Sourire quand même, par Jack Moisy

« La liberté est nécessaire comme la respiration » a dit Joseph Kessel, ce grand écrivain de l’Académie française.

Oui, la liberté est l’une des plus importantes valeurs de la Résistance.
En fondant l’ADVR, notre regretté Robert Chambeiron voulait qu’on s’en souvienne, c’est donc notre tâche de le répéter à l’infini, d’expliquer sans cesse combien la lutte des résistants a été difficile et coûteuse en vies humaines.
Mais aujourd’hui, nous ne voulons pas ternir ces Instants de vie retrouvée si péniblement il y a 73 ans.
Alors je vais vous raconter quelques anecdotes cocasses dues aux moyens employés par les combattants de l’ombre. Des procédés parfois risibles tels que les chansons de l’humoriste Pierre Dac qui avait réussi à rejoindre le général de Gaulle à Londres au prix d’innombrables difficultés. Des mélopées comme : « Radio-Paris ment, Radio-Paris ment, Radio-Paris est allemand »Ou comme celle-ci, chantée sur l’air des « Bateliers de la Volga »
« Marche ou crève, Crève ou marche,
Le Boche tombe là-bas, Tombe, tombera. Marche ou crève,
Crève ou marche, Marche, marche, nazi, L’armée rouge te suit. »
Mais ce ne sont que des paroles. Des actions plus positives ont aussi pris des effets comiques, comme celle des services d’impression du journal clandestin « Combat » qui manquait de papier alors qu’à Saint-Girons (au sud de Toulouse) une entreprise de fabrication de papier en regorgeait, le réservant aux journaux collaborationnistes de Vichy.
Les camarades chargés de l’édition de cette feuille patriotique, par un savant échange de camionnage, parvinrent à faire livrer huit tonnes —tenez-vous bien— de papier hygiénique aux imprimeries vichystes à la place de la même quantité de papier d’impression qu’ils s’empressèrent de camoufler chez plusieurs résistants. Ce qui permit de poursuivre la diffusion du journal résistant.Un autre événement qui s’est déroulé dans le sud de la France, le 9 janvier 1944, laisse un sourire aux lèvres, malgré une fin déplaisante pour un résistant.
Un groupe de l’Armée Secrète et de Francs-Tireurs avait reçu l’ordre de détruire un aqueduc qui alimentait l’usine hydroélectrique de Sainte-Tulle (proche de Manosque), laquelle fournissait la puissance au fonctionnement d’entreprises travaillant pour les occupants, telle que celle de Saint-Aubin ou la mine de Sigonce. Ce canal avait été bâti sur une charpente formant par endroits des cases de grandeurs différentes.
Certains résistants avaient été mesurer les dimensions des cases dans lesquelles ils pourraient placer les explosifs. Mais dans la nuit, au moment de coincer la charge ( du coté de Villeneuve), ils s’aperçurent que les bidons n’entraient pas dans la bonne niche.
– On avait pourtant pris la mesure, dit l’un des résistants.
– Té, couillon! T’as pris la largeur pour la hauteur ! Y a pas à discuter. Faut trouver un autre endroit !
– Attendez les gars, murmure un fermier qui faisait partie de l’expédition. Je connais l’emplacement rêvé, venez avec moi. C’est un peu au-dessus de chez moi. Les cavités sont plus grandes ».
Ils y allèrent.
En effet, l’explosif pu prendre sa place sans la moindre difficulté.
Un peu plus tard, quand ils se furent éloignés, la détonation se répercuta dans toute la vallée de la Durance, de Manosque à Saint-Aubin, et le canal prit une drôle de forme en déversant des quantités d’eau qui s’écoulèrent vers la ferme du camarade qui n’avait pas prévu cela. Il lui fallut courir pour évacuer le bétail. Quant à sa ferme, elle se trouva remplie d’environ 80 cm de liquide et de gravats.
– Voyez ce qu’ils m’ont fait », dit le fermier aux gendarmes venus faire leur enquête… le lendemain.
