populations plus vastes la possibilité d’en tirer toutes les leçons.
Oui, après tant d’échecs, parfois si sanglants, du socialisme autoritaire, un homme et son peuple, avaient réussi – et l’on sait malgré combien d’entraves – à créer une Unité Populaire qui aimantait le monde. S’y dessinait la possibilité d’une autre voie, d’une autre vie, plus justes, dans le respect de la démocratie, et n’est-ce pas à cause de ce respect, si dangereux pour l’exemple, qu’il est mort ?
J’aime l’élégance et le précision de ce livre, qui ne s’abaisse jamais à l’injure, comme certain Président, Nixon, pour le nommer, désespéré de « l’élection, par un peuple irresponsable, de ce bâtard d’Allende ». Il y a là une vraie leçon de dignité alliée à des qualités d’historien.
Après avoir mis brièvement en place les repères historiques nécessaires entre 1958 ( où Salvador Allende attire l’attention des Etats-Unis), et 1998 ( date de l’arrestation à Londres du général Pinochet), expliquant plusieurs dates-clés, il complète le panorama en élargissant la focale « sur le haut degré de violence de la société chilienne tout au long de son histoire », c’est à dire « envers les plus démunis », et il remonte alors jusqu’à Balmaceda, à la fin du dix-neuvième siècle.
Par l’évocation du dernier jour de Salvador Allende et de sa mort héroïque il enchaînera sur l’ « apothéose d’une action déclenchée par le gouvernement des Etats- Unis contre Salvador Allende depuis 1962 ».1973, fin de la démocratie au Chili, début d’une dictature de 17 ans…
Sergio Zamora écrit pour « combler une lacune » chez les chiliens incités «à enfouir, à oublier leur histoire », notamment celle de la dictature, dont la connaissance est très superficielle pour les générations qui ne l’ont pas vécue. Après la peur, le refoulement, il veut rendre toute la mémoire à son peuple. L’aide-mémoire pour la génération née après 73 est orienté autour de deux axes : l’un porte sur Pinochet, et ceux qui l’entourent, mais si là est le fil conducteur, le «vrai fond » est l’intervention Nord-Américaine qui a voulu « coûte que coûte » barrer la voie à Salvador Allende et ce à partir du Président Kennedy.
Le général Pinochet aura beau clamer que ce pronunciamiento « n’a pas coûté un dollar aux Etats- Unis, que les généraux l’ont fait tout seuls  » on va nous démontrer qu’il n’en fut rien.
Une trahison: mais qui a trahi ?
Quelques chefs militaires, qui ont entraîné toute une armée, une grande partie de l’administration, des partis, des juges à trahir tout un peuple et le gouvernement qu’il s’était donné – un gouvernement soucieux de plus de justice sociale afin de rendre à tous une vraie vie ? Un « empire » qui ne jure que par ses intérêts, et cache qu’il en est ainsi, particulièrement en Amérique latine, mais aussi dans le reste du monde?
Pour abréger nous verrons défiler des centaines d’américains secrètement infiltrés par la CIA, ou diplomates, militaires ou non, lors de chapitres qui ont pour nom « Un coup d’état programmé de longue date », ou « L’école des Amériques ». Bref, au cours des chapitres est tissé le maillage précis dans lequel les Etat-Unis ont enserré toute l’Amérique Latine, y compris le Chili, afin d’inculquer au plus grand nombre de leurs officiers une même doctrine, venue de la guerre froide, dite de la Sécurité nationale. L’idéologie mise au point, là on la diffuse. Contre l’ennemi intérieur on vous apprend toutes les techniques de la lutte anti subversive, anti-guérilla: les luttes urbaines, les opérations de déstabilisation politique, comment torturer, comment terroriser toute une population. Tant d’horreurs, fraternellement transmises, une même doctrine, un même idéal pour tous et tout l’argent qu’il faudra transmis secrètement par la CIA… et c’est ainsi qu’à une date bien étudiée par les officiers de la Navy un coup d’Etat se met en marche de Valparaiso à Santiago, par exemple.
Tôt tard, et plutôt tard que tôt, lorsque les documents sont déclassifiés – un des rares espaces vraiment démocratique dans toute cette machine de guerre – on apprend des morceaux de vérité. Il y faut beaucoup de patience et de minutie et peu à peu toute l’horreur de la monstrueuse machine de guerre se dessine. Parallèlement à ce travail nord américain de domination du « sous-continent » sont minutieusement analysés dans d’autres chapitres comment par les généraux et les militaires chiliens ont appliqué avec zèle ce nouvel évangile qui va permettre d’éradiquer le cancer marxiste. Les chapitres auront nom « la véritable personnalité de Pinochet » ou « Le plan Z , œuvre de l’intelligence militaire » ou « La DINA et son directeur Manuel Contreras », ou encore « La caravane de la mort « là se révèleront
Bien des manœuvres ou des traits de caractère où la cruauté, la perversité, l’esprit de lucre, l’indifférence à autrui, etc. abondent. Je vous les laisse découvrir.
Un espoir, malgré toute la richesse accumulée, toutes les félicitations qu’il se prodigue, monsieur Pinochet et ses comparses ont été jugés. C’est un début même si on est loin encore des grandes alamedas

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