Quant à moi, je ne vais pas raconter toute mes frasques de cette période clandestine ––je l’ai déjà fait dans plusieurs livres1–– , il suffit de savoir que je n’ai pas cessé de harceler sous diverses formes les Chleuhs, les vert-de- gris, les Boches, les occupants, les nazis, les doryphores, etc. Suivant les appellations du moment. Mais j’étais jeune et, à vrai dire, je ne me rendais pas compte des risques que je prenais. Ainsi, lorsque j’ai reçu l’ordre de me présenter au 100, rue de Richelieu, à Paris, où se tenait le service de la main-d’œuvre allemande en vue du STO2, j’y suis allé, ma convocation à la main, pour demander une explication.
Là, ils m’ont dit de me rendre boulevard Kellermann pour savoir à quelle usine de Berlin j’étais affecté.
Ce à quoi j’ai répondu :
–justement je suis venu vous dire qu’il ne faut pas compter sur moi. »
Et, reprenant leur ordonnance demeurée sur le comptoir, je me suis enfui à toutes jambes.
C’est depuis ce temps que je suis devenu réfractaire clandestin et que je me suis vite retrouvé à l’état-major FTP de la huitième région parisienne aux côtés de mon camarade Petit Jean autrement dit, le Commandant Jean Fiévet qui se faisait appeler « Le commandant Vacher ».
J’ai alors poursuivi mes caricatures sans légendes, qui parlaient d’elles- mêmes et que je signais « Adémar » : un A, un D et une mare. Comme ça, sans raison, parce que je trouvais ce prénom amusant.
En voici deux exemplaires gardés en archive.J’ai aussi diffusé quelques quatrains de ce genre :
«Pense, soldat Teuton, Que là-bas sur ce front S’il fait chaud en Russie, Il y fait froid aussi».
« Les frisés sont foutus On va les écraser
En leur bottant le cul Pour les galvaniser.»
J’ai également rédigé de plus longs poèmes, mais sous un autre pseudonyme car mon chef de groupe trouvait ma signature « Adémar» peu compréhensible.
J’ai donc enfoncé un coupe-papier entre les pages de mon dictionnaire de poche en pensant : ce sera le 10e mot de la première colonne. Hélas, je suis tombé sur le mot «Mérovingien». Ça ne collait pas.
Au-dessus, c’était « Merluche». Décidément, je ne pouvais pas prendre le nom d’une morue desséchée!
Par contre, le mot d’avant était : « Merlin», avec pour définition : « gros marteau pour assommer les boeufs ».
Les boeufs ! Pourquoi pas les nazis et les collaborateurs? Et puis dans « Merlin» il y avait un petit côté enchanteur qui n’était pas pour me déplaire. Alors c’est sous ce nom que j’ai composé, entre autres :
« Le pays où la fleur… »
« j’ai connu un pays où la fleur embaumante, Exhalait son parfum de liberté, d’amour,
Où les hommes étaient frères et la joie éclatante, Exhalait le bonheur, la vie, la paix, l’humour… Ce pays merveilleux était appelé France. Aujourd’hui, par Pétain plus rien de tout cela, Que lâche trahison, forfaits, incohérence,
Car de la fourberie il fait l’apostolat.
« Alors écoutez-moi, écoutez l’inventaire, Retenez bien ces noms d’assassins en dérive, Minables charogneux qu’un jour on fera taire, Croyants et non-croyants, priez qu’on y arrive!
Rappelez-vous ces noms : Déat, Laval, Doriot, Ferdonnet, Jean Luchaire, le Vigan, Scapini, Les Mayol de Lupé, les Céline et Henriot, Brasillach et Pétain, Jean Hérold(e)-Paqui.
Souvenez-vous amis, souvenez-vous de tout,
Ils tremblent dans leur peau, déjà serrent les fesses, Comme des rats crevés ils iront dans l’égout Rejoindre les déchets, les bouchons et les graisses…
Et du fumier impur la pensée renaîtra,
La fleur, les fruits, les graines sortiront du calvaire, Des cendres de l’amour l’oiseau blanc sortira,
Et puis nous sourirons au jardin entrouvert. » Merlin

Chers amis, que ces quelques lignes vous aident à passer un bel été en souriant, malgré les souvenirs, les préoccupations présentes, c’est tout ce que l’ADVR vous souhaite.

Jack Moisy

1 – Deux grains de sable. J Moisy – A coups d’bottes. J Moisy – Points d’ombre. J Moisy
2 – STO, service tu travail obligatoire.